La Pologne sous pression ?

, par Marc de Carrière

La Pologne sous pression ?
Beata Szydło, Première ministre polonaise qui mène le gouvernement du PiS, était au Parlement européen lors de la session de janvier. Les attaques des parlementaires européens ont été vives. - © European Union 2016 - European Parliament (CC/Flickr).

Etat clé parmi ceux ayant adhéré en 2004, la Pologne opère un virage à droite qui déstabilise l’Union européenne. Les réformes détricotant l’Etat de droit se succèdent sous les yeux de responsables européens qui n’ont qu’une courte marge de manœuvre.

« Mieux vaut se disputer à l’air libre que d’être d’accord derrière des barreaux. » Ce proverbe polonais est tristement d’actualité, au moment où le fraichement élu gouvernement de Beata Szydlo commence à faire des purges dans la presse et la Justice nationale. Le parti « Droit et Justice » (PiS), fondé par Jaroslav Kaczynski n’y va pas par quatre chemins. En politique comme sur la route, priorité à droite. Avec un programme basé sur la défense de l’économie et de l’identité catholique polonaise, le parti populiste a su surfer sur les enjeux migratoires européens et la xénophobie ambiante du continent. Pourtant la Pologne avec une croissance de 3,5% du PIB semblait hors d’atteinte des velléités de l’extrême droite. Néanmoins la question de l’identité nationale a su orienter le débat.

« Salut dictateur » bis repetita pour Jean-Claude Juncker, président de la Commission, qui envisage une procédure pour atteinte à l’Etat de droit. Le 13 janvier s’ouvrait l’enquête préliminaire. Après audition le 18 et 19 janvier de la Première ministre, Beata Szydło, et les vives attaques de Guy Verhofstadt au Parlement européen, c’est au tour de Witold Waszczykowsky, en charge des Affaires étrangères, de s’expliquer dans une tribune pour le Monde. Pour le ministre de Affaires étrangères, la Pologne reste résolument européenne et les changements orchestrés par le gouvernement sont logiques, et même démocratiques.

La modification de la composition du Tribunal ne fait que corriger la violation de la coalition précédente, cette dernière n’ayant pas respecté le pluralisme politique en nommant 14 des 15 juges siégeant au Tribunal constitutionnel de Pologne. Comme garantie de caution, le gouvernement a demandé l’avis de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe. Récemment, le gouvernement a placé le parquet sous le contrôle direct du ministre de la Justice.

La réforme des médias publics selon lui s’explique par la volonté de rétablir et de garantir le sens de mission publique du 4e pouvoir. Une formulation assez vaseuse in fine : dessiner une ligne politique en relation avec la position des pouvoirs publics, voilà un phrasé assez oxymorique pour l’entité qui doit être le garde-fou de l’Etat de droit. Le malaise s’intensifie lorsqu’on prête une oreille attentive aux justifications de Droit et Justice. Selon Elzbieta Kruk, députée du parti, « ces médias relayaient des tendances idéologiques et morales qui n’étaient pas acceptées par la plus grande partie de la population ». Bel argument pour un parti prétendant vouloir restaurer un pluralisme bafoué. Ryszard Terlercki, chef du groupe parlementaire va encore plus loin ; pour lui « les médias ne pouvaient pas critiquer constamment les changements de loi mis en place par le gouvernement ». De quoi mettre en garde l’opposition parlementaire, craignant d’être muselée au fur et à mesure de la mise en place du programme conservateur.

Elle n’est pour autant pas en reste. Pour Andrzej Rzeplinski, président du Tribunal constitutionnel polonais où cinq nouveaux juges « PiS » viennent d’être nommés, les agissements du gouvernement élu ne doivent pas compromettre l’indépendance des juges. « On fait notre travail. Que le gouvernement fasse le sien », a-t-il déclaré à France 2. L’opposition ainsi que la société n’est pas en reste quant à ces mesures.

Très vite s’est constitué le Comité de Défense de la Démocratie, le KOD, fondé par Mateusz Kijowsky. Pour lui ces mesures sont dignes d’une régression vers « l’époque communiste », un propos partagé par leurs aïeux.

La plume d’Adolf Rudnicki a déjà trempé dans l’encre cet éternel fantôme planant sur la Pologne : « Le désespoir est un plat qui revient invariablement sur notre table », écrivait-il.

L’Union européenne : réponse tranchée, acte précipité ?

Frans Timmermans puis Martin Schulz ont eu des mots violents à l’égard des nouveaux venus. Un véritable « coup d’Etat » pour le président du Parlement européen. Une nécessité de placer Varsovie sous surveillance pour Günter Oettinger, commissaire au Numérique.

Pour Jacques Rupnik, directeur de recherche au centre de recherche internationales à Sciences Po, cette rapidité de réponse s’explique par la volonté de la commission d’éviter un imbroglio à l’instar de Viktor Orban. En effet, en 2012, l’Union européenne avait ouvert trois procédures d’infraction contre Budapest. Si l’Union européenne défend ses principes de droit bec et ongle, conformément aux traités, le grand Est tend à diverger de la position commune. Si la Pologne devient cet acteur incontournable de l’Union en même temps qu’une réussite en matière d’adhésion, elle n’est pas encore suffisamment influente pour mobiliser les franges orientales du continent européen selon monsieur Rupnik. Néanmoins, une politique commune en matière d’immigration est manifeste à l’Est et s’agrège autour des décisions du groupe Visegrad (Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Pologne). Plus qu’un refus de la politique de quota, certains membres vont jusqu’à entamer des poursuites contre la Commission devant la Cour de Justice de l’Union européenne sur le bienfondé de cette décision communautaire, y voyant en elle une répartition autoritaire unilatéralement décidée par Berlin.

On peut cependant donner raison à monsieur Waszczykowksi sur un point : montrer du doigt la Pologne n’est pas une solution, pour elle-même, mais surtout pour l’Union européenne qui prête une nouvelle fois le flanc à la critique souverainiste. Pour le ministre, « l’Union européenne doit être une partie de la solution et non pas la source du problème ». Il termine sa tribune en assurant que la Pologne restera un membre actif et responsable de l’Union et continuera « à jouer un rôle de premier plan dans l’édification d’une Union plus forte, plus flexible et plus ancrée dans la solidarité ». Le fédéralisme reste cependant hors de question pour le quidam.

Manifestations de la société et « shaming » des institutions ne semblent pas bouger le monolithe politique de PiS. Ce qui est néanmoins certains c’est que la Pologne va très fortement chuter dans le classement mondial de la liberté de la presse réalisé par Reporters Sans Frontières. Quinzième en 2015, elle se plaçait devant la France (38e), le Royaume-Uni (34e) et le Luxembourg (19e).

Si PiS entend faire honneur à l’Histoire de la Pologne, écouter sa figure politique tutélaire, Lech Walesa, serait bienvenue, ce dernier mettant en garde les dirigeants contre un risque de guerre civile et appelant à voter ces nouvelles réformes par référendum. Evidement la politique sait toujours sélectionner l’histoire qui lui sied le mieux.

Cet article est paru dans notre édition locale bordelaise, le Taurillon dans l’Arène, ce mois-ci. Retrouvez l’intégralité de l’édition sur le site des Jeunes Européens - Bordeaux.

Sources :
 Dérive autoritaire en Pologne, l’Europe embarrassée.
 La liberté de la presse en Europe.
 La Pologne est-elle en train de se poutiniser ?
 « Non, la démocratie n’est pas menacée en Pologne ».

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