Les lobbies en Europe (5/5) : La fabrication de l’information, un lobbying détourné

, par Henri Clavier

Les lobbies en Europe (5/5) : La fabrication de l'information, un lobbying détourné

Les précédents articles de la série nous l’ont montré, réaliser une campagne de lobbying sur une législation en cours de rédaction porte généralement ses fruits. La désinformation s’avère parfois plus efficace que la persuasion. L’utilisation des médias et la production de fake news participent au succès d’un nombre croissant de campagnes de lobbying.

Incliner la sphère publique, un lobbying à la source

Une campagne efficace de lobbying ne s’adresse pas toujours uniquement aux décideurs politiques. Un moyen pertinent de court-circuiter les décideurs politiques consiste à influencer directement l’opinion publique, une manœuvre destinée à conditionner la décision publique. En tant que moyen de diffusion d’idées et d’informations, les “laboratoires d’idées” ou think tank occupent une place de choix dans l’espace médiatique européen. Le faible nombre de médias paneuropéens et leur modèle économique offrent une place de choix aux think tank de la bulle européenne.

Ces laboratoires d’idées n’ont pas vocation à remplir un rôle de lobby, mais la nécessité de visibilité et le mouvement d’institutionnalisation des think tank ont encouragé une forme de spécialisation. Ces laboratoires ne défendent pas nécessairement des intérêts marchands mais épousent une vision de la société. Cette ligne contribue autant à justifier la singularité de chacun des think tank qu’à biaiser le contenu de certaines publications. Les think tank occupent une position à la lisière du lobby et du média. Ils n’exercent pas leur influence directement sur les décideurs politiques, mais bien sur l’opinion publique.

Avisa partners, le lobbying par la désinformation

Certains acteurs, à la dénomination floue - agence de communication, conseil en intelligence économique ou agence d’influence - ont investi. En plein essor depuis quelques décennies, le business de l’influence cherche perpétuellement de nouveaux espaces à défricher. L’influente agence parisienne “Avisa Partners” se présente sur son site internet comme “une société d’intelligence économique, d’affaires internationales et de cybersécurité”.

Une pratique distincte du lobbying, dans la mesure où les employés de ces agences n’arpentent pas les couloirs du Parlement européen et n’obtiennent pas de rendez-vous avec les fonctionnaires de la Commission. Les pratiques d’Avisa Partners interrogent au mieux, choquent au pire. Révélées par le journal Fakir et corroborées par une enquête de Médiapart, les méthodes d’Avisa Partners s’appuient sur un vaste réseau de fabrication d’information, d’infiltration des médias. La fabrication de l’information, c’est la stratégie adoptée par Avisa Partners pour satisfaire les commandes de ses clients, des clients allant des grandes entreprises françaises et internationales à des États peu démocratiques (Kazakhstan, RDC, Qatar …). Pourtant, la rubrique “éthique” du site d’Avisa Partners affirme ne pas vendre ses services à n’importe qui : “En amont de chaque nouvel engagement contractuel, Avisa Partners réunit son comité éthique afin de valider la possibilité pour le groupe de s’engager auprès d’un nouveau client ou sur une nouvelle mission.”

Fakir et Mediapart exposent les méthodes utilisées par Avisa Partners pour façonner l’information sur des sujets cruciaux pour leurs clients. Car oui, les commandes s’assimilent à celles que reçoivent les cabinets de conseils en Affaires publiques pour une campagne de lobbying classique. Seulement ici les lobbyistes n’en sont pas. Avisa Partners commande directement des articles à des journalistes, sans hésiter à les modifier par la suite en fonction de la commande reçue. L’objectif ? Inonder les médias d’informations favorables au commanditaire. Tribunes, billets sur des sites participatifs (les blogs de Mediapart, Le Figaro, Huffington Post …) ou même courrier des lecteurs, les moyens d’investir l’espace médiatique sont pluriels. Dans un reportage de Complément d’enquête, Sylvain Pak recueille le témoignage d’un journaliste auteur de centaines d’articles, tous directement mis au service d’EDF. La précarité croissante des jeunes journalistes facilite le recrutement de rédacteurs (payés entre 60 et 150 euros par article).

Ces contributions ne sont pas seulement des commandes, certains articles sont volontairement mensongers et factuellement inexacts. Mediapart identifie plus de 600 fausses contributions publiées par des faux profils se présentant généralement comme des experts dans leur domaine (cadres, universitaires, scientifiques …). Arrêt sur images découvre même, au cours de son investigation, l’existence de faux médias, relais privilégiés de l’entreprise de désinformation mise en place par Avisa Partners. Une pratique inquiétante tant sa force de conviction excède l’entendement. Car la fabrique de fausses informations ne connaît pas que des motivations marchandes.

Le marché du référencement et de l’information

La pratique du lobbying évolue vite, au point d’investir continuellement les nouveaux espaces. Le ghostwriting s’avère être un excellent moyen de s’offrir une visibilité et d’occuper l’espace public. Une pratique qui entre en résonance avec celle du netlinking.

Concrètement, bénéficier d’un maximum de liens renvoyant vers un site contribue au bon référencement de ce dernier. La présence de ces liens dans le maillage du texte permet d’offrir une meilleure SEO (optimisation du référencement sur les moteurs de recherche) pour le client. En travaillant sur son référencement SEO, un site améliore nécessairement sa visibilité. La SEO représente aujourd’hui un enjeu décisif d’un lobbying efficace. Un bon référencement assure une notoriété, mais aussi une reprise des arguments développés par le site en question.

C’est notamment le cas d’une compagnie de location de jet privés qui a eu recours au ghostwriting et au netlinking afin de faire décoller son référencement. “J’ai travaillé pour une compagnie d’aviation privée pour améliorer son référencement naturel. L’objectif était d’améliorer sa position dans les résultats des moteurs de recherche, à travers l’écriture d’articles contenant un lien internet vers le site de la compagnie” témoigne un ancien contributeur. Il n’est pas journaliste et a principalement été engagé pour sa maîtrise de l’Allemand “j’ai reçu une offre à laquelle j’ai postulé en un clic. L’offre était assez intéressante et bien rémunérée 10 centimes le mot soit le prix haut payé pour un traducteur”.

Non signés, les articles s’apparentent à de la communication servant directement les intérêts de l’entreprise “Les sujets d’articles étaient divers et variés, mais ceux-ci n’avaient pas de réel intérêt et opéraient sous forme de coquilles vides.” Tous les articles commandés sont destinés à mettre en valeur cette compagnie de jet privé notamment en vantant les supposés bienfaits d’un carburant propre. “C’était simplement écrire dans un allemand correct pour que les liens hypertexte vers la compagnie aérienne soient assimilés par l’algorithme google de référencement naturel aux titres du sujet de l’article”.

Un lobbying indirect qui démontre l’existence d’un véritable marché de l’information. Les médias numériques sont au centre de cette stratégie avec le risque notamment de s’appuyer sur de faux médias. En l’occurrence, les sites sur lesquels les articles étaient publiés n’étaient souvent que des façades, faisant commerce de leur visibilité pour héberger des articles.

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