Laura Codruța Kövesi : catalysateur du Parquet européen ?

, par Florian Laussucq, Roxana Andrian

Laura Codruța Kövesi : catalysateur du Parquet européen ?
Laura Codruţa Kövesi, source Parquet européen

Mens sana in corpore sano. Cette devise latine illustre parfaitement Laura Codruţa Kövesi, ancienne sportive de haut niveau, caractère bien trempé et dorénavant premier procureur en chef de l’UE.

Ce poste, créé récemment et dont la réussite dépendra de sa capacité à coordonner les actions des parquets nationaux, est donc aujourd’hui confiée à une femme dont l’exigence et l’intransigeance ont fait la réputation, au travers notamment de son expérience à la Direction nationale anticorruption roumaine (DNA).

Pour rappel, le parquet est un organe indépendant de l’Union européenne regroupant 22 des 27 États membres de l’UE selon la méthode de la coopération renforcée. Il est mis en place officiellement le 28 septembre 2020 et est basé à Luxembourg, aux côtés de la Cour de justice de l’Union européenne.

Sa création répond à un impératif de lutte contre les fraudes au budget de l’UE, fraude qui s’est élevée en 2017 à 467,1 millions d’euros. Forte de son expérience dans la lutte contre la corruption, Laura Codruţa Kövesi semble donc la candidate idéale pour mener à bien cette mission.

Cependant, sur un plan formel, l’objectif de lutte ne pourra être atteint qu’au travers d’un cadre juridique particulier, imposant notamment une coopération d’une part avec les autres procureurs du parquet européen (cet organe regroupe en effet 22 procureurs en plus du procureur en chef), et d’autre part avec les parquets nationaux.

On voit alors que, si l’objectif de lutte contre la fraude fait appel à certaines qualités, le cadre à respecter pour l’atteindre en nécessite d’autres. Face à cette injonction contradictoire, la personnalité de Laura Kövesi se révélera-t-elle un atout ou une faiblesse ?

Une carrière de procureur révélatrice de la personnalité de Laura Kövesi

Née dans une famille de juristes, Laura Codruţa Kövesi se distingue au sein de la magistrature, en grimpant échelon par échelon jusqu’à arriver à la tête d’une institution roumaine très appréciée, la Direction nationale anticorruption. Dans le cadre de cette institution, elle décroche 2 mandats de 2013 à 2018. C’est la quatrième personne à diriger la DNA depuis sa création en 2002 et son activité révèle une très belle performance, puisque de très nombreux cas de fraudes et de corruptions ont été portés devant les juridictions roumaines.

En juillet 2018, Laura Codruța Kovesi est démise de la tête de la DNA dans un contexte politique particulier. Néanmoins, elle aura l’occasion de poursuivre son combat contre la fraude et la corruption dans le cadre du parquet européen, où un accord sur sa nomination a été conclu entre le Parlement européen et le Conseil en automne 2019. En effet, si la candidate roumaine avait gagné la confiance des députés européens, les représentants des États avaient opté pour son adversaire français au printemps 2019, Jean-François Bohnert.

En 2019, le président de la commission parlementaire des libertés civiles, Juan Fernando López Aguilar, déclarait que Laura Codruţa Kövesi était « un choix idéal pour le poste de cheffe du parquet européen. Ses compétences professionnelles sont excellentes. De plus, la Roumanie ne dispose actuellement d’aucun poste clé au sein de l’UE. Elle sera désormais l’une des femmes fortes aux avant-postes de l’UE ».

Il apparaît dès lors que dans la nomination de Laura Kövesi à la tête du parquet, les différents acteurs européens lui offrent une grande reconnaissance pour le travail qu’elle a accompli jusqu’alors.

Icône dans la lutte contre la fraude controversée en Roumanie

Laura Codruţa Kövesi est donc une figure emblématique en Roumanie de la lutte contre la fraude. Mais dans un contexte de cohabitation du Président Klaus Iohannis et du Premier Ministre Viorica Dancila, une querelle constitutionnelle survient après que le Ministre de Justice roumain Tudorel Toader décide de la destituer de la DNA, après des accusations de manipulation des éléments de preuve à propos d’un de ses subordonnées dans un dossier visant l’homme d’affaires Sebastian Ghiță.

