A la suite de la crise du Covid, avait été signé un plan de relance inédit, le NextGeneration EU.Ce dernier permettait notamment de faire des emprunts communs à l’échelle de l’Union Européenne. Ce pack de mesures avait été adopté dans un climat de crise sanitaire, et faisait figure d’exception en proposant un système de dette commune. Alors que ce plan arrive bientôt à échéance, en 2026, la Commission Européenne a demandé à l’ancien président de la Banque Centrale Européenne, l’italien Mario Draghi, de se pencher sur le futur de ce plan. Plan qu’il a présenté le 9 septembre.
Une solution géopolitique ?
Généraliser le recours à la dette commune permettrait à l’Union Européenne d’être plus efficace dans ses luttes, telles que le réchauffement climatique. L’idée est de permettre aux Etats membres d’avoir une portée d’action plus grande en accroissant la prise en main de l’UE sur certains sujets globaux et communs. Elle retrouverait ainsi de la force sur le plan géopolitique, plus de crédibilité, avec des décisions qui deviendraient plus coordonnées, plus cohérentes, et mutualisées sur le plan économique. C’est un peu l’idée de la réconciliation franco-allemande à travers l’union des marchés du charbon et de l’acier.
Il y a bien sûr dans l’esprit de Mario Draghi et de ses défenseurs les questions de décarbonation, de digitalisation et de défense. Concrètement, une vitalité en termes de réponse stratégique, notamment sur des enjeux géopolitiques tels que la guerre en Ukraine ou en Israël, la consolidation de notre marché technologique qui a un fort potentiel, ainsi qu’un réel pouvoir financier pour accompagner les politiques en faveur de l’écologie.
Au-delà de la bonne santé de l’UE, l’enjeu derrière ce dossier de la dette commune est l’indépendance de l’Europe face à la Russie, la Chine, les Etats-Unis et d’autres États qui ne partagent pas toujours nos préoccupations pour la démocratie ou nos valeurs. Les mesures proposées par le plan Draghi permettront, à terme, de créer une main-d’œuvre qualifiée et adaptée aux besoins, d’investir en recherche et développement de manière coordonnée tout en ayant les moyens de définir une réelle politique qui ait une cohérence
Une solution économique ?
Depuis des décennies, le vieillissement de la population de l’UE est un enjeu de taille pour bien des aspects économiques des systèmes de protection sociale comme l’accès aux soins et les retraites. Un recours généralisé à la dette commune permettrait de faire face aux problèmes économiques qu’engendrent le vieillissement de la population par plusieurs biais.
Le niveau de productivité de l’UE augmenterait par le développement de l’innovation ainsi que par une meilleure mise en réseau des marchés nationaux. Ceci signifierait un accès facilité aux marchés et aux ressources européennes, car la taille du marché domestique est particulièrement importante pour les entreprises en forte croissance. La liberté retrouvée pour les PME et les start up serait au bénéfice des économies nationales, et contribuerait au rayonnement économique de l’UE.
Mais surtout, le vieillissement de la population bouleverse et rend difficile l’équilibre national interne entre les contributeurs et les bénéficiaires du système d’aide publique. Après les travailleurs, ce ne sont pas aux entreprises de porter le poids des politiques publiques. Par l’emprunt mutualisé, les entreprises gardent leur liberté nécessaire à leur développement.Par l’arrivée sécurisée de nouveaux travailleurs en Europe et par leur contribution essentielle et bénéfique à l’économie européenne, l’Union peut mieux répartir les richesses entre les différents pays tout en sécurisant les flux de migration, qui sont vécu comme un poids pour un pays seul, mais qui est une aubaine à l’échelle de l’UE. Ainsi, la solidarité européenne se marie avec une puissance renouvelée.
Une solution d’avenir ?
Cependant, il est fondamental que cette mesure soit accompagnée de mesures sociales, qu’elle s’accompagne d’exigences écologiques, qu’elle mette un point d’honneur à être éthique dans sa régulation des emprunts et dans sa gestion des flux financiers, et surtout : démocratique. Les régions et le Parlement Européen, doivent participer en tant que co-législateurs aux processus qui eux-même doivent être les plus transparents possible.
Ursula Von der Leyen analysait : “Il y a deux manières de faire : un budget européen financé par les contributions nationales, ou de nouvelles ressources propres”. Au vu de la popularité basse de l’UE à cause de ses dérives actuelles, des élargissements à venir et des différents niveaux de dettes publiques des pays européens, il semble exclu que le budget européen soit financé par des contributions nationales. Répondre à cette question de la dette commune ouvre la porte à plus. Si on imagine une UE capable de réaliser des investissements, et de prélever des impôts notamment sur les grandes richesses , cela lui permettrait de se constituer un budget propre, de remédier aux déséquilibres sociaux et de se prémunir contre les fluctuations économiques.
L’Europe devrait profiter plus que coûter aux États membres, et ne devrait pas faire peser le futur élargissement et des mesures ambitieuses à ses États déjà endettés. Quant aux ressources propres, elles sont créées et partagées par la mise en réseau, l’innovation et notre force d’attirance. A la manière d’entreprises qui achètent ensemble une innovation qui révolutionne leur production, et décident, avec leur plus-value, de rembourser leur dette, et d’utiliser le surplus pour d’autres investissements en commun. On passe d’une logique individuelle à une logique gestionnaire qui se rapproche de la coopérative.
Il y a également un questionnement philosophique sur tout cela : pour quel but voulons nous être compétitif par rapport au reste du monde ? Dans quelle direction voulons-nous faire évoluer l’Union Européenne ?
Une solution fédérale
A bien des égards, une dette commune rapprocherait les Etats membres entre eux, en favorisant la coopération. Ce serait un pas de plus dans la direction du fédéralisme, et ouvrirait la porte à d’autres réformes. Aussi pourrait-on prévoir un système de balance des pouvoirs. Si on estime qu’il est du ressort de l’UE de se doter d’un tel mécanisme économique, alors il sera certainement du ressort des Etats de retrouver du pouvoir dans le contrôle et la mise en place de cette dette commune, et des mesures sociales et écologiques qui l’accompagnaient.
Si on place l’UE comme un niveau qui pense à la place du continent dans le monde et qui a des prérogatives politiques et économiques, les régions et les Etats membres doivent non seulement représenter un contre pouvoir,en ayant un droit de contrôle, et une liberté dans l’application territoriale des politiques. Une séparation des prérogatives internes/externes et sociales/économiques entre les États et l’Union pourrait même être une partie de la solution. Si les Etats membres d’occupent des mesures sociales, et l’Union Européenne s’occupe des mesures économiques et des relations extérieures, ni le Parlement Européen ni les parlements nationaux n’auront cette schizophrénie qu’ils ont actuellement à se voir à la fois comme un parent protecteur pour sa population, et le garant du fonctionnement des marchés, à devoir concilier l’équilibre entre les deux choses et à faire parfois des choix.
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