C’est une annonce que l’on attendait avec impatience depuis juillet, aussi bien du côté des organisations écologistes que de l’industrie. Lors de son discours prononcé juste après son élection à la tête de la Commission européenne, Ursula von der Leyen avait voulu marquer le coup dès le début en faisant de la lutte contre le changement climatique son cheval de bataille pour les cinq prochaines années.
L’ancienne ministre de la Défense, proche d’Angela Merkel, avait ainsi proposé le lancement d’un « Green Deal ». Il doit être un ensemble de mesures fondées sur la politique climat-énergie actuelle de l’Union européenne, tout en augmentant considérablement ses ambitions. Des concepts comme « neutralité climatique », « loi européenne sur le climat » ou encore « taxe carbone aux frontières » avaient été alors évoqués.
Cinq mois plus tard, et malgré des fuites dès la fin novembre sur les contours de la proposition, Mme von der Leyen, fraîchement intronisée présidente de la Commission européenne, a présenté mercredi 11 décembre les grandes lignes de son projet-phare. Une véritable « stratégie de croissance » selon ses mots, détaillée devant les eurodéputés, réunis en session extraordinaire à Bruxelles. Frans Timmermans, son vice-président, se chargera de la traduction concrète du projet dont les principaux textes seront proposés en 2020 et 2021.
Alors que les négociations climatiques dans le cadre de la COP25 piétinent actuellement, le « Green Deal » européen apparaît comme la (nouvelle) dernière chance de l’Union pour se construire une économie bas carbone et une transition énergétique propre et juste.
Un texte ambitieux
À première vue, le texte de la Commission contient toutes les idées clés exposées depuis juillet :
- L’Europe doit être le premier continent à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et une « loi européenne sur le climat » qui doit inscrire cet objectif dans la législation sera proposée d’ici mars prochain.
- Les émissions de gaz à effet de serre (GES) devront baisser de 50% à 55% d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990.
- Une taxe carbone aux frontières de l’UE devra être imposée pour lutter contre le dumping environnemental de certains pays, l’UE n’émettant que 8% des GES mondiaux, la coopération normative internationale est indispensable.
- L’ensemble des instruments financiers européens (dont le budget 2021-2027) devra être mobilisés. Des centaines de milliards d’euros annuels supplémentaires sont en effet nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris de 2015. « Le Green Deal » devrait ainsi permettre l’investissement de 1000 milliards d’euros d’ici 2030.
L’accent est également mis sur les côtés innovants et inclusifs du plan. L’innovation est en effet un facteur déterminant pour une transition énergétique rapide et efficace. En particulier, les réseaux intelligents permettent une consommation énergétique la plus optimale possible et la stratégie européenne sur les batteries doit être les prémisses d’une politique industrielle coordonnée dans les secteurs d’avenir de l’énergie.
Une stratégie inclusive
La politique climat-énergie devra mobiliser l’ensemble des acteurs de la société : les secteurs énergivores et fortement émetteurs de GES, comme l’agriculture, le transport et l’industrie (laquelle devra travailler avec les institutions pour la définition d’une stratégie industrielle innovante d’ici mars 2020), mais également la société civile . La dimension sociale de l’innovation, telle la lutte contre la précarité énergétique ou l’acceptation sociale de la transition énergétique, n’est pas non plus à négliger.
Pour le reste, la Commission s’appuie sur la législation énergétique existante, faisant du respect de celle-ci partie intégrante du « Green Deal ». L’efficacité énergétique et les économies d’énergie restent la priorité numéro une de la stratégie européenne. L’UE doit continuer à développer un marché dynamique des énergies renouvelables et être un acteur de poids sur la scène internationale, tout en collaborant étroitement avec les États membres.
Pour autant, le « Green Deal » utilise cet arsenal législatif pour augmenter l’ambition générale de la politique climat-énergie de l’UE : l’objectif de baisse de GES d’ici 2030 devra passer de 40% (acté lors du Conseil européen d’octobre 2014) à 50% voire 55%. Le marché européen du carbone (SEQE-UE) devra être étendu à de nouveaux domaines, comme le transport maritime. Une nouvelle proposition en matière d’efficacité énergétique des bâtiments devra voir le jour l’année prochaine, tout comme une stratégie « axée sur la mobilité durable et intelligente », afin de réduire les émissions de GES dans les transports de 90% d’ici 2050.
