Les députés espagnols votent la légalisation de l’euthanasie

, par Sophia Berrada

Les députés espagnols votent la légalisation de l'euthanasie
(source : site du Congreso de los diputados)

Nos voisins espagnols se sont prononcés en décembre en faveur d’une nouvelle loi autorisant l’euthanasie. Alors que cette question revient régulièrement sur la scène médiatique des pays européens (on pense aux combats d’Alain Cocq, de la femme de Vincent Lambert en France, ou à celui de Ramón Sampedro en Espagne), et quand bien même elle semble parfois faire consensus chez les citoyens, les politiques des pays du Vieux Continent diffèrent grandement en la matière. Au menu de cet article : un panorama des textes de loi européens sur la fin de vie, et un focus sur les enjeux de la bioéthique.

En Espagne, la Chambre des députés se met au diapason de la société

En Espagne, le 17 décembre dernier, la Chambre des députés s’est prononcée en faveur d’une loi reconnaissant le droit à l’euthanasie, avec une large majorité (198 voix favorables, 138 voix contre et deux abstentions), et s’est mise au diapason de la société espagnole dont, en 2019, 89% des citoyens se disaient favorables à l’adoption d’un tel texte.

Il permettra aux personnes majeures porteuses d’une « maladie grave et incurable » ou « grave, chronique et invalidante » de demander le recours à une euthanasie que l’on qualifie d’active - l’on administre un produit létal, contrairement à l’euthanasie passive qui consiste en l’arrêt des traitements, de l’alimentation et de l’hydratation (auquel s’ajoutent des médicaments contre la douleur, que la médecine est sommée de soulager qu’importent les conséquences). On parle de suicide assisté lorsque la personne s’administre elle-même le produit létal.

Les Espagnols qui souhaitent y avoir recours devront formuler leur souhait à quatre reprises, et observer un temps de réflexion de 10 jours après avoir reçu toutes les informations nécessaires. Deux médecins, dont l’un devra être spécialiste de la pathologie dont souffre le patient, valideront sa demande qui passera ensuite devant une commission d’évaluation indépendante, composée de médecins et de juristes (à chaque région autonome sa commission, puisqu’en Espagne, les compétences en matière de santé sont dévolues à cet échelon). La procédure entière devrait durer un mois. Le texte de loi prévoit, pour les médecins, une clause de conscience leur permettant de refuser d’effectuer ce geste s’il est contraire à leurs valeurs personnelles, mais il leur incombera alors de rediriger le patient vers un autre professionnel.

Approuvé par les partis libéraux, ceux de gauche et les indépendantistes catalan et basque et dénoncé par les camps conservateur et d’extrême-droite, ce texte de loi doit désormais passer entre les mains de la Commission de la santé, puis de celles des sénateurs espagnols, majoritairement issus du PSOE (Partido Socialista Obrero Español, parti au pouvoir). D’après le ministre espagnol de la Santé, Salvador Illa, le texte pourrait être adopté avant le mois de juin prochain, et la loi mise en application dès le mois de janvier 2022. L’Espagne deviendra ainsi le quatrième pays européen à autoriser l’euthanasie active sur son sol.

La fin de vie en Europe : un patchwork législatif

Les précurseurs mondiaux en la matière sont les Néerlandais. Aux Pays-Bas, depuis 2001, l’euthanasie active est autorisée, tout comme au Luxembourg depuis 2009. En Belgique, le suicide assisté l’est depuis 2002. Dans ces pays, le débat se porte davantage sur la question de la légalisation de l’euthanasie pour les enfants malades en phase terminale qui en font la demande. En juin 2015, des associations de pédiatres néerlandais s’étaient prononcés en faveur d’une loi allant dans ce sens, mais aujourd’hui rien n’a changé sur ce point. En Belgique en revanche, le Parlement a autorisé en 2014 ce droit unique au monde, encadré par des conditions strictes.

La plupart des pays européens ont une position similaire à celle de la France : refusent l’euthanasie active mais autorisent l’accompagnement vers la mort après un arrêt des traitements (avec de grandes variations dans la manière de formuler la loi à cet égard). L’euthanasie est farouchement interdite en Grèce, en Roumanie, en Pologne, en Irlande ou en Croatie. Dans ces pays, un tel acte peut être considéré comme un homicide, un crime ou un délit selon les lois. Dans chacun, il peut être puni d’emprisonnement.

La dignité en bioéthique

Le droit de mourir dignement. Derrière cet argument, il existe traditionnellement deux positions antonymes. Celle qui considère que la dignité réside dans la liberté de choisir la façon dont on veut mourir et celle qui plaide qu’elle est un attribut inconditionnel de la vie. Pour les faire dialoguer, il est coutume de faire appel à une discipline dont la mission est (en toute simplicité) de définir, d’un point de vue moral, et au regard de l’évolution des mœurs sociétales et des progrès scientifiques, « ce qui doit être ». L’éthique. La bioéthique, ici, puisque son objet d’étude est d’ordre biologique et médical.

Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de 1999 à 2008, lui, ne se pose pas tant la question de la dignité (après tout, à qui appartient le droit de juger de la dignité de quelqu’un ? À l’individu lui-même ? À la société ?) que celle de la gestion des situations indignes. Il déplore le paradoxe français suivant : les services de soins palliatifs sont d’une très bonne qualité, mais ne représentent que trop peu de lits. Il en existe 5 040, dont seulement 71 000 patients ont pu bénéficier en 2014, quand environ 311 000 personnes par an nécessiteraient un accompagnement de cet acabit. Cette médecine, dont le dessein est d’améliorer la qualité de vie d’un patient arrivant à la fin de la sienne, intervient auprès d’un malade en parallèle de son parcours de soins curatifs dans des pays comme la Suisse ou l’Allemagne. Dans l’Hexagone, un patient sera pris en charge par un service de soins palliatifs lorsque sa présence dans un service de soins curatifs relèvera de l’acharnement thérapeutique, et mourra en moyenne 18 jours après y être entré.

La plupart des pays détiennent, en leur sein, un comité de réflexion sur les questions de bioéthiques. Le CCNE français cité plus haut (le premier du genre créé au monde, en 1983), le Deutscher Ethikrat allemand, l’Etiska Råd danois et tous leurs homologues, se réunissent régulièrement pour échanger autour de ces questions, qui échappent d’une certaine façon à la notion de frontières. A l’échelon de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe, plusieurs groupes de conseillers existent, sans toutefois que leurs travaux fassent grand écho dans l’espace public. Samantha Besson, professeure de droit international public et européen, titulaire de la chaire « Droit international des institutions » au Collège de France, disait au micro de France Culture, qu’une relance politique de l’Union européenne devrait « passer par la santé, [car] c’est ce qui lie le social à l’économique ». Accorder à la bioéthique un plus grand rôle sur la scène européenne, discipline au carrefour de la santé, des sciences, de la recherche, de la philosophie et du droit, pourrait constituer une approche fondatrice. Pas facile, toutefois, quand ces questions effleurent des notions aussi corrosives que la laïcité, la religion, la vie et la mort.

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