Les lobbies en Europe (1/5) : Entre mythes et réalités, quel quotidien pour un lobbyiste ?

, par Henri Clavier

Les lobbies en Europe (1/5) : Entre mythes et réalités, quel quotidien pour un lobbyiste ?
Réunion de travail / Source Pixabay

Les lobbies en Europe (1/5). Représentant d’intérêt, chargé de plaidoyer, consultant en affaires publiques, lobbyiste… Les dénominations sont multiples mais renvoient toutes à la même réalité, celle des métiers de l’influence. Souvent jugé péjoratif, le terme “lobbyiste” a vu se développer un nombre important et plus flatteurs de synonymes. Deux villes sont considérées comme les capitales mondiales du lobbying, Bruxelles et Washington. Notre série se concentrera principalement sur le lobbying au sein de l’Union européenne et donc à Bruxelles.

Portrait robot d’une profession connotée

Très connotées, les actions de lobbying ne correspondent pas uniquement aux fantasmes populaires de corruption et autres tractations souterraines. Alors que la corruption est illégale et recourt à la contrainte, le lobbying est une pratique légale qui ne contraint pas ses interlocuteurs. L’action même de lobbying est une action du quotidien par laquelle nous sommes amenés à mobiliser des arguments, auprès du public qualifié, afin de satisfaire nos intérêts. Ainsi, le lobbying ou la défense des intérêts est inhérent aux sociétés contemporaines. Le lobbying est une pratique soumise à des règles, différentes selon les Etats, et celui au sein de l’Union européenne se distingue de la pratique outre-atlantique, où les lobbyistes peuvent directement financer la vie politique.

Le registre de transparence européen considère comme menant des actions de lobbying “[Toutes] les organisations qui cherchent à influencer le processus législatif et de mise en œuvre des politiques des institutions européennes.” Le lobbying consiste donc principalement à tenter d’influencer les décideurs publics (fonctionnaires, députés, etc) en leur fournissant un argumentaire. Partant de cette définition, Total comme Greenpeace ont recours à des actions de lobbying. Un exemple qui démontre l’impossibilité de généraliser les actions menées par les lobbies. Les acteurs sont si variés que l’on retrouve aussi bien les multinationales de l’énergie et des nouvelles technologies, que des organisations syndicales ou la fédération des producteurs de pommes de terre. Chaque pan de la société, chaque secteur économique a des intérêts à faire valoir devant le législateur européen. Le lobbyiste est donc beaucoup plus banal qu’il n’y paraît et s’éloigne du caractère occulte qu’on lui prête souvent. Le lobbying ne s’assimile pas à de la corruption organisée, mais beaucoup plus à une volonté d’infléchir le processus décisionnel.

On distingue les lobbyistes directement employés par une entreprise ou une fédération d’associations de manière permanente (les lobbyistes “maison”) des autres acteurs existants. Une pratique qui demeure l’apanage des plus aisés, tant ouvrir un département des Affaires publiques peut s’avérer onéreux. Des cabinets de conseils et d’avocats offrent également leurs précieux services pour un recours ponctuel à une campagne de lobbying. Plus subtilement, les Think tank sont souvent utilisés, à travers leurs financements, dans une forme de lobbying intellectualisé. Le recours à des cabinets de défense de produits, peu connus, est également fréquent. Ces cabinets sont spécialisés dans la production d’études scientifiques et proposent leurs services pour alimenter les campagnes de lobbying.

Les lobbyistes, une sociologie commune

Il existe donc une kyrielle d’employeurs potentiels, mais les profils recherchés, eux, ne revêtent pas la même diversité. Les lobbyistes ou consultants en Affaires publiques possèdent dans la plupart des cas un Master II en droit, en sciences politiques ou en économie. La représentation d’intérêts étant avant tout un milieu relationnel, les employeurs valorisent les passages dans les institutions européennes.

