Le Partenariat oriental : facteur de (dé)stabilisation du voisinage de l’Union européenne ?

Premier épisode d’une mini-série intitulée : le Partenariat oriental : bilan d’une décennie mitigée.

, par Théo Boucart

Le Partenariat oriental : facteur de (dé)stabilisation du voisinage de l'Union européenne ?

2009-2019 : le Partenariat oriental fête ses dix ans. C’est le pilier de la politique européenne de voisinage, elle-même une pièce maîtresse de la politique extérieure de l’Union européenne. Malgré de grands espoirs placés en lui, ce partenariat connaît quelques dysfonctionnements, ce qui pourrait à terme remettre en cause l’action européenne dans son voisinage oriental.

L’Union européenne est une réussite indéniable. Si ses pères fondateurs étaient encore vivants aujourd’hui, ils seraient sidérés de voir une union de pays, jadis ennemis mortels, collaborer de plus en plus profondément dans de plus en plus de domaines, allant de la politique économique et monétaire à la politique de sécurité en passant par la transition énergétique. Peut-être seraient-ils déçus de voir une certaine indifférence de beaucoup de citoyens pour le projet européen. Néanmoins, leur plus grande satisfaction serait de voir que cette union est formée de 28 pays, dont presque la moitié étaient emprisonnés dans le glacis soviétique et communiste au moment de la création du marché commun en 1957.

L’Union européenne actuelle aura donc réussi la réunification de l’Europe, dont la séparation a été le fruit d’une injustice, de rapports de forces entre grandes puissances vainqueurs de la seconde guerre mondiale. A ce titre, la politique d’élargissement menée par l’Union européenne à la suite de la chute du mur de Berlin est certainement l’un de ces plus grands succès. Malgré une grande complexité d’un point de vue institutionnel (il a fallu plusieurs révisions des traités européens pour permettre l’entrée des nouvelles démocraties en Europe centrale), l’Union européenne a plutôt bien réussi à intégrer ces nouveaux membres, quand bien même de très nombreuses interrogations subsistent.

Créer un voisinage amical et stabilisé

Pourquoi parle-t-on de la politique d’élargissement dans un article sur la politique de voisinage ? Car la première engendre la deuxième. En effet, l’intégration des anciennes démocraties populaires en 2004 a repoussé les frontières de l’Union européenne et est désormais limitrophe avec des pays nés de la dislocation de l’Union soviétique, et dont la transition vers l’économie de marché et la démocratie libérale s’est faite de manière très chaotique. Pour éviter toute déstabilisation sur ses frontières orientales, l’Union européenne devait s’engager dans la région. C’est dans ce contexte qu’est née en 2004 la politique européenne de voisinage. Celle-ci devant permettre une coopération renforcée avec les pays du Sud et de l’Est de l’UE sans pour autant ouvrir la porte à une adhésion. Pour reprendre la formule de l’ancien président de la Commission européenne Romano Prodi, l’idée est de « partager tout sauf les institutions ».

C’est pour concrétiser cette idée et la rendre plus cohérente que l’Union européenne a lancé en mai 2009 le Partenariat oriental, à l’initiative de la Pologne et de la Suède. Ce nouveau pilier de la politique européenne de voisinage possède plusieurs caractéristiques. Il faut déjà souligner l’ambition de la coopération entre l’Union européenne et les six pays partenaires (l’Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie, la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie) sur la réforme des institutions, la transition vers une économie de marché, la sécurité énergétique, et le contact interpersonnel ainsi que le soutien de la société civile. La structure multilatérale est une autre originalité, un lieu d’échange entre experts et fonctionnaires, tout cela en vue de préparer les rencontres au sommet. Cette structure multilatérale est constituée de la manière suivante : les plateformes et les panels de discussions techniques (sur les sujets susmentionnés) ont lieu tout au long de l’année. Les réunions de hauts fonctionnaires puis des ministres des affaires étrangères sont l’occasion de faire un point sur le travail réalisé. Enfin, une fois tous les deux ans, le sommet du Partenariat oriental entre les différents chefs d’Etat et de gouvernement fixe le cap politique.

Jusqu’à présent, cinq sommets ont eu lieu : en 2009 à Prague (pour le lancement du Partenariat), en 2011 à Varsovie, en 2013 à Vilnius, en 2015 à Riga, et en 2017 à Bruxelles. Ces rencontres donnent lieu à des déclarations, plus ou moins précises et ambitieuses, le plus souvent pour rappeler l’engagement des parties à coopérer et souligner les progrès réalisés. Ces dernières années néanmoins, le ton s’est fait encore plus modeste : après l’échec du sommet de 2013 (qui a vu l’Ukraine du Président Ianoukovytch refuser subitement l’accord d’association avec l’UE), la structure du Partenariat a été réformée entre 2015 et 2017 pour s’adapter aux changements politiques dans la région. Les « 20 Deliverables for 2020 », une série de 20 objectifs thématiques et concrets, ont notamment été adoptés.

