Une réforme controversée réduisant les garanties de l’Etat de droit au profit d’un Parlement fort
La réforme est transversale, et touche notamment la magistrature, considérée comme une « caste » [1] par l’exécutif polonais. Concrètement, la baisse de garanties constitutionnelles se fait au profit d’un pouvoir toujours plus important du Parlement polonais. Il décidera par exemple des membres d’une commission judiciaire spéciale remplaçant la Cour suprême polonaise, et élira directement les membres du Conseil National de la Magistrature. [2]
La Commission européenne en conclut que le système judiciaire est soumis au « contrôle politique de la majorité au pouvoir » [3] - actuellement, le parti du Gouvernement, Droit et Justice (PiS). Cette violation de la séparation des pouvoirs entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire est considérée comme une atteinte à l’Etat de droit dont le principe est consacré par l’article 2 du TUE.
Un mécanisme de prévention surtout déclaratif
Cette réforme a donc mené Frans Timmermans à déclarer le 20 décembre que le mécanisme de prévention de l’article 7-1 TUE était officiellement invoqué par la Commission. La procédure menant à ce premier mécanisme passe par une proposition motivée « d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne » [4], votée par le Conseil des ministres après avoir obtenu l’approbation du Parlement. Si le Conseil décide qu’il « existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs [de l’Union] » [5], le mécanisme est enclenché.
Actuellement, la procédure ne fait donc que débuter. D’après Frans Timmermans [6], le Parlement européen devrait se prononcer pour l’application du mécanisme de prévention au vu de ses dernières prises de position sur le sujet. Cependant, au Conseil, les quatre cinquièmes des voix nécessaires à un vote pour l’activation de l’article 7-1 TUE seront déjà plus difficiles à rassembler. En effet, certains pointent déjà un double standard entre les velléités de sanctions contre la Pologne et l’attentisme contre la Hongrie par exemple [7], et certains Etats membres pourraient bien préférer voir des institutions timorées que réellement garantes de l’Etat de droit.
Mais Frans Timmermans a livré une position nuancée lors de sa déclaration du 20 décembre. Il refuse l’appellation d’ « option nucléaire » quant à cette démarche. Il affirme demander aux institutions d’ « analyser la situation » et le risque de violation de l’Etat de droit, pour tenter encore une fois de « commencer un dialogue » avec Varsovie. Il laisse trois mois à l’exécutif polonais pour faire évoluer ses positions, tandis que le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a invité Mateusz Morawiecki à venir à Bruxelles le 9 janvier 2018 pour, encore une fois, tâcher de dialoguer avec lui.
Le mécanisme de sanction et l’impossible unanimité
Pour passer au second mécanisme dit « de sanction », le Conseil européen doit décider à l’unanimité, avec l’aval du Parlement européen, de « l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs [de l’Union] ». [8] La sanction de suspension des droits de vote de l’Etat concerné au Conseil ne peut avoir lieu qu’après cette décision.
Dès lors, le moindre soutien au sein du Conseil européen pour l’Etat membre visé rend impossible l’application de ces sanctions… Le vice-premier ministre de Hongrie, Zsolt Semjén, a le 20 décembre douché les espoirs de vote consensuel en déclarant à ce propos qu’il était « inacceptable que Bruxelles fasse pression sur les États souverains ». [9]
La solidarité entre Etats membres cherchant à modifier l’équilibre de pouvoirs de l’Etat de droit ou à s’affranchir des valeurs de l’Union semble donc mettre en échec les possibilités de contrôle portées par l’Union.
Une position téméraire
La situation paradoxale dans laquelle les institutions européennes se sont engagées semble porter le risque d’un échec simple et cuisant. Le coût réputationnel d’une lettre morte, tout comme le triomphe du PiS en tant que chantre de la liberté polonaise contre des institutions européennes vues comme punitives, seraient deux problèmes considérables. On peut s’interroger sur la démarche du mécanisme de prévention, si déclaratif, dans un contexte si hostile à un vote unanime contre la réforme polonaise. Le mécanisme de sanction paraît inatteignable, et la position de la Commission semble téméraire.
Dans cette perspective, la possibilité de conditionner l’accès polonais aux fonds de cohésion se fait jour, d’autant plus que la Pologne figure parmi les pays les plus bénéficiaires de ces derniers. Aujourd’hui, il n’existe qu’un moyen de suspendre l’accès d’un Etat membre au fonds de cohésion : la procédure de déficit public excessif définie par l’article 126 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et le protocole sur la procédure applicable en cas de déficit excessif. [10] Le Conseil se prononce alors à la majorité qualifiée. Mais cette procédure ne correspond pas à la situation actuelle, portant sur la garantie de l’Etat de droit et pas sur la gestion des budgets des Etats membres.
Nathalie Loiseau, ministre française des Affaires européennes, explique qu’« un pays qui dérive par rapport à l’État de droit doit faire le choix : il est souverain, mais il ne peut pas demander en même temps à Bruxelles d’être soutenu par des milliards de fonds de cohésion ». [11] Définir la suspension des fonds de cohésion comme un nouveau levier de sanction devrait élargir le répertoire d’action des institutions… à moins que ce nouveau mécanisme ne soit soumis au même problème d’une décision à l’unanimité au Conseil européen par exemple. La négociation autour du prochain cadre financier pluriannuel de 2020-2026, qui va avoir lieu au printemps 2018, amènera sans aucun doute ces questions au cœur des discussions, et la France et l’Allemagne devraient porter ensemble une position comparable à celle de Nathalie Loiseau. [12]
L’article 7 TUE, une autre illustration d’un modèle institutionnel introuvable
Dans une Union où un Etat membre peut réduire les garanties de son Etat de droit en courant un risque politique minime, l’absence de véritable coercition porte un préjudice direct aux droits des citoyens. Les modalités de la décision du mécanisme de sanction par le Conseil européen rendent très incertain le devenir d’une déclaration qui pourrait bien rester lettre morte. L’appellation « bombe atomique cache mal un mécanisme boiteux, difficile à atteindre et très enclin à susciter l’euroscepticisme dans des Etats où l’Union est vue comme confiscatoire de la souveraineté. En effet, la suspension des droits de vote au Conseil est une action très violente symboliquement puisqu’elle fait taire la voix politique d’un Gouvernement d’Etat membre. Le choix d’une suspension des fonds de cohésion peut sembler plus adapté, à condition que le mécanisme dédié puisse être voté plus facilement que la sanction de l’article 7-2 TUE.
Entre le soutien de la Hongrie de Viktor Orbán et l’absence de résultats donnés par la négociation jusqu’aujourd’hui, on voit simplement se dessiner un cas d’école de la querelle entre intergouvernementalisme et fédéralisme européen. « Je suis fermement convaincu que les États souverains – et l’Europe doit être une Europe des États souverains – ont un droit absolu de réformer leurs systèmes judiciaires » [13], explique Mateusz Morawiecki. Le problème est que dans une Europe des Nations, la position des institutions européennes sur l’Etat de droit sera toujours bancale puisque la souveraineté des Etats est présente. C’est une question de modèle institutionnel : si l’Union a vraiment vocation à être garante de l’Etat de droit, il faut se diriger vers davantage de fédéralisme. Le contrôle institutionnel pourra alors devenir efficace et sortir d’un entre-deux chimérique et peu crédible, reposant systématiquement sur un accord, qui plus est unanime, des Gouvernements. Mais encore faut-il que les Etats membres souhaitent aller dans ce sens.
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