La réforme du système d’asile européen, toujours d’actualité ?

, par Léa C. Glasmeyer, Quentin Arnal

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La réforme du système d'asile européen, toujours d'actualité ?
Camp de réfugiés à Kamp Lipa en Bosnie-Herzégovine, près de la frontière croate Union européenne, 2021/Elvis Barukcic/Copyrigth

Le 8 juin, les ministres de l’Intérieur de l’Union européenne se sont mis d’accord sur une réforme du régime d’asile européen commun (RAEC) qui doit introduire de nouvelles règles uniformes en matière de contrôle aux frontières. La proposition de réforme vise à harmoniser les procédures d’asile, les conditions d’accueil et la répartition des réfugiés au sein de l’UE grâce à des procédures de contrôle obligatoires aux frontières extérieures européennes. Même si on ne sait pas encore quand et si l’accord conclu par le Conseil de l’Union européenne sur la réforme du RAEC, en collaboration avec la Commission européenne et le Parlement européen, sera transposé dans une législation spécifique, une telle réforme du RAEC fait déjà débat entre les Etats membres de l’UE depuis des années. Alors que la ministre allemande de l’Intérieur, Nancy Faeser, parle d’un grand succès, l’accord sur de nouvelles « procédures aux frontières » fait également l’objet de nombreuses critiques. Mais de quoi s’agit-il et que se cache-t-il réellement derrière cette réforme ?

La nécessité d’une réforme du droit d’asile

Actuellement, les demandeurs d’asile ne sont pas traités de la même manière dans les pays de l’UE, si bien que la part de réponses positives de demande d’asile varie fortement d’un pays à l’autre. Cela a amené à ce que dans les années précédentes, les demandeurs d’asile se rendaient le plus souvent dans les pays dans lesquels ils avaient une plus grande chance de bénéficier d’une protection internationale.

La « crise migratoire » de 2015 et les inégalités qui en ont résulté dans le traitement des réfugiés en fonction du pays d’accueil ont finalement mis en évidence la nécessité de réforme. Alors que la Commission européenne a proposé des quotas de répartition obligatoires pour répartir plus équitablement le poids de l’accueil et de l’intégration des réfugiés entre les Etats membres, ces propositions ont déclenché des controverses et des désaccords. Après des années de divergence d’opinions, on a pu s’accorder sur les objectifs principaux suivants : un cadre commun pour la gestion de la migration et de l’asile, l’amélioration de l’efficacité du système, le renforcement de la capacité à faire face à la pression migratoire, la suppression des facteurs d’attraction et de mouvements secondaires (lorsque des migrants quittent le pays dans lequel ils sont arrivés en premier pour chercher protection ailleurs ou s’y établissent durablement) ainsi que la lutte contre les abus, tout en apportant un plus grand soutien aux Etats membres qui sont les plus concernés par l’immigration.

Aperçu des propositions législatives

Les positions du Conseil de l’Union européenne adoptées en juin s’accompagnent de plusieurs propositions législatives. Un nouveau règlement de la gestion de l’asile et de l’immigration doit tout d’abord voir le jour. Le système de Dublin actuel qui détermine quel Etat membre est responsable du traitement d’une demande d’asile, doit être ainsi remplacé par un nouveau système de solidarité qui répartit cette responsabilité uniformément entre les Etats membres. La base de données européenne Eurodac qui contient les empreintes digitales des migrants en situation irrégulière doit également être réformée pour récolter des données supplémentaires et simplifier l’accès au fichier des administrations chargées de déclencher des poursuites pénales. La réforme de l’Eurodac permettra également de renforcer le contrôle et la détection des mouvements clandestins au sein de l’UE.

De plus, depuis janvier 2022, l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA) remplace le bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO). Cela est censé permettre l’amélioration dufonctionnement du système d’asile commun européen en offrant aux Etats membres une aide opérationnelle et technique et en assurant la cohérence de l’examen des demandes de protection au niveau international. Le 22 juin 2022, le Conseil de l’Union européenne a en outre donné son feu vert pour négocier avec le Parlement européen un règlement relatif au filtrage, qui vise à déterminer la procédure correcte applicable à une personne entrant dans l’UE qui ne satisfait pas les conditions d’entrée. Le règlement comprend l’identification, des contrôles de santé et de sécurité, un relevé d’empreintes digitales et l’enregistrement dans la base de données Eurodac. Cette décision se rapporte aux propositions de la Commission européenne dans le cadre du Pacte sur la migration et l’asile du 23 septembre 2020.