Le loup russe

Car la principale raison pour laquelle le Partenariat oriental ne fonctionne pas comme l’Union européenne aurait voulu, c’est la présence d’un governance provider concurrent dans la région : la Russie. Il faut en effet se rappeler que les six pays partenaires de l’UE ont été des républiques soviétiques jusqu’en 1991 et ont été de ce fait fortement influencé par cette appartenance, que ce soit dans les domaines des institutions politiques, du système économique, énergétique, ou des structures sociales. La transition post-soviétique des années 1990 a de plus été particulièrement chaotique, avec des « thérapies de choc » néolibérales incontrôlées, sans filet de sécurité, ce qui a provoqué crise sur crise et chômage de masse.

Ainsi, contrairement à l’Europe centrale où l’Union européenne pouvait imposer ses vues politiques et économiques à des jeunes démocraties qui avaient l’adhésion à l’UE comme objectif ultime, l’Europe orientale et le Caucase du Sud est une région-carrefour entre influence ouest-européenne et russe. Cela pourrait ne pas poser trop de problèmes si l’UE et la Russie étaient deux alliés qui coopéraient en bonne intelligence. Bien sûr, ce n’est pas le cas, et cela s’en ressent directement.

Pourtant, tout avait plutôt bien commencé. Après l’effondrement de l’URSS, la nouvelle fédération de Russie, très affaiblie, se devait de retrouver un statut international et l’estime des grandes puissances, notamment la nouvelle hyperpuissance américaine. Cela la poussa à signer des accords de partenariat, notamment avec l’Union européenne. Un premier accord a été signé en 1994 et ratifié en 1997 pour une durée de dix ans. La Russie n’a pas adhéré à la politique européenne de voisinage car elle voulait être considérée comme un partenaire « égal » à l’UE. Cependant, elle souhaitait collaborer dans de nombreux domaines, comme les relations commerciales, la sécurité, la recherche et l’éducation. Tout au long des années 2000, les rapports russo-européens se sont dégradés : les révolutions géorgienne et ukrainienne (2003-2004), ainsi que la guerre en Géorgie (2008) et les cyberattaques contre l’Estonie (2007) sont des raisons importantes. La Russie tient aussi absolument à conserver une emprise sur son ancien glacis soviétique et considère l’intégration euro-atlantique comme une menace fondamentale à ses intérêts.

En 2015, la Russie a lancé avec d’anciennes républiques soviétiques (dont la Biélorussie et l’Arménie) l’Union économique eurasiatique (UEE), un projet que d’aucuns jugent concurrent à l’UE elle-même. Tant que les deux blocs n’auront pas de relations saines et apaisées, les pays du Partenariat oriental se retrouveront donc en étau entre deux puissances aux intérêts très divergents. Si l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie se positionnent clairement pour une intégration poussée avec l’UE, l’Arménie tente de tirer profit des deux relations, alors que la Biélorussie, liée politiquement à la Russie, tente de se rapprocher timidement de l’Union. Il existe donc un niveau d’attentes différent selon les pays.

Un partenariat trop déséquilibré ?

Le « facteur russe » n’est pourtant pas le seul gravier dans la chaussure du Partenariat oriental. Sa structure interne et sa finalité sont aussi à interroger. La politique de voisinage en Europe de l’Est et dans le Caucase du Sud est un moyen pour l’Union européenne d’exporter ses normes juridiques, politique, économiques, ainsi que ses valeurs au-delà de ces frontières. Ce phénomène de legal transplant est une partie fondamentale de sa diplomatie. L’européanisation des politiques des pays du Partenariat oriental se fait de plusieurs manières : Le dialogue technique lors des différentes plateformes et des panels thématiques permet aux acteurs de l’UE d’exporter leur interprétation des concepts étudiés. Les accords d’association signés avec l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie introduisent un transfert contraignant de règles et même une partie de l’acquis communautaire européen (notamment dans le domaine énergétique). Enfin, les aides financières de l’Union européenne (qu’elles viennent du budget européen, de la BEI ou de la BERD) assoient aussi l’influence de l’UE dans la région.

Néanmoins, les pays du Partenariat oriental n’ont aucune influence sur cette européanisation. Il est clair qu’ils n’ont pas leur mot à dire sur la définition de la législation européenne, mais ils ont également peu de marge de manœuvre dans les structures multilatérale et bilatérales. Ces pays sont donc « invités » à s’européaniser sans se poser trop de questions. C’est une méthode que l’on retrouve dans la politique d’élargissement. La principale différence ici, c’est que les pays partenaires ne seront pas récompensés par la perspective d’adhérer un jour à l’Union européenne. L’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie rêvent d’intégrer l’Union un jour et votent de nombreuses réformes pour montrer toute leur bonne volonté. Seront-ils découragés un jour de voir que la porte de l’adhésion restera fermée ? Il serait peut-être temps de repenser le Partenariat oriental en apportant deux corrections principales : la première serait de concevoir la collaboration russo-européenne comme fondamentale pour la pérennité du Partenariat oriental. La seconde serait d’accorder plus d’importance aux vues des pays partenaires pour créer un partenariat équilibré, favorisant son appropriation commune.

Cet article est le premier d’une série publiée sur Voix d’Europe.

Pour aller plus loin :

Institut Jacques Delors, Policy Paper : L’UE à l’épreuve du Partenariat oriental – Perspectives sur le sommet de Vilnius (novembre 2013) La Documentation française : L’Union européenne et son voisinage oriental : le défi de la coopération Rapport du Sénat : Le Partenariat oriental : une nécessaire refondation.

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