Les négociations de Cameron : simple rouage d’une machinerie nationaliste

, par Silas McGilvray, traduit par David Rémy

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Les négociations de Cameron : simple rouage d'une machinerie nationaliste
David Cameron, leader des conservateurs, nouveau chantre du nationalisme britannique ? - Number 10

Il semble que beaucoup de personnes en Europe ne comprennent pas – non sans raison – ce que David Cameron attend de l’Union européenne. Il convient de rappeler que les conservateurs ont lancé toute une série d’attaques étranges et arbitraires contre tout ce qui est « étranger ». Ainsi, le référendum de Cameron sur la sortie de l’Union européenne n’exprime pas directement un mécontentement à son égard mais représente plutôt l’une des nombreuses actions reflétant l’instrumentalisation croissante du nationalisme britannique pour rallier des votes.

Malheureusement, ce nationalisme, fil conducteur de la politique des conservateurs, a en grande partie été négligé et trop peu combattu. Dans l’opposition, le Parti travailliste traverse une crise d’identité et a préféré se concentrer sur l’économie et la politique intérieure, même si son point de vue reste plus internationaliste que celui des conservateurs. Cette distinction devient cependant moins prégnante puisque le Parti travailliste suit un changement politique, notamment en Angleterre. Il soutient désormais le référendum sur la place du Royaume-Uni dans l’Union européenne, a demandé une coupe dans le cadre du dernier budget européen et proclamé haut et fort sa posture anti-immigration pendant la campagne. Ces faits et les 4 millions de votes pour UKIP – qui n’a qu’un seul élu – brossent un sombre tableau pour ceux qui défendent une vision européenne ou internationaliste au Royaume-Uni.

Le nationalisme britannique en action

Par ironie du sort, le SNP – qui dirige une grande majorité dans les Parlements britannique et écossais – et non les conservateurs, sont les plus souvent qualifiés de « nationalistes ». En 2015, malgré son europhilie sans ambigüité, son point de vue plus favorable à l’immigration et sa conception plus progressive de la nationalité, cette ironie a échappé aux conservateurs qui diabolisaient le SNP, dénonçant des « nationalistes bornés » en Écosse et des Ecossais de centre-gauche en Angleterre. C’était l’un des moments clés pour déceler la nature cynique de ce nationalisme de clocher - ils essayaient de remporter les élections en dressant une partie du pays contre l’autre. L’Angleterre tremblait puisque les gens étaient devenus convaincus que le SNP manipulerait un gouvernement travailliste, causant le chaos, tandis que l’Écosse était furieuse et indignée par des attaques perçues comme portant sur le caractère écossais du SNP plutôt que sur sa politique.

Cependant, cette tendance s’observe avec davantage d’acuité dans d’autres domaines. Les conservateurs sont devenus de plus en plus hostiles à l’immigration, allant jusqu’à séparer des couples mariés unissant un étranger et un britannique gagnant moins d’un certain montant. Pendant longtemps, ils ont refusé d’accueillir le moindre réfugié syrien, refusent toujours ceux traversant la Méditerranée et ont tenté de cacher un rapport soulignant que l’impact économique négatif de l’immigration était moins lourd qu’ils ne le prétendaient.

Alors que le sentiment anti-immigration se développe dans de nombreux partis de droite en Europe, Cameron pourrait aller plus loin. Il a promis de jeter le Human Right Act, permettant au Royaume-Uni d’ignorer les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme tout en refusant de quitter la CEDH. Des conservateurs proposent une Déclaration des Droits Britannique, identique à la CEDH, sauf que le gouvernement fixerait lui-même l’interprétation de chaque droit et se prononcerait même sur leur caractère exécutoire. Des droits étroitement définis par le gouvernement et non exécutoires rendent évidemment totalement inutile l’adoption d’une telle déclaration. Ce non-sens et cette absurdité juridique sont aussi venus à l’esprit du Garde des sceaux conservateur qui a démissionné pour éviter de soutenir cette initiative. Ce projet s’éloigne, Cameron réalisant que des membres de son propre parti pourraient publiquement s’y opposer, et que tenter de l’imposer à l’Écosse et à l’Irlande du Nord contre la volonté de leurs parlements engendrerait un scandale politique et juridique. Le gouvernement reste cependant déterminé à le mener à son terme lorsqu’il en aura l’occasion.

Comment l’Union européenne s’intègre dans cette stratégie ?

Même si, cela n’est pas d’une grande consolation, la politique britannique à l’égard de l’Union européenne ne se fonde pas essentiellement sur un ensemble de récriminations rationnelles adressées expressément à l’Union européenne. Il s’agit plutôt d’un vague ramassis de demandes irréfléchies, expliqué par une forte intolérance et une suspicion à l’encontre de l’étranger. Même l’aide publique au développement commence à être sous pression puisque David Cameron indique qu’il pourrait l’allouer au ministère de la défense. Ce sentiment a conduit le gouvernement à empêcher les citoyens de l’Union résidant au Royaume-Uni de participer au référendum tandis que les Britanniques expatriés le pourront. Ceci révèle clairement l’étroite conception ethnique de Cameron de la nationalité. En Écosse, l’hypocrisie éclate au grand jour : si le gouvernement écossais avait interdit aux citoyens britanniques et européens de se prononcer sur l’indépendance, ils auraient à coup sûr été accusés de truquer le référendum à cause d’un sinistre nationalisme. Pourtant, Cameron a été largement félicité pour son action – un ancien ministre de la défense a déclaré que l’alternative aurait été « une inacceptable dilution de la voix du peuple britannique ».

Ceci explique pourquoi la façon dont David Cameron aborde les négociations sur l’Union européenne semble souvent si confuse et étrange. En 2005, il a quitté le PPE avec les conservateurs ; en 2011, il a opposé son veto au traité budgétaire – même Thatcher ne l’avait jamais fait – pour protéger les banquiers qui venaient de vandaliser l’économie britannique ; en 2012, il a menacé de récidiver sur une proposition que les autres pays prétendent ne jamais avoir émise, et n’oublions pas les dérogations du Royaume-Uni relatives à l’euro, à la justice et aux affaires intérieures, à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à Schengen et au rabais budgétaire. Il demande un marché unique mais aussi de renoncer aux régulations européennes qui permettent son fonctionnement, d’importantes restrictions à la libre circulation et une dérogation à « l’union sans cesse plus étroite », menaçant de soutenir le Brexit. Il est donc clair que Cameron n’agit pas ainsi pour former un consensus aboutissant à un traité rationnel. Son avis ne porte pas sur l’Union elle-même mais sur l’isolationnisme et un mépris pour les « ingérences étrangères ». Il semble de plus en plus qu’il veut simplement se donner en spectacle à Bruxelles, puis retrouver sa maison, faire les gros titres avec des foules en délire, des parlementaires apaisés et des sondages favorables. Ce nationalisme idéologique qu’il a attisé à la poursuite de succès électoraux, engendre un débat faussé et improductif, contraire aux intérêts du Royaume-Uni comme de l’Union européenne. Espérons seulement qu’il souhaite et est encore capable de le contrôler.

Vos commentaires
  • Le 1er juillet 2015 à 11:42, par Alain En réponse à : Les négociations de Cameron : simple rouage d’une machinerie nationaliste

    Ce qui est étonnant c’est de s’étonner : depuis toujours, l’objectif britannique est de limiter l’union européenne à un marché de libre échange des marchandises et services (financiers) ; tout le reste est de trop. Cameron va juste plus loin et plus à visage découvert que ses prédécesseurs

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