En outre, l’ensemble des politiques européennes devront se conformer aux exigences du « Green Deal », via notamment un nouveau « serment vert », dit « ne pas nuire » (do no harm).
Répondre à une situation plus qu’urgente
L’annonce de la nouvelle Commission intervient dans un contexte particulier, à un véritable carrefour de la lutte contre le dérèglement climatique. Alors que la sensibilisation de l’opinion publique, et en particulier des plus jeunes, à ces enjeux n’a jamais été aussi forte en 2019, les freins institutionnels et économiques restent considérables, menant parfois à une radicalisation des deux côtés.
Dans ces conditions, l’UE a un vrai rôle à jouer et comme elle le dit si bien au début de sa communication, il faut « transformer un défi urgent en une chance unique à saisir ».
Dès juillet de cette année, la Banque européenne d’investissements (BEI), la principale institution financière de l’UE, a mis au point une nouvelle politique de financement de l’énergie qui exclut l’ensemble des énergies fossiles de ces investissements. Ce draft paper a été adopté par les actionnaires de la banque en novembre, ce qui permettra la mobilisation de 1000 milliards d’euros supplémentaire entre 2021 et 2030.
Début décembre, les négociateurs du Parlement européen et du Conseil ont conclu un accord sur la « taxonomie de la durabilité », c’est-à-dire une définition claire et commune de ce qu’est un investissement vert, et de ce qui ne l’est pas. Le nucléaire et le gaz sont en principe exclus de la liste des investissements propres.
C’est donc sur une vraie vague de changement que le « Green Deal » s’apprête à surfer à l’orée de la nouvelle décennie.
Après l’Union de l’énergie, le nouveau souffle de l’intégration européenne ?
Il faut dire que ce plan arrive à point nommé pour prendre le relai de l’Union de l’énergie, la première grande initiative réglementaire de l’UE dans le domaine, lancée par la Commission Juncker en 2015. La plupart des directives et règlements de ce paquet ayant été adoptées entre 2016 et 2019, il est nécessaire de prolonger la dynamique au-delà de 2020.
Tout comme l’Union de l’énergie, le « Green Deal » devra aborder un sujet jusqu’alors peu esquissé : la dimension extérieure et stratégique de la politique énergétique européenne. Si la notion de « diplomatie climatique et énergétique européenne » est régulièrement évoquée depuis les crises du gaz en Europe de l’Est (et la communication de la Commission ne fait pas exception avec sa « diplomatie du Pacte vert »), la force stratégique de l’UE reste encore largement circonscrite par l’indépendance des politiques énergétiques nationales.
Mécontentement de certains États
Les États membres de l’UE vont-ils encore une fois faire entendre leurs voix dissonantes lors de l’adoption finale du « Green Deal », prévue dans les prochains mois ? Cela semble des plus probable.
En particulier, des pays d’Europe centrale et orientale comme la Pologne, la Hongrie et la République tchèque rechignent. Fortement tributaires du charbon dans leur mix énergétique, ils craignent les conséquences économiques et sociales d’une sortie du charbon et bloquent pour le moment toute législation contraignante. La Hongrie est en outre forte consommatrice d’électricité nucléaire, dont l’avenir dans le « Green Deal » est incertain.
L’Allemagne, malgré ses discours pro-transition énergétique, a mis longtemps avant d’accepter le principe de neutralité carbone et a pendant plusieurs années freiné les ambitions européennes en termes de réduction des GES. Son industrie a d’ailleurs manifesté son inquiétude à l’issue de la présentation du plan, en particulier l’industrie automobile.
Le nouveau président du Conseil européen, Charles Michel, espère rallier les derniers gouvernements récalcitrants lors du sommet européen, qui rassemble tous les chefs d’État et de gouvernement de l’Union, et qui s’ouvre aujourd’hui.
Autant de trajectoires et d’intérêts divergents qui minent la cohérence de l’action européenne internationale en matière de climat et d’énergie, aussi bien sur les plans interne et externe.
Si le « Green Deal » peut représenter une formidable impulsion pour une politique climat-énergie ambitieuse au niveau européen, tant que l’indépendance des États membres dans la définition de leur politique énergétique (consacrée dans les traités européens) sera une loi d’airain brandie dès qu’une proposition sera contre certains intérêts nationaux, la stratégie européenne restera floue et entravée.
Pour en savoir plus, lire la communication de la Commission sur le Pacte vert pour l’Europe
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