La langue : outil d’inclusion

, par Ioana Cristina Cristocea

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La langue : outil d'inclusion
Illustration : Begüm Saral begum_saral

Comme la plupart d’entre nous l’ont déjà remarqué, il est essentiel de comprendre que le mode de structuration des langues est souvent à la source d’enjeux sociétaux. La langue est au coeur des expériences et des idées de l’individu, et sa composition défaillante permet de limiter ou d’étendre sa sphère mentale.

En tant qu’être humain, notre cerveau fonctionne avec un langage défaillant. En devenant bilingue ou multilingue, notre personnalité se modifie insensiblement en fonction de la langue dans laquelle nous choisissons de nous exprimer. Cette réalité porte à penser que certaines manières d’appréhender la réalité sont modelées par la langue que nous utilisons, et ainsi qu’il faut absolument être conscient de ces modèles et les accepter, ou les rejeter selon le contexte.

Afin d’illustrer la nécessité de tenir compte de cette fonction structurante du langage, l’examen du mot anglais « stranger » pourrait servir de point de départ. Alors que la moitié de ceux qui lisent ce mot pensent initialement qu’il s’agit une personne parfaitement inconnue, les autres décrivent quelque chose de plus étrange. Pour être précis, le recours à l’Oxford dictionary est nécessaire afin de parvenir à bien saisir les deux acceptions de ce terme – « s tranger » est soit « une personne qui nous est inconnue ou avec laquelle nous ne sommes pas familiers » ; soit, en plus de la définition initiale, quelque chose qui est « inhabituel ou étonnant, difficile à comprendre ou à expliquer ».

De plus, examinons un autre mot de la langue anglaise : « préjudice ». Il signifie « une opinion préconçue qui ne repose ni sur la raison ni sur l’expérience. » ; mais également « dommage ou blessure qui résulte ou résulterait d’une action ou d’un jugement ».

Ces similarités nous poussent à nous demander si ces mots ont une relation et de quelle manière. Nos ancêtres, les créateurs de ce système linguistique confus n’ont-ils pas essayé de suggérer que l’étranger est celui que l’on devrait redouter ? Ou plutôt, n’ont-ils pas souhaité illustrer le mal qu’une opinion fondée sur un préjugé pourrait causer ? Ces coïncidences, qualifiées comme telles devraient nous servir à comprendre en quoi le langage utilisé est si important.

La langue est un révélateur à de nombreux égards. Le remplacement d’un mot peut complètement changer le sens de ce que l’on veut dire et il peut en découler tant de nuances différentes qui, sans ce changement, seraient perdues. Les mots impliquent un certain état d’esprit, puisqu’ils sont chargés d’émotions souvent perçues lors de leur usage. Elles sont facilement transmises aux autres et peuvent à leur tour déclencher différentes réactions. « Des choses plus étranges vont se produire. » pourraient vous faire trembler ici quelques instants.

De nombreux autres problèmes résultent de la structure de la langue. La simple existence des étiquettes liées au genre est un des problèmes les plus répandus. Dans de nombreuses langues, les noms des professions sont accompagnés de déterminants masculins ou féminins. L’allemand, l’espagnol, l’italien et le roumain sont quelques unes des langues qui ont gardé cette structure ancienne. « Profesor/ profesoara » en roumain, « Lehrer/ Lehrerin » en allemand, « Maestro, Maestra » en espagnol. Il n’y a absolument aucune raison pour que le genre d’une personne compte dans son choix de carrière, mais comme il y a des mots différents pour les désigner, on peut penser que cela importe.

En outre, un exemple essentiel existe dans la langue roumaine. En effet, le mot « om », qui se traduit par être humain, est considéré comme un terme nouveau, entré dans la langue et importé du français (les mots de cette nature sont appelés des « néologismes »). La raison en est qu’auparavant, il n’y avait aucun terme permettant de faire référence à l’être humain, et, de ce fait, on ne pouvait se fonder que sur leur genre. Les mots « Barbat » = homme, and « Muiere » = femme, étaient utilisés. Le plus étonnant encore est le fait que « muiere » est aujourd’hui utilisé sur un ton péjoratif, qui ressemble au vieux modèle de la femme, propriété de l’homme.

Ce ne sont pas des considérations théoriques. La langue a un effet direct sur nos actions. Des études suggèrent, que lorsque l’on se réfère à une profession en utilisant son nom masculin, les filles considèrent que ces occupations sont plus difficiles à exercer que si l’on s’y réfère avec un mot neutre ou à double genre : masculin et féminin.

Même si ces exemples sont des cas isolés, ils n’ont pas été choisis complètement au hasard. Ils l’ont été parce qu’ils participent à la famille sémantique du thème de cet article, celui de lutter contre la discrimination sur un front de plus. Il ne s’agit pas de se limiter aux mots à double sens ou à ceux qui seraient fondés sur leur genre.

La problématique relève d’un domaine plus étendu que celui-là. Elle inclut par exemple le fait de traiter une femme de « garce »/« pute » au cours d’une dispute. Dans la plupart des cas, le mot choisi ne veut pas dire que le sujet est une « femme facile », mais il s’agit d’une insulte universelle destinée à blesser l’autre. Alors qu’il n’est objectivement pas justifié de juger autrui d’après le partenaire qu’il se choisit ou leur nombre. Il est vraiment très important de comprendre que l’usage fréquent de ce mot en tant qu’insulte fait bien plus de mal que de blesser les gens. Cela renforce le stéréotype que la femme doit limiter le nombre de ses partenaires. Il sous-entend l’idée qu’elle se voit refuser l’accès à sa propre sexualité. Le mot ne blesse pas seulement, il efface les progrès pour lesquels l’histoire récente a combattu, particulièrement si l’on considère comment son équivalent masculin « gigolo » est parfois porté avec fierté comme une étiquette, renforçant l’idée que plus le nombre de ses conquêtes sera élevé, plus la masculinité de l’homme en sera renforcée.

Un modèle similaire s’applique quand on utilise un terme péjoratif pour se référer à la race ou l’appartenance ethnique de quelqu’un. Le but recherché peut être celui de lancer un blague mais peut aller jusqu’à adresser une remarque destinée à blesser intentionnellement ; cependant, le résultat a des répercussions allant bien au-delà de la personne visée.

Tout choix verbal importe parce qu’il peut contribuer à briser les vieilles croyances, ou il peut seulement ajouter un nouvel obstacle à la lutte pour laquelle nous devrions tous participer. La première étape est de prendre conscience des implications des mots que nous choisissons. En effet, les mots comptent.

Cet article a été publié par Meeting Halfway. Meeting Halfway est un magazine européen multilangues.

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