Le « paquet sur la sécurité énergétique » : une effective Union de l’Energie ?

, par Sarah Bonnefoix

Le « paquet sur la sécurité énergétique » : une effective Union de l'Energie ?
Maroš Šefčovič, actuellement vice-président de la Commission européenne , en charge du dossier. - © European Union 2014 - European Parliament (CC/Flickr).

La Commission entend bel et bien faire de 2016 l’année de l’ « Union de l’énergie ». C’est dans cette perspective qu’est rendu public, aujourd’hui, le premier « paquet sur la sécurité énergétique », texte d’envergure qui cherche à favoriser les mécanismes de solidarité énergétique au niveau européen. La Commission en a prévu pas moins de trois, qui seront présentés successivement au cours de l’année. Le premier, dont l’examen intervient cette semaine, devra être soumis à l’approbation des Etats-membres avant d’entrer vigueur.

Au cœur de ce présent « paquet pour la sécurité énergétique » se trouvent ainsi des propositions innovantes, établissant les bases d’une Union de l’Energie, et réinventant des mécanismes de solidarité entre les Etats-membres.

Une nouvelle géographie de l’énergie : régionalisation et interdépendance

Régionalisation et interdépendance, tels sont les jalons qui définiraient le périmètre d’une Union européenne de l’Energie. Le présent texte divise ainsi l’Union en neuf régions [1], regroupant les Etats-membres en fonction de leurs affinités énergétiques, c’est-à-dire du degré de complémentarité de leurs ressources et de leur capacité à les mobiliser conjointement. Ainsi par exemple, le Royaume-Uni et l’Irlande constituent une même région. L’idée est la suivante : en cas de pénurie, chaque région se doit de subvenir aux besoins de ses membres. Il est donc théoriquement question de favoriser le dialogue énergétique entre les partenaires.

En pratique, la mise en œuvre d’une telle disposition s’avère délicate, dans la mesure où il s’agit d’ouvrir les marchés énergétiques nationaux à d’autres Etats. Ainsi par exemple, la France est particulièrement réticente à ouvrir son marché de l’énergie, dominé en grande part par le nucléaire. Ce découpage de l’Union en fonction des capacités énergétiques n‘est toutefois qu’une première étape au service d’un objectif plus large affiché par la Commission : mettre en place une tarification commune de l’énergie.

Le GNL : la mécanique des fluides au cœur de l’armature énergétique européenne

Par ailleurs, la régionalisation énergétique n‘est pas le seul moyen évoqué par le présent texte. Cette inédite proposition législative entend également inciter les Etats-membres à recourir au Gaz Naturel Liquéfié (GNL), mystérieux terme opératoire convoqué à dessein par la Commission et amené à jouer un rôle central dans l’industrie de l’énergie au niveau mondial.

Dans la lexicologie scientifique, le GNL signifie « Gaz Naturel Liquéfié ». Gaz naturel refroidi prenant la forme d’un liquide clair, il dispose de nombreuses propriétés qui en font un élément à part au sein de la cosmogonie énergétique aujourd’hui. D’abord, il est facilement transportable : son caractère liquéfié, transparent et inodore le rend deux fois plus léger que l’eau. Ensuite, son état condensé facilite son stockage - un avantage à l’heure où ce dernier est une denrée rare. Enfin, le GNL, bien qu’il reste un carburant fossile, est significativement moins polluant que le pétrole ou le charbon. Autrement dit, il représente un réel atout dans le monde contemporain, où stocker et transporter de l’énergie est particulièrement onéreux et délicat - entraînant par voix de conséquences des mécanismes de dépendances énergétiques.

Le GNL pourrait ainsi conjuguer deux vertus essentielles et complémentaires pour tout projet d’Union européenne de l’énergie : la solidarité et l’indépendance énergétique.

Aujourd’hui, uniquement 20% des infrastructures destinées à l’exploitation du GNL en Europe (réseaux de gazoducs, usines de traitement, puits producteurs, etc.) sont utilisées. Il s’agit donc là d’une ressource largement exploitable en Europe, mais peu considérée jusqu’à présent. Un recours au GNL permettrait en outre d’assurer une indépendance énergétique au regard de fournisseurs peu fiables, à l’instar de la Russie. Rappelons ainsi qu’à deux reprises, en 2006 et 2009, l’entreprise Gazprom, dont l’Etat russe est actionnaire majoritaire (50% + 1 des parts), a su profité de sa situation de monopole de fournisseur de gaz pour cesser d’alimenter une partie de l’Est de l’Union européenne, dont l’Ukraine. Les contentieux énergétiques, comme ferment de crise politique, étant une conversion facile à opérer, il apparaît donc certain qu’un approvisionnement énergétique sécurisé est un élément cardinal pour le maintien d’un environnement stable.

Les données physiques du GNL sont donc d’autant plus essentielles qu’elles s’articulent pleinement autour des problématiques européennes en matière d’énergie.

La COP 21 mise à l’épreuve

Si, avec le GNL, la mécanique des fluides semble s’inviter au cœur du projet européen, un bémol toutefois, et de taille, mérite d’être soulevé. Si usage repose sur un juste calcul scientifique, il n’en est pas de même au niveau politique. La COP 21 avait en effet fait voir la nécessité de réduire la production de gaz à effet de serre, comme chacun sait. Or, le GNL est, rappelons-le, un combustible fossile, a priori qui ne va pas dans le sens de l’accord de Paris.

Un plus grand droit de regard pour la Commission

C’est sans doute là l’un des points les plus épineux de la proposition. Le texte donnerait ainsi à la Commission la possibilité de valider les accords intergouvernementaux ayant trait à l’énergie et aux contrats commerciaux passés entre un pays membre et un Etat tiers. En pratique, la Commission jugerait de la conformité ou non des accords commerciaux et énergétiques bilatéraux avec les textes de loi et objectifs déjà affichés par cette dernière en matière environnementale. Ainsi par exemple, des contrats tels que le Nord Stream 2, contrat de construction reliant la Russie et l’Allemagne via la mer Baltique, sera passé au peigne fin. Une telle disposition, louable dans son ambition, récoltera donc certainement avec beaucoup de difficulté l’assentiment des Etats-membres, attachés à leur prérogative régalienne en terme de commerce extérieur.

Solidarité et indépendance semblent donc les deux termes de l’équation, difficile à résoudre. Toutefois, ce premier volet du « Paquet sur la Sécurité Energétique » semble s’acheminer vers sa laborieuse, mais nécessaire, résolution. Le projet d’une Europe de l’Energie doit plus que jamais permettre de réincarner le rêve européen.

Notes

[1EurActiv.

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