L’objectif global de la proposition de réforme est donc d’harmoniser les conditions d’accueil pour tous les demandeurs d’asile, en assurant le droit au travail, à l’éducation pour les mineurs et la nécessité de désigner un tuteur pour les mineurs non accompagnés. La création de centres d’accueil aux frontières extérieurs de l’UE, où seront amenés après leur arrivée les personnes en provenance de pays d’origine considérés comme sûrs et où leur droit à l’asile devra être examiné, a été fortement critiquée.

Procédures aux frontières : Plus d‘équité dans la répartition des réfugiés ou négation des droits de l’Homme ?

Si les plans de la Commission européenne devraient être mis en œuvre, le règlement de Dublin, jusqu’à présent en vigueur, d’après lequel les demandes d’asile doivent être formulées dans le premier pays d’arrivée, devrait lui aussi être modifié. Grâce aux nouvelles « procédures aux frontières », les ressortissants de pays ayant peu de chances d’obtenir le droit d’asile resteront pour la durée de l’examen de leur statut d’asile, dans des structures d’accueil créées aux frontières extérieures européennes. Cette mesure était jusqu’alors pratiquée en Grèce, désormais elle devrait obtenir un cadre juridique.

Bien que la Pologne et la Hongrie s’y opposaient, un accord a été conclu à la majorité qualifiée. Cet accord instaure en même temps un mécanisme de solidarité qui permet la réinstallation de réfugiés vers d’autres États membres de l’UE. Les Etats membres sont toutefois libre d’y participer ou de refuser en versant une indemnité de 20.000 Euros par demandeur d’asile. Afin que l’accord puisse entrer en vigueur avant la fin de la période législative en 2024, il doit être approuvé par le Parlement européen, où une majorité de députés est favorable à une politique d’asile plus laxiste et à une répartition de réfugiés obligatoire entre les Etats membres.

Les propositions de réforme prévoient également d’expulser, à l’avenir, dans des pays hors de l’UE les demandeurs d’asiles dont la demande a été refusée, s’ils ont des liens avec ce pays. Ce qui est exactement considéré comme « liens » doit être décidé par les États membres responsables des procédures d’asile. Potentiellement, il pourrait être suffisant pour les personnes concernées d’avoir simplement traversé le pays en question.

Lors du sommet européen de Bruxelles en juin, la Pologne et la Hongrie ont de nouveau fait barrage contre l’adoption d’une déclaration sur la politique migratoire et ont refusé de trouver un compromis sur la question. Une conclusion commune n’a ainsi pas pu être rendue, tant le texte final reflétait uniquement les points de vue du Président du Conseil Européen, Charles Michel, et non les points de vue collectifs de l’ensemble des 27 Etats membres. Ces divergences d’opinions ont conduit à une passe d’arme publique entre la première ministre italienne Giorgia Meloni qui soutient le pacte de migration et le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki – bien que les deux soient partisans d’une politique migratoire dure et stricte.

Les négociations se poursuivent maintenant entre les membres du Parlement européen afin d’aboutir à un accord. Charles Michel a déclaré que le pacte migratoire avait été confirmé et allait être mis en œuvre, soulignant les progrès réalisés en matière de politique migratoire de l’UE. Le Président du Conseil européen reste cependant comme toujours confiant quant au respect de la législation européenne. Le chancelier allemand Olaf Scholz s’est aussi dit optimiste en ce qui concerne la mise en œuvre du pacte et a appelé à des progrès rapides en la matière avant les prochaines élections européennes.

Une critique justifiée ?

Dans l’ensemble, la réforme prévoit le durcissement des procédures aux frontières qui permettent de placer les demandeurs d’asile en rétention. Le délai du traitement de ces procédures doit passer de quatre à douze semaines maximum, ce qui doit donc porter le total à seize semaines. C’est pourquoi on redoute que l’internement des personnes déjà traumatisées par leur fuite ne représente un poids psychique supplémentaire. Parallèlement, les faux rejets seraient plus probables, de sorte que les personnes seraient expulsées vers des pays tiers peu sûrs ou renvoyées dans leur pays d’origine, malgré un risque accru.

Certaines catégories de personnes pour lesquelles le taux de demande positive à l’échelle de l’UE est inférieur à 20% seront dorénavant toujours soumises à ces procédures aux frontières. Cela concerne par exemple les migrants d’origine turque, indienne, tunisienne, serbe ou albanaise. La réforme permet également aux Etats membres de passer des accords avec des pays tiers non européens. A cet égard, il est important qu’il existe un lien entre les demandeurs d’asile et le « pays tiers sûr », la détermination de ce lien reste cependant à l’appréciation des Etats membres. Cette mesure pourrait entraîner des expulsions vers des pays tiers peu sûrs et des expulsions en chaîne.

