Après une transition démocratique semée d’embûches, l’Espagne, dès son entrée dans la Communauté européenne en 1986, s’est rapidement envolée vers une stupéfiante prospérité économique. Mais au-delà du ciel bleu teinté de modernisation et de la forme d’état providence initiée par le Gouvernement socialiste de Felipe González, l’orage se tenait prêt à gronder au-dessus de Madrid et de ses périphéries revendicatrices pour finir par éclater aujourd’hui. Car le régime décentralisé, imaginé par la Constitution, a produit l’effet inverse que celui escompté : les communautés autonomes l’ont finalement contesté à défaut de s’en contenter.
Régionalisme déséquilibré
La Constitution, approuvée par référendum au suffrage universel le 6 décembre 1978, institue ainsi un État régional où seul le pouvoir central fixe les compétences des différentes régions. Celles-ci sont organisées en 17 communauté autonomes pourvues de 22 compétences propres parmi lesquelles on trouve l’organisation de leurs institutions, l’aménagement de leur propre territoire, l’agriculture, l’environnement ou encore la culture. La Constitution leur accorde également la protection voir même la co-officialité au sommet de l’État de leur langue propre.
Or, le régionalisme prôné par la démocratie espagnole se trouve rapidement déséquilibré en ce que l’État a redistribué d’autres compétences supplémentaires à certaines régions revendicatrices, afin de tenter de juguler les mouvements nationalistes, séparatistes ou terroristes menaçant le pays. C’est ainsi que la Catalogne jouît de la compétence exclusive en matière éducative (compétence que les régions de Valence et de Bilbao partagent avec l’État) tandis que les régions du Pays-Basque, de Navarre, des Canaries, de Ceuta et Melilla bénéficient d’avantages fiscaux plus ou moins importants par rapport aux autres régions.
Escalades des tensions
Dès lors, tandis que Barcelone redistribue annuellement 8% de son PIB aux communautés autonomes les plus pauvres, le Pays-Basque tire parti de son propre régime fiscal et ne s’acquitte de pratiquement rien vis-à-vis de l’État. Les Galiciens, dont environ 75% de ses autochtones maîtrisent la langue galicienne, aspirent eux à disposer de la compétence exclusive d’éducation à l’instar de ce qu’à déjà obtenu la Catalogne. Ainsi, l’État n’est plus légitime en ce qu’il donne aux unes ce qu’il refuse aux autres, contribuant de ce fait à radicaliser les positions des régions revendicatrices. En effet celles-ci, devenues rivales, ne conçoivent en aucune manière que d’autres jouissent des compétences qu’eux-mêmes réclament ardemment.
Des tensions surviennent également entre l’État et les communautés autonomes s’agissant des langues. Les unes, à l’instar des Asturies et de la Castille et León, reprochent à l’Espagne de négliger respectivement le « montañés » et le « leonés », dialectes qui ne sont pas reconnus par l’État et qui ne bénéficient donc pas de la « protection spéciale » conférée par la Constitution aux langues d’Espagne. Les autres, à l’image de la Catalogne ou de Valence, tentent d’éliminer le castillan de leur espace public en soumettant notamment quelques commerçants de villes moyennes à une amende en cas d’usage de l’espagnol sur leur devanture. En outre, il n’est pas rare que dans certaines périphéries à la pointe de la revendication, des symboles espagnols tel que le drapeau ou la famille royale soient sérieusement chahutés.
Des richesses devenues problématiques
Si l’Espagne porte en son sein de multiples cultures, langues et identités, l’État s’en méfie plus qu’il n’en tire profit et cherche d’avantage à en limiter l’épanouissement à défaut de les promouvoir. De fait, les langues régionales co-officielles ne le sont qu’au niveau des communautés autonomes qu’elles couvrent et restent inexistantes au niveau de l’État, tandis que le célèbre institut Cervantès, qui défend la langue et la culture espagnol, laisse pourtant de côté le particularisme historique et linguistique des Basques, Baléares ou autres Galiciens faisant parti du royaume d’Espagne. En réalité, tétanisée par l’essor identitaire des périphéries, l’Espagne se risque à les reléguer afin qu’elles ne prennent pas trop de poids et ne favorisent pas de mouvements nationalistes pour un résultat totalement contreproductif.
Instrumentalisés par les partis nationalistes et ignorés par les institutions espagnoles, les citoyens des périphéries revendiquent pourtant la double identité que leur confère l’État et la communauté autonome à laquelle ils appartiennent, comme le démontrent plusieurs études catalanes : une majorité d’interrogés se sentent autant espagnols que catalans, promeuvent le bilinguisme et cherchent à tirer profit de leur double culture. C’est pourquoi il faut que les structures institutionnelles de l’Espagne évoluent afin que toutes les couches de sa population s’y retrouvent sans peine.
Pour sauvegarder « l’unité indissoluble de la nation espagnole » prônée par la Constitution, il convient inévitablement d’améliorer l’autonomie des régions qui la composent. Pour ce faire l’État fédéral, timidement proposé par le parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), paraît être la meilleure solution. Celui-ci jouirait de deux atouts : l’existence de mécanismes de discussions et de décisions horizontales, articulées à un centre de décisions auquel participeraient les entités fédérées selon des codes et des règles établis. Aux responsables politiques de trouver le courage de le mettre en œuvre.
1. Le 17 novembre 2013 à 08:14, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Le modèle institutionnel espagnol est-il viable ?
Naturellement les fédéralistes européens ont également une préférence pour le fédéralisme interne au sein des États membres. Toutefois dans le cas de l’État espagnol l’attitude d’un gouvernement central — dont la vision nationaliste est incompatible avec une autonomie véritablement assumée des peuples qui en bénéficient du fait de la même constitution issue de la transition — accentuent ces revendications.
J’ai bien peur que dans le cas de la Catalogne - après le rejet 2010 d’un status d’autonomie pourtant largement approuvé et aux ambitions relativement limitées - il devient difficile de revenir en arrière tant la mobilisation populaire en faveur de l’indépendance est grande. En Catalogne, ce ne sont pas me semble-t-il comme vous lm’écrivez les parti nationalistes qui manipulent l’opinion mais plutôt l’état de l’opinion qui pousse ceux qui prônaient autrefois l’autonomie à promouvoir désormais le nationalisme.
2. Le 18 novembre 2013 à 19:58, par Ferghane Azihari En réponse à : Le modèle institutionnel espagnol est-il viable ?
Article intéressant qui pourrait très bien apporter de nombreuses solutions aux problèmes français. Ce qui ressort de cette analyse c’est qu’un Etat qui nie sa diversité se tire une balle dans le pied car sa philosophie centralisatrice est récupérée par les communautés qui s’en servent contre lui. Or changer le fondement de l’affectio societatis au profit d’un fondement plus cosmopolite couperait l’herbe sous le pied de ceux qui réclament leur indépendance au nom de particularismes locaux.
3. Le 31 décembre 2013 à 12:48, par itaca1714 En réponse à : Le modèle institutionnel espagnol est-il viable ?
La catalogne ne soummet a aucun comerçant a une amande en cas d’usage de l’ Español pour ces avis, sinon qu’elle donne un rabais sur les impôts a qui les écris en Catalan. Ce n’est pas pareil. Visca Catalunya !
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