Les lobbyistes du quotidien, méconnus et source de fantasmes, suivent pourtant une routine bien établie. Afin de mener une campagne de lobbying, le chargé de plaidoyer doit d’abord identifier les intérêts que son organisation souhaite défendre. Ensuite, tout l’enjeu réside dans la capacité du lobbyiste d’adresser le bon argumentaire à l’interlocuteur idoine, il sera donc inutile de dîner avec Josep Borrell pour lui parler de l’interdiction de la chasse à courre. Le lobbyiste doit non seulement identifier les protagonistes clefs mais également les intérêts des autres organisations affectées par le processus législatif en cours.

Pour ce faire, le lobbyiste réalise des cartographies d’intérêts afin d’identifier les potentiels alliés, mais aussi les futurs opposants et leur argumentaire. Une étape qui permet de faciliter la suite du travail, de former des coalitions et d’affiner son propos. Les cartographies d’intérêts, phase préliminaire, vont accompagner le lobbyiste tout au long de sa campagne. Une campagne rythmée par les avancées du processus législatif. La phase de la consultation publique est particulièrement importante pour les lobbyistes puisque c’est à l’occasion de celle-ci qu’ils peuvent formuler les intérêts de leur organisation auprès de la Commission européenne en quelques pages dans un position paper.

L’Union européenne et la conception de l’intérêt général

Le gros du travail législatif est réalisé en amont du Parlement et du Conseil, auprès des fonctionnaires de la Commission européenne. Un travail préparatoire dans lequel les groupes d’experts jouent un rôle fondamental. Ces groupes techniques, chargés d’assister la Commission européenne sur des sujets complexes, sont composés d’experts indépendants, de représentants des Etats, mais aussi des représentants des parties prenantes (ONG, entreprises, syndicats …). Les groupes d’experts sont fréquemment investis par des lobbyistes, inclinant ainsi les rapports présentés à la Commission. Ensuite, le lobbyiste consacre son temps à faire valoir ses positions via des rendez-vous avec les fonctionnaires de la Commission. Les lobbyistes sont aussi amenés à travailler avec les eurodéputés, notamment en proposant des amendements avant les passages en commission.

Le lobbying est donc particulièrement intégré au processus décisionnel de l’Union européenne en application de l’article premier du Traité sur l’Union européenne, qui consacre le principe d’ouverture. Si cette proximité peut alerter, notamment au regard des conflits d’intérêts que ces pratiques provoquent, les institutions européennes adoptent une approche très encourageante par rapport aux lobbies. Rappelons que les directives et règlements négociés à Bruxelles concernent plus de 450 millions de citoyens européens. Les institutions européennes sont fréquemment accusées d’être abusivement technocratiques, déconnectées des réalités du continent ou encore illégitimes. Un déficit de légitimité qui, dans l’absolu, handicape l’action de l’Union européenne.

Dans ce cadre, le recours aux groupes d’experts et aux consultations publiques est perçu comme un moyen optimal de sonder l’opinion publique européenne. On considère alors que l’expression et la prise en considération des avis et intérêts des différentes parties prenantes permet de dégager une forme d’intérêt général européen. Une conception anglo-saxonne de l’intérêt général reprise par les institutions européennes en opposition avec la conception rousseauiste. Conscientes qu’il n’est pas possible de stopper ou d’interdire le lobbying, les institutions européennes préfèrent l’encourager afin d’embrasser une certaine vision de la démocratie consultative. En s’inscrivant dans cette démarche, les institutions européennes combattent l’image de machine technocratique et surtout d’illégitimité politique. Indirectement donc, l’implication des lobbies est perçue comme un moyen de légitimation des institutions européennes.

Le métier de lobbyiste ou de représentant d’intérêts ne correspond pas exclusivement aux idées-reçues. L’appellation générique “lobby” contribue à alimenter l’image d’une coalition informelle d’acteurs occultes. Concrètement, le lobbying correspond plutôt à une tentative privée d’intégrer le processus décisionnel afin d’en influencer le résultat. Les pratiques les plus troublantes et dangereuses pour la démocratie relèvent plus souvent de la confusion des genres entre lobbyistes et décideurs publics que de la corruption.

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