La réforme des retraites : Bruxelles responsable ?

Pourquoi cette infox se propage-t-elle en France ?

, par Justin Horchler

La réforme des retraites : Bruxelles responsable ?
crédit : unsplash

La réforme des retraites du gouvernement français serait dictée par la Commission européenne, en tout cas, c’est ce qu’avancent certains. Cette théorie a été propagée par des groupes généralement eurosceptiques et souvent situés aux extrémités de l’hémicycle. Cependant, cette rumeur ne reflète pas la réalité.

L’Union européenne est la responsable idéale ; déjà accusée d’imposer ses ambitions aux États membres, d’être une bureaucratie insensible et loin des réalités des citoyens, et de chercher à tout prix la stabilité budgétaire. Parallèlement, le Président français Emmanuel Macron est ouvertement pro-européen, issu de l’élite, et favorable à une balance du budget de l’État. Ainsi, les deux acteurs sont de parfaites cibles pour des publications populistes qui répandent l’infox en question.

Des recommandations européennes

En 2019, le Conseil de l’Union européenne a effectivement encouragé la France à réformer son système de retraite. Dans une de ses recommandations du 9 juillet 2019, le Conseil suggère que :

"La réforme prévue du système de retraite pourrait aider à alléger la dette publique à moyen terme et réduire ainsi les risques pesant sur sa soutenabilité. (...) Plus de quarante régimes de retraite coexistent en France. Ils concernent des catégories de travailleurs différentes et fonctionnent selon des règles qui leur sont propres. Un projet de loi, attendu avant la fin de l’année, devrait uniformiser progressivement les règles de ces régimes, en vue de simplifier le fonctionnement du système de retraite, notamment pour améliorer sa transparence, son équité et son efficacité.

(Le Conseil de l’Union européenne) recommande que la France s’attache, en 2019 et 2020 : (...) à réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite, en vue de renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes."

Toutefois, cette recommandation n’a pas d’effet contraignant pour la France, et demeure vague. L’article 288 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose clairement que "Les recommandations et les avis ne lient pas" contrairement à d’autres types de législations. Cela s’applique également pour une recommandation trois ans plus tard de la même institution et dont l’idée générale demeure semblable.

La Commission : maitre-chanteur à temps-partiel ?

Alors, pour toujours faire peser la responsabilité sur l’Union européenne malgré une réalité plus complexe, certains vont accuser l’Europe d’imposer ses choix de manière indirecte.

Marie le Pen, députée du Rassemblement national, explique que ce projet est le résultat d’une « forme de chantage » de la part de l’Union européenne. Et selon le Président de son parti, Jordan Bardella, la réforme des retraites "était la contrepartie du plan de relance qui a été octroyé à la France par les institutions européennes après la crise sanitaire".

La France s’est bien engagée auprès de Bruxelles à réformer le système de retraite pour obtenir des fonds européens du plan Next Generation EU.

Next Generation EU est une initiative de la Commission européenne cherchant à relancer l’économie européenne post-covid grâce à des investissements importants. Ces financements ont été accordés aux États après qu’ils se soient engagés à certains objectifs. La réforme des retraites a effectivement été mentionnée dans le projet déposé par le gouvernement français auprès de Bruxelles. Toutefois, cette ambition demeure vague et imprécise.

Le document prévoit que : « Nous [le gouvernement français, N.d.A.] restons déterminés à mener une réforme ambitieuse du système de retraites, visant à en améliorer l’équité et la soutenabilité. (...) Cette réforme est (...) essentielle pour lever les freins aux mobilités sur le marché du travail et assurer l’universalité de la couverture retraite quels que soient les statuts et les parcours professionnels. »

Ces informations sont en réalité une réponse aux recommandations communautaires déjà mentionnées dans l’article. Ce document n’engage pas la France ; la Commission européenne ne peut donc pas conditionner la délivrance des fonds de relance à une réforme des retraites. A contrario, elle le peut sur des investissements verts car les objectifs sont clairs et chiffrés.

Les retraites : une variable pour balancer le budget français

Lors de la signature du traité de Maastricht, les États européens se sont accordés sur des objectifs financiers à respecter. Les plus célèbres sont la limite de 3% du PIB de déficit budgétaire, et le plafond de 60% d’endettement. L’aspiration est ainsi de maintenir une certaine stabilité et durabilité budgétaire. Ces critères de convergences doivent être respectés sous peine d’amende pouvant aller jusqu’à 0.5% du PIB de l’État.

En réalité, le respect de ces critères a été suspendu après les bouleversements de la pandémie de la Covid-19. En outre, la France viole ces plafonds depuis longtemps et sans jamais avoir été condamnée pour cela.

L’Union européenne a recommandé à la France de réduire ses finances publiques grâce, inter alia, à une réforme des retraites. Toutefois, la France peut assainir son budget en adoptant une autre stratégie. Le gouvernement ne peut se voir imposer une réforme par l’Union européenne, surtout quand elle est aussi importante que celle du système des retraites ; ce serait une grave violation du droit.

Ainsi, le projet de réforme des retraites est entièrement de la responsabilité du gouvernement français. Nul n’a « dicté » les grandes lignes du dessein de la majorité présidentielle. Il y a simplement un accord idéologique sur les questions économiques entre Emmanuel Macron et la Commission européenne, Bruxelles n’a donc pas besoin, ni ne peut imposer cette réforme.

Certains politiciens à l’argumentation fallacieuse, ou du moins trompeuse, rapprochent ces réalités pour propager une infox questionnant le lien entre Paris et la Commission sur ce sujet ; rumeur qui se propage d’autant plus vite qu’elle reprend un cliché ancien. Mais la réalité est bien plus nuancée.

Pour résumer : il s’avère que tant l’Union européenne que le gouvernement français sont favorables à une telle réforme, mais si la majorité présidentielle ne la souhaitait pas, Bruxelles ne pourrait nullement l’imposer.

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