Le Roi Juncker ne tombera pas...

...mais la légitimité européenne est déjà à terre.

, par Théo Boucart

Le Roi Juncker ne tombera pas...
Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne et celui qui n’était alors que son directeur de cabinet, Martin Selmayr. Photo prise au Parlement européen le 14 juin 2017. © European Union , 2017 / Source : EC - Audiovisual Service / Photo : Mauro Bottaro

Le « Selmayrgate », revient régulièrement dans l’actualité européenne depuis plusieurs semaines. L’histoire d’un technocrate inconnu avant sa nomination éclair douteuse révélée en France par Jean Quatremer. On s’en fout un peu non ? La bulle européenne reste bien tranquillement dans son coin à Bruxelles, pourquoi s’en soucier ? Et si toutes ces questions étaient justement le problème ? Et si Martin Selmayr venait de tuer le peu de crédibilité qu’il restait à l’UE ?

Cette affaire ne devrait pas agiter uniquement les fervents fédéralistes européens comme moi. Cette affaire, c’est bien plus qu’une magouille technocratique au sein du bâtiment Berlaymont, siège de la Commission européenne à Bruxelles. Cette affaire, c’est surtout que le pire ennemi de l’Union européenne, c’est d’abord l’Union européenne elle-même. Comment peut-on être suffisamment stupide pour penser que la promotion éclair de Martin Selmayr (le directeur de cabinet de Jean-Claude Juncker a effectivement été promu Directeur général de la Commission en quelques minutes le 21 février) allait passer comme une lettre à la poste ? Comment peut-on être aussi pyromane pour décrédibiliser à ce point les institutions européennes et a fortiori le projet européen à un an seulement des élections européennes et alors que les populistes eurosceptiques sont aussi puissants sur le continent ? Cela dépasse l’entendement.

La Commission Juncker aussi fragilisée que la Commission Santer il y a 20 ans ?

Quand on pense à l’affaire Selmayr, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec les allégations de mauvaise gestion administrative ayant touché la Commission Santer (1995-1999). Pour rappel, le Parlement européen avait refusé de donner quitus à la Commission pour l’exercice budgétaire 1996 (le quitus est la décharge budgétaire, l’assurance que l’exercice annuel a bien été géré, ne pas donner quitus à la Commission est un bien mauvais signe de défiance de la part du Parlement européen) et avait étrillé la Commission pour sa mauvaise gestion budgétaire en 1998. Rapidement, les critiques médiatiques s’étaient concentrées sur la Commissaire française Edith Cresson et sur le Commissaire espagnol Manuel Marin, accusés de favoritisme et de fraude. La Commission Santer avait collectivement démissionné en 1999 après avoir évité de justesse une motion de censure des socialistes européens.

Peut-on assister à ce même scénario en 2018 avec Juncker et Selmayr au centre de l’opprobre médiatique ? C’est peu probable. Jacques Santer était bien plus fragile que Jean-Claude Juncker. Dès sa nomination en 1995 pour remplacer l’immense Jacques Delors, Santer était apparu comme un second choix peu ambitieux suite du refus britannique de nommer Jean-Luc Dehaene, nettement plus fédéraliste. Dès lors, Santer avait dû batailler pour imposer son autorité, ce qu’il avait en partie fait lors de la nomination de ses Commissaires. Néanmoins, un Président de la Commission du PPE (les conservateurs de centre-droit) face à une forte majorité PSE (les socialistes) au Parlement européen (les Spitzenkandidaten n’existaient pas à l’époque) ne facilitait pas la confiance, surtout quand les affaires sont arrivées. De plus, la motion de censure proposée par le Parlement en janvier 1999 n’avait finalement pas abouti (293 contre, 232 pour) même si c’était la première fois que la destitution avait paru aussi proche. Aujourd’hui, une majorité de députés du PPE et du PSE ne semblent pas favorables à une destitution de la Commission.

Le Roi Juncker ne tombera donc pas avec son fidèle Selmayr. Et ce, malgré la colère des députés européens. Et ce, malgré l’arrogance de la Commission. Le 25 mars, la Commission européenne a en effet persisté et signé, arguant que la nomination de Martin Selmayr était totalement conforme à la procédure. La Commission fait donc bloc pour protéger le Mazarin du quartier européen. La collégialité a bien des effets pervers. Deux jours plus tard, le 27 mars, le Commissaire européen au Budget et aux Ressources humaines Günther Oettinger a répondu aux questions des Eurodéputés bien mécontents devant toutes ces violations de règlement. Le moins que l’on puisse dire, c’est que M. Oettinger n’a pas fait preuve de pédagogie et n’a pas redonné du crédit à la Commission. Les réponses de celle-ci auraient même été en partie rédigées par Martin Selmayr lui-même ! Cela frise désormais l’affligeant…

Le boulevard inespéré des eurosceptiques à 14 mois des élections européennes

Jean-Claude Juncker a prévenu : il démissionnera si le départ de Martin Selmayr est exigé, « après moi le déluge ! » pourrait-il dire. Il est peu probable que Juncker soit victime de cette affaire (Selmayr le serait plus probablement), mais la principale perdante dans tout cela, c’est bien la crédibilité de l’UE. L’affaire Selmayr, couplée aux magouilles peu morales de l’ancien Président de la Commission José Manuel Barroso, désormais lobbyiste honni (ou pas tant que ça) pour Goldman Sachs, est terriblement dévastatrice pour des institutions européennes qui se doivent d’être les plus transparentes possible.

Le timing est lui aussi terriblement mauvais. L’UE souffre d’un manque de légitimité démocratique et même d’un manque d’amour de la part des citoyens européens. Alors que l’UE a justement besoin d’une « refondation démocratique et transparente » ! Alors que les élections européennes se profilent l’année prochaine et qu’elles sont de plus en plus boudées ! Les partis eurosceptiques se délectent de cette bavure de la technocratie européenne, à l’image de Nigel Farage. La victoire éclatante des populistes en Italie démontre que leur spectre continue de hanter l’Europe. Aux citoyens désormais de trancher : donner raison aux forces destructrices anti-européennes et punir l’ensemble du projet européen ou bien exiger plus de transparence et de démocratie en ne pénalisant pas l’UE. En tant que fédéralistes européens, nous devons souhaiter de toutes nos forces la pérennité de l’UE tout en étant absolument intraitables sur les moindres errements de ses institutions.

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