« Les femmes ont besoin d’être aidées par la justice. Si toute l’Europe signe ce traité d’Istanbul, alors on pourra commencer à être efficace et mettre en place un système européen cohérent » [1], s’indigne la députée européenne Elisabeth Morin-Chartier face au nombre inquiétant de femmes victimes de violences sexuelles.
La convention d’Istanbul, qu’est-ce que c’est ?
Cette convention fut adoptée le 7 avril 2011 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe et entrée en vigueur le 1er août 2014. Elle établit des normes minimales en matière de protection des violences fondées sur le genre.
Il s’agit du premier instrument européen contraignant instaurant un cadre juridique dans le but d’anticiper les violences faites aux femmes, créer une meilleure protection des victimes et veiller à ce que les auteurs des actes soient poursuivis en justice. Les actes incriminés se traduisent par des « violences psychologiques et/ou physiques, des violences sexuelles, le viol, le harcèlement, les mutilations génitales féminines, les mariages forcés, l’avortement et la stérilisation forcés » [2]. La convention d’Istanbul vise également à doter la police de moyens d’action plus efficaces, à créer davantage de refuges accessibles, d’intensifier les permanences téléphoniques gratuites et accessibles 24h/24h et 7j/7j, créer des centres d’aide d’urgence pour que les victimes reçoivent des conseils médicaux et de diffuser des informations pertinentes et concises relatives aux droits des victimes.
Actuellement, elle a été ratifiée par 21 Etats dont 12 Etats membres de l’Union européenne [3] dont la France. Effectivement, le législateur français par la loi du 14 mai 2014 a enfin autorisé la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique [4]. Cette loi vient compléter un bouquet législatif déjà bien fourni [5] et appuyer la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes [6] intégrant dans des domaines législatifs multiples des dispositions visant à faciliter et inciter l’égalité des droits entre les sexes[(Recueil Dalloz 2014 p. 1895, commentaire de la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes n°2014-873, REGINE (recherches et études sur le genre et les inégalités en Europe).]].
Quelle est la situation en Europe ?
Les données en termes de violences faites aux femmes restent encore trop peu diffusées. Dans l’optique d’éclaircir ce paysage à l’échelle européenne, il semble pertinent d’exprimer certains chiffres clefs issus du rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2014 [7] indiquant l’ampleur des violences physiques et sexuelles commises envers les femmes. Les données sont accablantes puisque « une femme sur trois avoue avoir subi au moins une forme de violence physique et/ou sexuelle depuis l’âge de 15 ans » et « une femme sur 20 a été violée ». Ces violences sexuelles forment une réelle violation des droits fondamentaux de la personne et engendrent des troubles de la santé et du bien-être des femmes.
Ce type d’actions brutales concernent tous les pays de l’Union et peuvent se produire dans n’importe quel lieu à n’importe quel moment. Elles peuvent être comprises comme l’une des causes des inégalités entre les femmes et les hommes [8]. Ainsi, pour faire cesser cette situation de détresse, il est nécessaire de renforcer les modes d’action et notamment l’arsenal juridique en la matière.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) est abondante en matière de violence envers les femmes [9]. Effectivement, la cour fait état de violences à l’égard des femmes commises d’une part par des agents de l’Etat (CEDH Aydin c/ Turquie n°57778/00 du 21 mai 2006 ; viol en garde à vue constitutif de torture) et d’autre part, par des acteurs non étatiques (CEDH X et Y c/ Pays-Bas n°8978/80 du 26 mars 1985 ; abus sexuels sur une jeunes fille handicapée mentale engendrant de graves perturbations psychiques).
De plus, la cour, dans sa jurisprudence du 23 février 2016, Civek c/ Turquie [10] est une nouvelle fois venue rappeler la situation d’urgence vis-à-vis des violences domestiques dans les Etats européens en précisant « qu’il s’agit d’un problème commun à tous les États membres, demeurant particulièrement préoccupant dans les sociétés européennes d’aujourd’hui ». Cette jurisprudence ne fait que confirmer la situation délicate que traverse l’Union européenne concernant les violences faites aux femmes. Pourtant, face à la multiplication des instruments juridiques internationaux pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique [11], il pourrait être pensé que celles-ci bénéficient d’une protection efficace et efficiente.
Quelle réaction de l’Union européenne au regard de ce constat navrant ?
Animée par cette volonté d’instaurer une atmosphère de justice et d’égalité, la Commission européenne dans son communiqué du 4 mars 2016 a proposé l’adhésion de l’Union à la convention internationale sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes, autrement dit à la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe. Une telle initiative souligne l’attachement de l’Union dans sa lutte contre les violences sexistes. En ce sens, Vĕra Jourová, la commissaire en charge de la Justice, des consommateurs et de l’égalité des genres, souhaitant harmoniser la protection des femmes en Europe, est venue préciser que [12] « Notre proposition est porteuse d’un message claire : les victimes de violence à l’égard des femmes doivent être protégées partout en Europe ». De même, elle considère les données rapportées par différentes enquêtes comme « inacceptables » et « contraires » aux valeurs européennes. Elle juge cette proposition comme une avancée dans la mise en œuvre cohérente de la lutte contre les violences faites aux femmes et espère également que les États membres qui n’ont pas encore adopté cette même logique le feront rapidement.
L’adhésion de l’Union européenne à la Convention se justifie par deux avantages non négligeables. Tout d’abord, l’amélioration de la collecte des données à l’échelle de l’Union. Effectivement, pour pallier le manque de données disponibles, les Etats membres se verront dans l’obligation de collecter les données exactes et de les transmettre à Eurostat (l’Office statistique de l’UE). Le second avantage se traduira par l’obligation de l’Union de faire état de l’application effective des dispositions de la convention (relevant de sa compétence) sur la scène internationale. Ce devoir lui conférera une place plus importante à l’échelle internationale en matière de lutte contre les violences sexuelles.
Toutefois, cette adhésion n’est pas encore effective et fera l’objet de débats devant le Conseil de ministres et le Parlement européen qui devront donner leur consentement conformément à la procédure législative ordinaire . Le processus législatif européen sur cette question ne fait que commencer [13]. On peut espérer qu’il soit couronné de succès.
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