David contre Goliath dans le quartier européen de Bruxelles
Source d’informations pour certains, poison de la démocratie pour d’autres. Les lobbies recouvrent des réalités diverses selon les secteurs malgré l’appellation générique. Dans le quartier européen de Bruxelles, tous ne jouent pas à armes égales et les intérêts non-marchands sont souvent les moins dotés financièrement. Les ONG disposent de ressources limitées pour faire valoir leurs arguments. Elles dépendent directement des dons de leurs adhérents ou de subventions octroyées par la Commission européenne. Ces revenus variables fragilisant la pérennité de leur action. C’est une première limite à la théorie pluraliste prisée par les institutions européennes.
L’inégalité entre les différents lobbies transparaît aussi dans la composition des groupes d’experts qui orientent le contenu des propositions législatives présentées par la Commission. Sur le millier de groupes d’experts assistant la Commission, les représentants de l’industrie sont présents dans 28,5% des groupes contre 16,7% pour les ONG et 11,8% pour les syndicats. Malgré la volonté affichée par la Commission européenne de prendre en compte un maximum d’opinions différents, tous les secteurs ne bénéficient pas d’un traitement similaire. En 2015, la Médiatrice européenne déplorait qu’un groupe d’experts ait été parasité par le lobby du gaz de schiste.
La transparence, gage d’un lobbying de qualité
Lucides sur les enjeux soulevés par une approche pluraliste, les institutions européennes ont tenté d’assurer un minimum de transparence dans la pratique du lobbying. Créé, en 1995, pour surveiller les cas de mauvaise administration, le Médiateur européen s’est imposé comme l’acteur majeur de la transparence dans l’Union européenne. Au moyen d’enquêtes, le Médiateur peut pointer le manque de transparence et les cas de mauvaises administrations dont sont responsables les institutions européennes.
Si les compétences du Médiateur européen se sont largement renforcées, cet organe ne dispose d’aucun pouvoir contraignant. Rapidement, il est apparu que la conception européenne de l’intérêt général reposant sur le pluralisme ne pouvait émerger sans que la Commission européenne n’assure le rôle d’arbitre. Pour combler ces lacunes, la Commission a créé le registre de transparence en 2007. Le registre a fusionné avec celui du Parlement européen en 2011 afin d’offrir une meilleure couverture des activités de lobbying tout au long du processus législatif. Le registre recense le nom, les coordonnées, l’employeur des lobbyistes mais également les sommes engagées par les organisations, les groupes d’experts dans lesquels elles sont présentes ainsi que les rendez-vous avec les fonctionnaires de la Commission européenne. Une manne d’informations censée permettre une surveillance du personnel politique européen par le public.
Une transparence "incitative"
En 2021, le registre de transparence recensait plus de 12 000 organisations inscrites au registre de transparence et plus de 25 000 équivalents temps pleins déclarés. Un nombre consacrant Bruxelles en tant que capitale européenne du lobbying. Le nombre semble pourtant sous-estimé puisque l’inscription au registre de transparence est facultative. Les institutions européennes ont privilégié un mécanisme incitatif, les lobbyistes ne sont pas obligés de s’inscrire au registre de transparence mais l’inscription procure plusieurs avantages comme l’obtention d’une accréditation au Parlement européen ou des rendez-vous avec les fonctionnaires de la Commission et les commissaires européens.
Si le registre de transparence a considérablement fait évoluer les pratiques du lobbying dans l’Union européenne, ce dernier comprend un certain nombre de failles. Premièrement, le caractère facultatif du registre occulte nécessairement plusieurs centaines de lobbyistes. Ensuite, les dépenses engagées ou les rendez-vous effectués sont renseignés par les principaux intéressés et ne font pas l’objet d’un contrôle systématique. Enfin, le registre est longtemps resté partiel puisque le Conseil de l’Union européenne ne faisait pas partie du registre de transparence avant 2021.
Le pantouflage, combustible de la défiance envers les institutions européennes
Au-delà de la question de la transparence, le pantouflage ou les “revolving doors” est une expérience prisée des lobbyistes, surtout au niveau européen. La “bulle européenne” favorise largement la pratique du lobbying. Tout se passe dans un espace géographiquement restreint et les sujets européens sont souvent techniques et peu abordables. Ces circonstances créent une socialisation commune entre les lobbyistes et les fonctionnaires européens.
Qui de plus qualifié qu’un fonctionnaire de la Commission européenne pour assurer le succès d’une campagne cruciale ? Les fiches de postes émises par les cabinets d’affaires publiques exigent souvent le passage par une institution européenne, idéalement la Commission. Un mélange des genres rapidement assimilable au conflit d’intérêt. Les portes tournantes alimentent la défiance envers les institutions et mettent à mal le principe d’ouverture et de pluralisme. Il est plus aisé pour des multinationales de s’aligner sur la grille salariale de la Commission européenne que pour des petites ONG de défense de l’environnement par exemple.
Loin d’en faire une priorité, la Commission était, dans un communiqué de presse du 18 mai 2022, tancée par la Médiatrice européenne pour son laxisme face au pantouflage. La Médiatrice déplorait les faibles contrôles effectués par l’administration de la Commission sur les départs vers le privé et déclarait : “Il existe une tendance à sous-estimer les effets nocifs engendrés par des fonctionnaires qui apportent leurs connaissances et leur réseau dans des domaines connexes du secteur privé”. La Médiatrice s’inquiète également de l’impact de telles pratiques sur la confiance des citoyens européens dans leurs institutions.
Si l’Union européenne possède un cadre clair pour contrôler l’action des lobbyistes, tous les États membres ne peuvent pas se targuer d’un registre similaire. Seuls six États membres sont dotés d’une réglementation spécifique au lobbying (France, Lituanie, Autriche, Irlande, Slovénie et Pologne). La France s’est dotée d’un registre de transparence avec la Loi Sapin II gérée par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
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