Malgré une signification plutôt nébuleuse du concept, le « déclin de l’Occident » (Westlessness) a été le thème de l’édition 2020 de la Conférence de Munich sur la sécurité, la rencontre annuelle des dirigeants internationaux sur la politique de sécurité. Le choix de la thématique reflète à la fois un sentiment des puissances occidentales de perdre le contrôle et une tentative autocentrée de le reprendre. Pourtant, il y a une question bien plus délicate que les désaccords sur le sujet exact de la conférence : une divergence sur la signification même de « l’Occident » en 2020.
Qui a dit quoi ?
Les discours des représentants occidentaux faisaient penser à un chœur qui s’apprête à chanter sans savoir sur quelles notes le faire. Le secrétaire d’État Mike Pompeo était celui qui chantait le plus faux, affirmant avec bien trop d’optimisme que « l’Occident [était] en train de gagner ». Peu après, le secrétaire à la défense Mark T. Esper exprimait la « peur » et la « défiance » des États-Unis à l’égard de la Chine, en totale contradiction avec le discours de son compatriote quelques minutes auparavant.
Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, affirmait à tout le monde que les Etats-Unis et l’Europe sont des « partenaires », « deux faces d’une même pièce », comme inconscient du gouffre béant qui les séparent. Inversement, le président Emmanuel Macron présentait sa vision d’une Europe au leadership plus solidaire, moins dépendant des États-Unis dans les affaires internationales. L’Allemagne, anxieuse à l’idée que Macron surestime nettement l’influence et la puissance du continent, n’appréciait pas son appel à ce que l’Europe s’éloigne du statu quo de l’OTAN dominé par les États-Unis, et à prendre en main sa propre sécurité.
Dans cette cacophonie ambiante, un fort sentiment partagé d’insécurité se propageait, venant du fait que désormais, le monde ne regarde plus vers l’Ouest, mais vers l’Est, en particulier vers la Chine.
Les géants orientaux du numérique
Même si les États-Unis se considèrent toujours comme la première puissance militaire mondiale, les dépenses militaires de la Chine ont considérablement bondi ces dernières années. De la même manière, la croissance de l’économie chinoise, si celle-ci est toujours classée à la deuxième place mondiale, a fait du pays la première puissance commerciale au monde. Les difficultés économiques de l’Occident sont désormais liées à celles de la Chine. Le pays d’Asie orientale a également gagné en influence dans d’autres domaines. En subventionnant les géants du numériques accrochés à l’État, la Chine a créé Huawei, régnant pour le moment sans partage sur la construction du réseau 5G.
Huawei toque à la porte de l’Occident au moment où les consommateurs cherchent à améliorer leurs réseaux de télécommunications. Le seul problème, c’est que beaucoup n’ont pas confiance en la Chine. La Grande-Bretagne s’est rendue encore plus impopulaire en Europe (comme si cela était possible) et s’est attiré le regard très désapprobateur des États-Unis en déclarant qu’elle allait autoriser à Huawei l’accès à ses réseaux. De l’autre côté de l’Atlantique, fermer la porte au nez de Huawei semble être la seule chose sur laquelle Démocrates et Républicains peuvent s’accorder. La présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi a accusé la Chine d’essayer « d’exporter son autoritarisme digital » et a insisté sur la prudence avec laquelle la technologie et le nouveau pouvoir qu’elle représente devaient être appréhendés.
Être dépassé dans la course aux technologies n’a pas apaisé les nerfs sensibles de quelques responsables occidentaux. Cependant, cela montre que l’Occident a plus que besoin de revoir la stratégie et la coordination de sa politique de sécurité. Les États-Unis peuvent continuer à investir dans leurs équipements militaires et harceler les autres membres de l’OTAN pour qu’ils fassent de même, jusqu’à obtenir ce qu’ils veulent, il n’empêche que Washington a du mal à reconnaître que la révolution technologique a rendu d’autres types de pouvoirs bien plus pertinents à l’heure actuelle.
Défense, argent, technologies ou valeurs ?
Plus que sa domination sur le monde, qu’elle soit économique ou autre, ce sont les valeurs autour desquelles l’Occident pouvait s’unir qui sont à la dérive. L’élection de Donald Trump a sapé la confiance en la puissance hégémonique du XXème siècle et a semé le doute dans la capacité du pays à diriger un monde très instable. Le Brexit a considérablement affaibli la crédibilité extérieure du clan européen en termes d’influence et de puissance économique. Les germes du populisme dans beaucoup de pays européens commencent même à paralyser la capacité des gouvernements raisonnables, solidement élus, à mettre en place des mesures politiques, par peur de représailles de l’extrême droite. De plus, la puissance militaire de l’Ouest est moins contrainte par sa situation financière que par un manque de consensus politique sur son utilisation.
En outre, la prise de conscience de l’accroissement des inégalités, en particulier dans le sillage de la crise financière de 2008, couplée à l’urgence climatique, a conduit la société civile à remettre en cause d’une ampleur inédite la capacité de nos démocraties et de nos modèles économiques à servir nos intérêts. Il fut un temps où l’Occident pouvait s’unir derrière la démocratie libérale et le marché. Alors que des facteurs exogènes et endogènes remettent en question le méta-récit de la domination occidentale, ce n’est pas étonnant que la cohésion de celui-ci est testée alors que ces deux piliers fondamentaux se fissurent. Soudain, les caractéristiques premières de l’Occident ne semblent plus très claires.
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