Avec la décision de la Cour Suprême, la bataille politique pour l’indépendance de l’Écosse refait surface

, par Henri Clavier

Avec la décision de la Cour Suprême, la bataille politique pour l'indépendance de l'Écosse refait surface
Source : Flickr

Le 23 novembre, la Cour suprême britannique a rendu l’une des décisions les plus attendues de ces dernières années. La plus haute juridiction britannique était appelée à se prononcer sur une question posée par le Parlement écossais. La juridiction constitutionnelle devait trancher si le Parlement écossais était en mesure ou non d’organiser un référendum sur l’indépendance de l’Écosse.

La principale question consistait à savoir si l’acte de dévolution (datant de 1998 puis révisé en 2012) permettait au Parlement écossais de trancher lui-même la question de son indépendance sans nécessité d’obtenir l’autorisation du Parlement britannique. La dévolution organise la répartition des compétences entre les autorités locales que sont l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord et l’Union britannique, symbolisé notamment par le parlement de Westminster. Si les compétences législatives octroyées par les actes de dévolution sont importantes, le Parlement britannique conserve un domaine réservé, notamment sur les questions constitutionnelles.

Une décision juridiquement logique de la Cour Suprême

C’est en tout cas la réponse formulée à la question “(3) La disposition du projet de loi sur le référendum relatif à l’indépendance de l’Écosse qui prévoit que la question posée lors d’un référendum serait "L’Écosse doit-elle être un pays indépendant ?" concerne-t-elle des questions réservées ? En particulier, concerne-t-elle : l’Union des royaumes d’Écosse et d’Angleterre ; et/ou le Parlement du Royaume-Uni ?" de laquelle les juges étaient saisis.

Le fond de la solution apparaît logique dans la mesure où si le Parlement écossais pouvait se saisir de la matière constitutionnelle unilatéralement, l’Union britannique n’aurait, de fait, pas d’existence concrète. Depuis 2014, la question de l’indépendance écossaise revient hanter les couloirs du Parlement de Westminster à intervalles réguliers. Malgré l’échec du référendum de 2014, la First Minister (Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, cheffe de file du Scottish National Party (principal parti indépendantiste d’Ecosse) a accédé au pouvoir quelques mois après le référendum et a été réélue deux fois depuis. La victoire du “leave” lors du Brexit en 2016 a également renforcé la volonté écossaise de se désengager de l’Union britannique au profit de l’Union européenne. Le vote “remain” l’avait largement emporté en Écosse.

La décision unanime rendue par les juges de la Cour Suprême n’a rien de surprenant, mais, politiquement le refus des Tories (conservateurs) de faire un pas vers Nicola Sturgeon envenime la situation. Rishi Sunak, nouveau Premier ministre du Royaume, a confirmé la position de ses prédécesseurs sur la question écossaise, il n’envisage pas l’organisation d’un référendum sur l’indépendance de l’Écosse. Une position historique du Tory sur laquelle le Labour (centre-gauche) est historiquement plus ouvert.

L’indépendance, ou le marqueur de l’opposition au Tory

La fermeté de Rishi Sunak pourrait s’avérer contre productive. Le Premier ministre préfère se concentrer sur la gestion de la crise économique et de l’inflation comme il l’a déclaré au Parlement dans la foulée de l’annonce de la décision de la Cour Suprême : Nous respectons la décision claire et définitive de la Cour Suprême. Je pense que le peuple écossais veut nous voir travailler sur la résolution des défis majeurs auxquels nous sommes confrontés collectivement".

Le SNP a connu une croissance importante en supplantant le Labour dans un territoire historiquement ancré à gauche. La question de l’indépendance ne découle pas d’un nationalisme outrancier mais bien d’une volonté de sortir d’un libéralisme exacerbé aux conséquences sociales désastreuses, en particulier dans les anciennes régions industrielles du nord de l’Angleterre et de l’Écosse. Or, les Tories semblent avoir grillé leurs derniers jokers avec le court passage de Liz Truss, et son “mini-budget”, à la tête du pays.

Si Boris Johnson, auréolé d’une large victoire aux élections générales de 2019, disposait de la légitimité nécessaire pour s’opposer invariablement à l’organisation d’un référendum sur l’indépendance de l’Écosse, Rishi Sunak n’a pas convoqué de nouvelles élections pour renforcer sa position à la tête de l’exécutif. Pour cause, les Tories, en chute libre dans les sondages, ne peuvent se permettre une dissolution. Une position de faiblesse sur laquelle Nicola Sturgeon entend capitaliser.

Fervente militante indépendantiste depuis son adolescence, Nicola Sturgeon a remporté les élections de 2021 en faisant de l’organisation d’un référendum sa principale promesse de campagne. La First Minister avait même fixé la date du 19 octobre 2023 et la question “L’Écosse doit-elle devenir un Etat indépendant ?”. La décision de la Cour Suprême a fait vaciller ce calendrier. Dans le bras de fer l’opposant à Westminster Nicola Sturgeon a fait de l’octroi de l’autorisation du Parlement une question fondamentale de démocratie tout en acceptant la décision de la Supreme Court. Une stratégie pragmatique pour celle qui se refuse à l’organisation d’un référendum illégal, consciente de l’effet désastreux que cela aurait sur la légitimité de la cause indépendantiste à l’image du référendum illégal organisé en Catalogne en 2017.

Penser l’avenir

La stratégie du SNP converge alors vers la mise sous pression d’un gouvernement déjà en manque de popularité. En acceptant la décision, le SNP fait de l’organisation d’un référendum un enjeu purement politique comme l’illustre la déclaration d’Ian Blackford chef du groupe SNP à la Chambre des communes : “ Si le Premier ministre continue de bloquer le référendum, pourrait-il au moins être honnête et nous confirmer que l’idée selon laquelle l’Union britannique est une union volontaire de nations est morte et enterrée ?”

Assurément, la question de l’organisation d’un vote sur l’indépendance de l’Écosse sera un enjeu majeur des élections de 2024. Or, en investissant cette question, le SNP poussera le Labour, auquel le pouvoir est promis à l’issue de ces élections, à se positionner. Malgré le recentrage du parti depuis la prise en main de ce dernier par Keir Starmer, s’ériger en défenseur d’une union dite volontaire, mais de laquelle il n’existe, de fait, aucun moyen de sortir, semble risqué.

D’autant plus périlleux que le SNP est devenu un véritable parti au plan national en étant le troisième groupe parlementaire le plus important à Westminster. Une montée en puissance qui pourrait le rendre indispensable pour l’ascension du Labour au pouvoir. La popularité de Nicola Sturgeon, sa pugnacité et ses résultats pourraient encore renforcer la présence du SNP à la Chambre des communes et la placer en position de force pour négocier avec le Labour si ce dernier n’obtient pas de majorité absolue.

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