« Tel que je la vois, c’est un moment pour Alexandre Hamilton » - disait il y a quelques années Paul Volker qui était déjà président de la Réserve fédérale américaine, en parlant de la situation européenne - « le problème c’est que je ne le vois pas ».
La dette publique d’Etat n’est pas très belle, mais la dette publique en commun fait la force d’une fédération. Et c’est la leçon qu’a laissée Alexandre Hamilton, premier Ministre du trésor américain, chef de file des fédéralistes à l’époque de la Convention de Philadelphie (1787). Une leçon que Mario Draghi semble vouloir suivre, pas après pas, depuis trois ans, sur cette question. Et qu’il a pleinement repris, certes pas dans la lecture du communiqué officiel qui rapporte les décisions prises par la BCE, mais au cours de la conférence de presse, en répondant aux demandes des journalistes : c’est là qu’il donne toujours le meilleur de lui-même, en exposant avec simplicité, mais aussi avec une extrême rigueur et clarté, sa philosophie politique.
1) « La politique monétaire a des implications directes sur le budget », une expression à travers laquelle il entendait renforcer le concept-clé du discours du 2 août 2012 (« Les spread souverains rentrent dans notre mandat, dans la mesure où ils bloquent le fonctionnement des canaux de transmission de la politique monétaire »). Un concept avec lequel il entendait légitimer l’acquisition de titres d’Etat des pays en difficulté. En d’autres termes : si le mandat de la BCE consiste à préserver la stabilité monétaire de la zone euro, le devoir de l’institution, c’est de faire tout son possible pour éviter que la crise de la dette d’un ou plusieurs pays, empêche le fonctionnement de la politique monétaire pour toute la région. C’est la même manière de raisonner que celle de Hamilton : « Si une fin fait clairement partie de l’un des pouvoirs prévus et si une disposition ayant un rapport évident avec cette fin n’est pas expressément interdite par une disposition spéciale de la constitution de la BCE, alors cette disposition peut sûrement être considérée comme étant de la compétence du gouvernement national ». L’acquisition de titres publics de la part de la BCE est donc devenue un instrument de politique monétaire et sur ce point - a ajouté Draghi - cela a été à l’unanimité du board, avec une « reconnaissance aussi juridique » de l’initiative. Un principe irréversible a donc été affirmé.
2) « Puisqu’il n’y a pas encore aujourd’hui de Trésor européen, alors nous devons nous poser le problème de la manière de répartir le risque au niveau de l’eurosystème ». Sur ce point aussi une affirmation de principe a été faite et puis une solution politique a été trouvée. Toujours à partir de la nécessité de garantir l’unicité de la politique monétaire, la BCE coordonnera les acquisitions de titres d’Etat des différents pays, dont la mise en œuvre se fera cependant sous une forme décentralisée, c’est à dire par les banques centrales nationales. Pour ce qui concerne le risque face à des pertes hypothétiques, celui-ci sera partagé (c’est à dire en premier lieu directement par la BCE) pour 20%, comprenant le total du risque pour les acquisitions de titres des institutions européennes (BEI et MES) et à hauteur de 12% et 8% des acquis des titres des Etats. Les 80% restants du risque ne seront pas partagés et resteront à la charge des différentes banques centrales nationales. Certains pourraient peut-être être déçus de cette solution politique s’ils s’attendaient à un partage total des risques. Je tiens en revanche comme important qu’ait été affirmé le principe du « risk sharing » et comme moins important qu’il ne s’applique qu’aux 20%. Et sur cette question Draghi a ironisé avec les journalistes qui insistaient sur la prétendue « faiblesse » de la solution trouvée : « si nous faisons fonctionner le plan des acquisitions, le risque ne se posera pas ».
3) « La politique monétaire est importante pour la croissance et nous faisons tout le possible pour qu’elle fonctionne, mais elle ne suffit pas à elle seule : nous voulons des investissements et des réformes structurelles ». Draghi a rappelé que le Plan Juncker était un catalyseur des investissements (et le nécessaire climat de confiance autour de lui), tout en disant qu’il appartenait aux Etats de faire avancer les réformes structurelles qui créent les conditions environnementales et réglementaires pour faire repartir les investissements.
Le virage attendu de la BCE est donc très important parce qu’il crée un nouveau climat politique en Europe. Le fait qu’il se situe temporellement dans le contexte de la création du plan Juncker est encore plus important parce qu’il crée un climat favorable à son déploiement : les deux actions combinées peuvent clore la longue phase de récession de l’économie européenne et de sa crise politique. Il faut exploiter politiquement cette potentialité émergente en relançant pour les pays de la zone euro les objectifs des trois unions : fiscale, économique et politique. Et sur la base des urgences posées par la crise européenne : la nécessité inéluctable pour l’Europe d’une politique économique et de sécurité pour pouvoir exercer un rôle dans un monde globalisé et chargé de dangers. Un New Deal for Europe devient maintenant aussi une revendication de la fédération européenne.
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