Le contexte est aussi celui des soubresauts de la réforme du système judiciaire voulue par le Parti social démocrate (PSD) en 2018, qui entendait apporter de grands changements dans le Code pénal roumain allant vers une plus grande tolérance dans les affaires de corruption.

À la suite de la démission de Laura Codruţa Kövesi, celle-ci a fait l’objet de plusieurs chefs d’accusations dans de différents dossiers. Alors que la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la Roumanie le 5 mai 2020 pour le limogeage de Laura Kövesi en 2018, pour atteinte à l’indépendance du système juridique, cela n’effacera pas le fait que l’icône de la lutte contre la fraude est toujours visée aujourd’hui par 18 dossiers. Dossiers ouverts par la Section pour l’investigation des infractions de justice, institution entrée en fonction en 2018, et critiquée par les institutions européennes du fait du risque de l’emprise politique sur le système judiciaire.

Ces accusations peuvent avoir un impact sur sa légitimité dans la nouvelle institution européenne, ou d’autant plus renforcer l’autorité du fait de sa notoriété et des nombreuses attaques à l’indépendance de l’ancienne procureure de la DNA.

Un rôle politique à apprivoiser

Le parquet européen a un rôle politique évident, pour au moins 3 raisons : tout d’abord, en raison de la nature même d’un parquet, instrument juridique veillant au respect des intérêts de la société et donc par ricochet des choix politiques qui y sont faits. Ensuite, il convient de rappeler que le Parquet a été créé dans un objectif précis, la lutte contre la fraude au budget européen. Enfin, il faut garder à l’esprit que Mme Codruţa Kövesi n’a pas été nommée par un ministre de la justice européen, mais qu’elle a été élue.

La question se pose alors de savoir si la personnalité de Laura Codruţa Kövesi permettra d’insuffler rapidement cette légitimité, sinon elle sera contre-productive en raison même du caractère politique du Parquet, dont l’histoire est encore très récente et la légitimité balbutiante.

Un cadre juridique à dépasser

Le Parquet européen prend sa source juridique à la fois dans l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’UE et dans le règlement de 2017 (Règl. (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 oct. 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du parquet européen). Or, à la lecture de ceux-ci, on constate que dans l’exercice de ses fonctions, ce parquet sera doublement contraint dans son action, dans la mesure où le texte prévoit qu’il doit d’une part poursuivre et renvoyer en jugement en liaison avec Europol, et d’autre part qu’il exercera son rôle d’action publique devant les juridictions nationales.

Concernant la coopération avec Eurojust, celle-ci est confortée par le règlement de 2017 portant création du Parquet européen, qui dispose à son article 2 « Le Parquet européen coopère avec Eurojust ».

Concernant la coopération avec les juridictions nationales, l’article 3 concernant les missions n’est pas beaucoup plus éclairant, dans la mesure où il dispose que « le Parquet européen diligente des enquêtes, effectue des actes de poursuite et exerce l’action publique devant les juridictions compétentes des États membres ». On constate donc que dès lors que l’on est dans le champ de la fraude aux intérêts de l’Union européenne, le Parquet dispose d’un rôle très important devant les juridictions des États membres. Or un tel dispositif ne sera pas sans affaiblir les ordres judiciaires nationaux, ce qui est d’ailleurs souligné par la doctrine.

Se posera alors la question de la réception de ce parquet européen par les Parquets nationaux, ce qui passera probablement par un apprivoisement respectif. Mme Codruţa Kövesi devra probablement faire preuve d’une certaine diplomatie pour faire accepter le rôle de cette nouvelle institution.

Étant donné la nouveauté du parquet européen, cette fonction dépendra de la capacité de ses membres à utiliser les instruments juridiques à leur disposition, fidèle à la stratégie de construction européenne. En effet, la construction européenne a toujours été ballottée entre des périodes d’accélération et de ralentissement, au gré de la capacité de ses leaders à imposer la nécessité de ce projet.

Tout le monde a encore en mémoire le rôle de Jacques Delors qui, président d’une commission européenne moribonde en 1985, a réussi à redynamiser le projet européen, en aboutissant en 1992 à une des plus grandes avancées de la construction communautaire, le traité de Maastricht. Reste à savoir si Laura Codruţa Kövesi pourra marcher dans ses pas et marquer la construction européenne de son empreinte.

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