Dix mois après la réélection contestée du président bélarusse Alexander Lukashenko, les tensions avec les forces démocratiques n’ont pas cessé. Elles ont en revanche pris un nouveau tournant dimanche 23 mai au soir lorsque les autorités du pays ont détourné un avion de la compagnie Ryanair reliant Athènes à Vilnius en le forçant à atterrir à Minsk.
Si le motif invoqué par les officiels du pays était celui d’une alerte à la bombe, les Européens estiment que c’est pour arrêter le journaliste et opposant au régime Roman Protassevitch, présent à bord, que l’avion a été détourné. “Si vraiment il y avait urgence, l’aéroport de Vilnius était clairement plus proche”, a d’ailleurs fait observer l’ancien ministre des Affaires étrangères suédois Carl Bildt. Au moment où le pilote de l’avion est sommé de dévier de sa trajectoire, il n’était qu’à 90 km de l’aéroport de Vilnius. Minsk était à 200 km. Les craintes européennes n’ont pas été apaisées puisqu’au moment du redécollage de l’appareil, l’opposant et sa compagne manquaient toujours à l’appel.
Retrouvé par France Inter, l’un des passagers - un ressortissant français - raconte la scène. “Quand on était tous dans les bus on pensait que c’était fini mais ils ont fait sortir à nouveau un passager qu’ils ont contrôlé, vidé son sac, ils ont fait renifler les chiens. On a vu le même homme se faire escorter par 2-3 policiers”. Et de confirmer que l’ancien rédacteur en chef du média d’opposition Nexta n’est pas remonté à bord de l’avion. “Son siège était vide lorsqu’on est reparti vers 21h”.
Au niveau européen, des condamnations et des sanctions
Tout au long de la soirée, les messages de condamnation des dirigeants européens se sont succédé. Ils dénoncent “un acte de terrorisme d’État sans précédent” qui ne restera pas sans conséquences. A quelques heures du sommet, la pression s’est accrue sur les dirigeants européens, les sommant d’adopter des mesures fermes à l’encontre du régime bélarusse. En amont de la rencontre, les responsables européens promettaient des actions fortes.
Après une discussion à huis clos (les appareils électroniques ont été interdits dans la salle de réunion) qui a duré moins de deux heures, les Vingt-Sept se sont accordés sur une conclusion commune. Ils appellent ainsi à la libération immédiate de Roman Protassevitch et sa compagne, débarquée du vol avec lui. Ils pressent l’Organisation de l’aviation civile internationale d’ouvrir une enquête sur cet accident "inacceptable et sans précédent”. L’organisation onusienne a annoncé convoquer une réunion exceptionnelle de ses membres prévue pour le 27 mai afin de se saisir de la question.
Les compagnies aériennes basées en Europe sont également invitées à ne plus survoler le Bélarus et les dirigeants européens ont également ouvert la voie à une interdiction d’accès des compagnies bélarusses à l’espace aérien. “Cela fait des recettes en moins pour le régime bélarusse parce que tout survol d’un espace aérien ce sont une partie des taxes aériennes qui reviennent au pays”, expliquait à ce sujet le secrétaire d’État français aux Affaires européennes Clément Beaune en début de journée.
Par ailleurs, les dirigeants européens en appellent au Conseil de l’UE (qui réunit les ministres européens) à élargir la liste des sanctions contre des responsables et des entités bélarusses, et à adopter d’autres sanctions économiques plus ciblées. Des décisions fortes, adoptées rapidement, un fait suffisamment rare dans la diplomatie européenne pour être souligné.
Le gouvernement lituanien n’a pour sa part pas attendu les résultats des discussions au sommet européen et impose d’ores et déjà aux compagnies aériennes lituaniennes d’éviter de survoler l’espace aérien biélorusse. Une décision qu’un certain nombre de compagnies aériennes ont déjà mise en œuvre, dont la compagnie lettone AirBaltic qui l’a fait savoir sur ses réseaux sociaux, suivie quelques heures plus tard par la compagnie aérienne Lufthansa, qui a elle aussi vu un de ses avions (à destination de Francfort en Allemagne) retenu sur le sol bélarusse.
Inquiétudes quant à l’état de Roman Protassevitch
En parallèle, les conditions dans lesquelles se trouve le journaliste de 26 ans continuent d’inquiéter. Dans la soirée de lundi, les médias gouvernementaux bélarusses ont diffusé un message enregistré de l’opposant dans lequel il confirme être détenu au centre de détention de Minsk. Dans la vidéo d’une trentaine de secondes, il assure être traité “correctement” et “légalement”. Une version à laquelle croit peu l’entourage de la leader démocratique du Bélarus Sviatlana Tsikhanouskaya, tout comme au caractère spontané de ses déclarations. La famille du journaliste craint quant à elle de le voir torturé et a exprimé de vives inquiétudes quant à son état de santé. L’association européenne des journalistes appelle à la libération immédiate des 29 journalistes actuellement détenus au Bélarus et réclame, en plus de sanctions, une investigation internationale à l’encontre des auteurs de ces arrestations face à ce qu’ils qualifient de “terrorisme d’État”.
En fonction des charges qui lui sont reprochées par le régime de Loukachenko, Roman Protassevitch risque 15 ans de prison pour avoir organisé des manifestations, voire la peine de mort, s’il est condamné pour terrorisme par Minsk.
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