La Galerie du Taurillon : “Le Boxeur” de Konstantin Somov.

, par Chérine Zidour

La Galerie du Taurillon : “Le Boxeur” de Konstantin Somov.
“Le Boxeur” de Konstantin Somov ( 1933 ) Huile sur toile. Source : WikiArt.org

Histoire d’un peintre et de son modèle.

"Il y a deux jours, j’ai terminé un portrait à l’huile, un nu (en demi-longueur), et ensuite j’ai peint une nature morte à côté de lui : un miroir, derrière lui une commode, sur laquelle reposaient sa chemise et son gilet, avec une paire de gants de boxe accrochée au mur. La peinture n’est pas mauvaise". Dans une lettre à sa sœur, Somov évoque une huile sur toile, celle du ”Boxeur”. Étant un homme sensible aux détails et très critique, surtout envers lui-même, son appréciation laisse deviner une affection particulière de cette œuvre où s’entremêlent vulnérabilité et virilité.

Boris Snejkovsky est dépeint, assis nonchalamment sur une commode, le regard songeur et les muscles saillants, mais ce qui attire notre attention c’est le pubis du jeune homme. L’artiste est dans sa démarche provocante mais tout en subtilité.

De la relation tumultueuse entre le peintre Konstantin Andreïevitch Somov et son modèle naquirent de nombreux portraits et des scènes intimes d’une grande intensité, qui ne manqueront pas de faire parler d’eux dans les années 1920, en raison de la nudité du modèle. Le jeune homme au corps herculéen et au visage pensif représenté dans Le Boxeur, c’est Boris Mikhailovich Snejkovsky, la muse du peintre Somov.

L’artiste russe a été imprégné du milieu artistique dès son plus jeune âge. Né d’un père historien de l’art et conservateur du musée de l’ermitage à Saint-Petersburg et d’une mère musicienne, c’est tout naturellement qu’ il poursuit ses études à l’Académie impériale des beaux-arts de 1888 à 1894. Somov a pour mentor Ilia Répine, l’une des figures russes du réalisme. Vagabond dans l’âme, pérégrinant de la Russie jusqu’en France, en passant par les Etats-Unis, il passe une partie de sa vie à voyager avant de s’établir définitivement à Paris, dans les années 1920. C’est ici dans la ville de l’art et de la culture par excellence qu’il se réinvente et laisse s’exprimer son génie créatif.

Peintre du symbolisme et de l’art nouveau, la gémination du rêve et de la réalité est au cœur de ses œuvres. Oscillant entre la sensibilité et le réalisme de ses modèles, il cherche à nous transporter dans son univers poétique. Plus précisément il s’inscrit dans le mouvement du “dandysme”. Plus qu’un courant artistique, c’est une philosophie, une pensée mettant à l’honneur l’esthétique, la morale et par-dessus tout l’anticonformisme.

L’engouement est tel qu’il fonde “Mir Iskousstva” en 1898 (Мир Искусства, « Le Monde de l’Art ») avec d’autres artistes russes, ses compagnons et amis des Beaux Arts. C’est une association d’artistes qui regroupe de grands noms comme Léon Bakst, peintre et costumier de renom, ou encore Serge de Diaghilev, créateur et impresario, fondateur des Ballets russes et rédacteur en chef de la revue. Une alliance qui incarne l’art russe et qui deviendra par la suite une revue artistique. Les disciplines artistiques y sont représentées sous toutes ses formes : du théâtre, à l’art du spectacle comme du livre. Cette association, ainsi que l’Union des artistes russes (URA) auxquels il adhère contribuent à l’essor de l’art et du symbolisme russe en Occident.

Bien qu’il soit connu pour ses paysages captivants à l’aquarelle, ce sont ses portraits qui font sa renommée. Il peint des personnalités russes tels que le poète Alexandre Blok ou encore l’éminent chef d’orchestre Sergueï Rachmaninov. Il use pour cela d’une technique bien à lui, une fois l’esquisse de son croquis terminée au crayon il le surpose avec de l’aquarelle, et ajuste parfois au crayon de couleur. La gouache étant son matériel de prédilection et il est pourtant tout à fait à l’aise avec de la peinture à l’huile, qui demande minutie et patience. Avec son style bien particulier, on parlera même de “ Genre à la Somov” pour décrire ses œuvres dans le milieu d’amateur d’art russe contemporain. Militant de l’acceptation sexuelle et de la diversité, on peut y voir une revendication affirmée de ses convictions à travers son art.

Outre ses portraits de femmes, ou ses autoportraits, c’est avec ses œuvres provocantes du sulfureux modèle Boris que l’artiste revendique pleinement son art et jouit d’une liberté méritée. Bien qu’un certain mystère auréole la rencontre du jeune modèle et du peintre, on sait que leur relation fut exaltante et dura des années. Il le peindra jusqu’à sa mort, en 1939. Cette intimité se fait ressentir jusqu’au choix de palettes : des tons chauds, obscurs, et d’une douceur sans nom qui contraste avec ses panoramas plus délicat tirant vers des couleurs froides.

Au sommet de son art, c’est en 1903 que sa première exposition personnelle a lieu à Saint-Pétersbourg, sa ville natale. Avec plus de 162 œuvres exposées, c’est une véritable consécration pour un artiste. De Paris à Berlin en passant par les Etats-Unis, Somov a conquis le monde artistique. Cet artiste singulier au pinceau non conformiste est l’un des artistes russes les plus chers à ce jour. La vente aux enchères de sa peinture à l’huile “The Rainbow” a atteint un montant de plus de 7 millions de dollars en 2007, et atteste de son succès et de son influence jusqu’ici.

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Vos commentaires
  • Le 19 mars 2022 à 22:27, par Machado En réponse à : La Galerie du Taurillon : “Le Boxeur” de Konstantin Somov.

    Encore une fois une description qui me rend fou du dandysme. On découvre Somov dans cet article de façon précise de part ce passage fort intéressant sur ses techniques fétiches et charmante en suivant son rapport avec ses paires des beaux-arts et sa muse.

    J’ai adoré. Merci et bien sûr très belle peinture

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