Une coopération aux contours grandement historiques
Cette coopération est l’une des multiples coopérations interétatiques sur le Vieux Continent. Comme ses homologues du triangle de Weimar (Allemagne, France, Pologne), du groupe de Visegrád (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie) ou du Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), le triangle de Lublin vise à développer un cadre de coopération institutionnelle afin de permettre des échanges politiques, défensifs, diplomatiques, économiques privilégiés.
Comme pour les autres « triangles », le Triangle de Lublin est justifié par une proximité géographique et des frontières communes, mais également par une proximité historique. En effet, les actuels territoires lituanien, polonais et ukrainien ont pour point commun d’avoir tous été régis par le Grand-Duc de Pologne-Lituanie du XVème jusqu’au XVIIIème siècle. La République des Deux-Nations, autre nom de l’Union entre la Pologne et la Lituanie, était une confédération alliant les gouvernements de Varsovie et de Vilnius. Celle-ci, fondée par le traité de Lublin, d’où le nom de l’actuel triangle coopératif, a d’ailleurs permis la distinction du peuple ukrainien vis-à-vis du peuple russe, comme le précise Jacques Rupnik : « il y a une origine commune entre Russes et Ukrainiens, mais les voies ont divergé par la suite […] pendant la longue période du XVIème au XVIIème siècle, où la grande partie de ce qu’est le territoire ukrainien aujourd’hui faisait partie d’un état polono-lituanien ». C’est cette proximité géographique, culturelle et historique qui a permis la constitution de ce nouveau « triangle ».
Un triangle vivifié par la guerre
Le Triangle de Lublin a été fondé le 28 juillet 2020 à Lublin en Pologne par les ministres des Affaires étrangères de la Lituanie, de la Pologne et de l’Ukraine, respectivement Linas Linkevičius, Jacek Chaputowicz et Dmytro Kuleba. Le Triangle a pour but de défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine, alors que celle-ci avait perdu depuis 2014 le contrôle des territoires des Républiques autoproclamés de Donetsk et de Lougansk, ainsi que de la péninsule de Crimée rattachée à la Russie depuis mars 2014. De plus, le format de Lublin a pour objectifs l’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN dans le cas où cette dernière le souhaiterait, ainsi que l’échange culturel entre les pays membres, le développement économique par la coopération entre ceux-ci et enfin la coordination des politiques étrangères des trois diplomaties.
Alors que le Triangle de Lublin était resté en retrait depuis 2020, en agissant seulement dans quelques rares cas anecdotiques, la guerre déclarée par la Russie à l’Ukraine et l’onde de choc qu’elle a déclenchée partout en Europe sont venues le réveiller. La Pologne et la Lituanie ont été parmi les premiers pays à condamner, d’une part, la reconnaissance par Moscou des républiques sécessionnistes du Donbass et d’autre part, l’opération militaire offensive russe sur le sol ukrainien, débutée le 24 février 2022. Le Triangle a par la suite soutenu la reconnaissance officielle, de la part de la Commission et du Conseil européen, de la candidature d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Après la demande du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, d’adhérer « le plus vite possible », si ce n’est dans l’immédiat, à l’Union, cela par une « procédure extraordinaire et simplifiée », les partenaires du Triangle de Lublin ont témoigné de leur solidarité et de leur soutien à cette injonction.
Un futur rôle prééminent ?
Bien qu’il soit peu probable que l’Ukraine devienne dans les jours qui viennent le vingt-huitième membre de l’Union européenne, le Triangle n’a pas dit son dernier mot et considère déjà un rôle prédominant en ce qui concerne ce sujet. Il pourrait ainsi être au centre du volontarisme européen sur la question ukrainienne notamment par l’accueil des réfugiés, ce qu’il fait pleinement en ce moment, mais également en proposant à l’Ukraine le statut d’État candidat à l’UE voire l’adhésion de l’Ukraine à l’Union douanière de l’Union européenne, ce qui serait un premier pas vers une adhésion pleine et entière à l’Union européenne. La proposition n’est pas écartée par la présidente du Bloc, Ursula von der Leyen, qui déclare qu’il existe ainsi un « processus avec l’Ukraine qui consiste à intégrer le marché ukrainien dans notre marché unique » .
Le Triangle de Lublin pourrait ne pas se contenter du seul sujet ukrainien. En effet, depuis que le régime biélorusse d’Alexander Loukachenko a accepté le passage des troupes russes sur son territoire pour envahir son voisin septentrional ukrainien le 24 février 2022, Svetlana Tikhanovskaïa, principale opposante au régime, après avoir constaté que le président en exercice avait « transformé [le] pays en agresseur » et qu’il avait ainsi « le droit de s’exprimer au nom du peuple biélorusse », a décidé de former un gouvernement en exil présidé par elle-même.
Cette déclaration fut émise depuis l’ambassade de Lituanie à Paris, montrant ainsi un accord tacite, si ce n’est actif, du pays à ce gouvernement autoproclamé. Le Triangle de Lublin possède en effet des liens particuliers, les mêmes qui les unissent, avec le Bélarus. Les trois pays du Triangle abritent ainsi déjà certaines institutions de l’opposition bélarusse à la dictature de Loukachenko, notamment l’Université européenne des sciences humaines bélarusse ou plusieurs médias d’opposition. La Lituanie, la Pologne et l’Ukraine pourraient ainsi, après que l’orage russe qui plane sur l’Ukraine se soit dissipé, s’intéresser d’un peu plus prêt et un peu plus activement à la cause bélarusse.
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