« Pas le temps, pas l’envie, pas la technique ».
Traditionnellement d’abord, les agendas des commissaires européens privilégient la participation aux négociations, les délibérations, etc. Pour ces leaders qui viennent de la scène politique nationale, le passage par Bruxelles est même parfois une sorte de détoxification aux médias qui peut être recherchée.
Ensuite les commissaires n’ont pas, comme au niveau national, d’élections à remporter ou d’électorat à satisfaire. Les incitations à apparaître dans les médias pour éviter la sanction citoyenne sont donc réduites surtout quand il ne s’agit pas de sa presse nationale. Ils restent des politiciens proches de leur gouvernement et de leur scène politique et donc médiatique d’origine. Ils ont leur propre agenda et ne cherchent pas toujours à promouvoir celui de la Commission en sollicitant les médias. D’autant plus que, depuis la réforme de 2014, les commissaires se cantonnent à leur portefeuille dans une logique de communication en silo. Ainsi, regrette Hughes Beaudoin, correspondant de LCI à Bruxelles, « il n’y a personne pour incarner la parole plus politique, sur des sujets transversaux comme les référendums ou les élections ». [1] Pourtant si un commissaire est une figure politique bien connue dans son pays, il peut être dommageable de se priver de son expression sur les sujets plus globaux, concernant d’autres portefeuilles que le sien. S’exprimer dans la langue de son auditoire est un avantage certain pour toute communication d’influence.
Enfin, la faible présence médiatique des membres du Collège s’explique aussi par le peu d’aisance de certains décideurs face aux médias, notamment audiovisuels. Un membre de l’équipe de porte-paroles reconnaît : « Ça sort les commissaires de leur zone de confort : il faut être spontané, on ne peut pas se relire ». [2] La culture politique des décideurs de la Commission explique également le peu d’intérêt pour la communication médiatique. Beaucoup appartiennent encore à une génération qui a grandi sans réseaux sociaux ni information en continu. Ils ne comprennent pas toujours l’impact du format vidéo et de l’image. Le président Juncker lui-même est davantage habitué à influencer le reste du monde « en restant dans son bureau et en passant des coups de téléphone » [3] ironise une journaliste bruxelloise. Le corps de presse regrette aussi la forme que prennent le plus souvent les interventions de ces derniers. Ne pouvant se satisfaire de « fiches lues derrière un pupitre » [4], les médias souhaitent voir les commissaires se déplacer sur le terrain ou sur les plateaux TV. Ils ont besoin de montrer la dimension locale et humaine de la politique européenne pour intéresser leur audience.
Les bons élèves du Collège
On peut relever quelques bonnes pratiques au sein du Collège des commissaires qui pourraient servir d’exemple à généraliser. Certaines figures sont davantage appréciées par la sphère médiatique. Il en va ainsi de Federica Mogherini, la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, jugée bonne communicante malgré l’impact du temps et de la pression des Etats qui l’aurait rendue plus « langue de bois ». Les commissaires Cecilia Malmström et Margrethe Vestager sont également très appréciées des journalistes. La sensibilité du portefeuille explique souvent l’intérêt médiatique et la propension des commissaires à jouer le jeu des médias. Mais cela ne fait pas tout. Le commissaire pour l’immigration, Dimítris Avramópoulos, n’est, par exemple, pas vraiment en odeur de sainteté. « Il est très tendu, se déplace toujours avec son staff, bref : son interview est inutilisable en télévision » [5] se plaint un journaliste de télévision. La personnalité et l’aisance naturelle du commissaire jouent donc aussi beaucoup. On remarque que les figures appréciées sont souvent jeunes, féminines, à l’aise avec les NTIC [6] et actives sur les réseaux. La culture nordique [7] peut également expliquer la plus grande habitude de la communication politique. En outre, la marge de manœuvre laissée par le portefeuille est déterminante. Les compétences exclusives comme celles que détiennent les commissaires Malmström et Vestager permettent une communication plus libre. Les propos sont plus politiques, car ils recherchent moins le consensus.
D’autres pratiques communicationnelles sont plus difficiles à évaluer, les avis du corps de presse étant partagés. Ainsi, le Commissaire à l’agriculture est parfois critiqué pour son incapacité à s’exprimer en français sur un portefeuille qui intéresse pourtant largement la France. Il est au contraire pris en exemple pour n’avoir pas hésité à aller dans les médias français pour casser la campagne anti-PAC du Front National pendant la présidentielle 2017. En outre, si les commissaires Günther Oettinger et Pierre Moscovici semblent globalement appréciés pour leur rapport aux médias, beaucoup regrettent leur prisme national.
Des pratiques lourdes de conséquences
Finalement, il semble urgent de sortir du cercle vicieux par lequel la faible connaissance des commissaires entraîne le peu d’intérêt des médias non spécialisés et nourrit ainsi davantage la méconnaissance du personnel politique.
Or une démocratie représentative ne saurait fonctionner correctement sans que ses représentants soient publiquement visibles. Une communication inadéquate alimente probablement le déficit démocratique dont on accuse l’Union européenne. Puisque les membres du Collège ne sont pas élus, le minimum serait qu’ils soient (re)connus et tenus responsables de leurs décisions. Cependant, la pratique surdéveloppée du « off » a des effets désastreux sur l’incarnation de la décision et donc, à terme, sur son acceptabilité et sur la responsabilité politique. On le sait, un manque ou une absence de communication laisse le champ libre aux critiques et aux analyses des experts autoproclamés et des politiciens nationaux. Certains font ainsi peser sur la Commission une responsabilité qui n’est pas la sienne, pour des décisions souvent impopulaires.
Enfin, la communication politique permet de légitimer l’action menée. Dans les gouvernements, elle insiste sur les réalisations concrètes, afin de recueillir le soutien du collectif. Cependant, la commission communique davantage sur la nécessité d’agir au niveau européen plutôt que sur les résultats et conséquences politiques. Pourtant l’institution n’a pas un simple rôle administratif. Nombre de ses responsabilités, comme l’évaluation du respect de la législation européenne par les Etats membres ou les mécanismes de sanctions, engendrent des décisions clivantes et nécessitent donc l’approbation citoyenne. Un soutien populaire impératif afin d’atteindre les objectifs politiques et d’apparaître légitime à les poursuivre.
1. Le 5 mai 2018 à 11:32, par giraud jean guy
En réponse à : Le complexe médiatique du commissaire européen
Excellent article.
Le Président Juncker, au début de son mandat, avait reconnu les carences médiatiques de la Commission et décidé de réorganiser les services concernés et de les rattacher auprès de la Présidence. Cela n’a guère amélioré la situation.
La question devra être reprise par la nouvelle Commission où l’on pourrait imaginer qu’un Vice Président (type Timmermans) soit expressément chargé de la communication politique et horizontale de l’Institution. Il aurait également pour tâche de ré-organiser (une fois de plus ...) et de diriger activement les services d’information. JGG
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