Malgré la réforme, le problème principal du système d’accueil européen reste le même et la responsabilité de l’accueil incombe toujours au premier pays dans lequel les migrants sont arrivés (Règlement Dublin). Il est donc proposé un mécanisme de solidarité qui ne prévoit pas de soulager efficacement les États se trouvant aux frontières extérieures, à travers la redistribution des réfugiés. Au lieu de cela, des versements d’argent peuvent être effectués à des pays tiers non européens ou des conventions de protection des réfugiés peuvent être signées avec ces pays. Afin de compenser les dépenses financières liées aux réinstallations promises de réfugiés, appelées responsibility offsets, des compensations de responsabilité sont introduites en tant que mesures de solidarité secondaire pour les Etats membres bénéficiaires. L’Etat contributeur prend alors en charge l’évaluation des demandes d’asile qui incomberait normalement à l’Etat bénéficiaire. Cette mesure devient obligatoire si les promesses de transferts de réfugiés sont inférieures à 60% des besoins annuels définis par le Conseil ou si elles n’atteignent pas le chiffre réglementaire de 30.000.

Accord autour d’un nouveau règlement d’urgence en cas de crise

Le 5 octobre 2023 les pays européens se sont également entendus provisoirement sur l’adoption de nouvelles règles en cas de future crise migratoire qui prévoient une activation rapide du mécanisme de solidarité. Ce règlement était la dernière composante d’une politique migratoire et d’asile européenne commune, faisant partie du paquet asile et migration, proposé par la Commission en 2020.

Le nouveau règlement vise à aider les Etats membres à surmonter les situations de crise dans les domaines de l’asile et de la migration et ouvre la voie à des actions communes en cas d’afflux soudain de demandeurs d’asile. Des mesures spécifiques s’appliqueront ainsi pour les procédures d’asile et de retour en « période de crise ». Le règlement rend possible la prise de mesures plus strictes, y compris la prolongation de la détention des demandeurs d’asile. La réforme vise à établir des mesures claires pour tous les Etats membres de l’UE et offre plusieurs possibilités pour gérer les flux migratoires. Un Etat membre peut ainsi en période de crise demander la solidarité des autres pays de l’UE sous forme de transfert de réfugiés, de compensation de la responsabilité ou de contributions financières. Ces mesures doivent obtenir l’aval du Conseil et respecter les droits fondamentaux. Le règlement d’urgence s’appliquerait également dans les situations où les flux migratoires seraient instrumentalisés et employés comme « arme » politique, comme ce fut le cas au Belarus en 2021.

Cet accord a été conclu lors d’une rencontre des ambassadeurs à Bruxelles, après que l’Italie a bloqué le projet législatif la semaine précédente. Le point de discorde principal était le rôle des navires ONG en Méditerranée que l’Italie considère comme un facteur d’attraction pour les migrants. L’Allemagne s’était opposée à la réforme pendant des mois et a souligné son devoir humanitaire de sauver des vies humaines. Le rejet du projet par Berlin a été principalement justifié par le fait que le règlement autoriserait les pays de l’UE à abaisser les normes en matière de droit humanitaire, de manière non-acceptable, en cas d’afflux particulièrement important de migrants. Après l’accord, les associations Pro Asyl et Amnesty International Allemagne ont vivement critiqué le retournement de veste du gouvernement fédéral. Des critiques ont aussi surgi de milieux politiques, de gauche comme de droite, contre les changements prévus du système d’asile européen.

Finalement,la Hongrie et la Pologne ont voté contre le texte alors que l’Autriche, la Tchéquie et la Slovénie se sont abstenues. Le mandat de négociation sur le règlement sert de base pour les discussions entre la présidence du Conseil et le Parlement européen. Après les derniers accords conclus, les discussions se poursuivent avec le même objectif. Par ailleurs, la migration est l’une des priorités de la présidence espagnole du Conseil de l’UE qui a commencé le 1er juillet 2023. Le premier ministre espagnol Pedro Sánchez, a ainsi déclaré vouloir achever l’élaboration du paquet migratoire européen d’ici fin 2023. Le ministre de l’Intérieur espagnol en fonction, Fernando Grande-Marlaska Gόmez, a également souligné les progrès importants et les espoirs d’un accord avec le Parlement européen sur l’ensemble du pacte asile et migration d’ici la fin du semestre. Le Parlement européen s’efforce également de parvenir à un résultat positif avant la fin de la période législative en juin 2024 et de voter tous les éléments du nouveau pacte avant les élections européennes. Un échec des réformes proposées en 2020 par la Commission serait difficile à expliquer en temps de campagne électorale.

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