Le couple franco-allemand ou la saveur du compromis
A l’origine de la construction européenne, il y a cette rivalité franco-allemande, ayant abouti au pire. Comme pour éviter la résurgence de ces vieux démons, la France et l’Allemagne n’ont cessé d’être les artisans d’une « union plus étroite entre les peuples ».
Or, il n’empêche que depuis le début du XXIème siècle, la magie européenne n’opère plus. Les grandes avancées comme le marché unique, l’euro, mais également la fin de la guerre froide et les débats autour des relations franco-allemandes laissent une union sans impulsion. Malgré un soubresaut autour de la politique agricole commune et du refus de la guerre en Irak, ou du projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe, le moteur franco-allemand, ainsi que la coopération européenne, sont en panne.
Il faut pourtant bien concevoir l’importance du couple franco-allemand au sein l’Union Européenne. Celui-ci représente plus de 40% de son PIB, plus d’un tiers de sa population et d’un quart des députés européens. C’est par cette importance que la France et l’Allemagne ont fait office de capitaines lors de la tempête économique de 2008, et a fortiori celle de 2015 concernant les afflux de migrants.
Pour autant, il n’empêche que les visions françaises et allemandes divergent. La France aura toujours tendance à tenter d’assouplir les positions économique et financière stricte de son voisin d’outre-Rhin. Ce fut le cas lors des négociations du Pacte Budgétaire Européen ou du « sauvetage » de la Grèce lors de la crise de la zone euro. Cela a été de nouveau le cas durant cette pandémie de coronavirus. Les rôles se sont inversés cependant dans la gestion de la crise migratoire, la France étant opposée à la politique d’ouverture d’Angela Merkel. Nonobstant, la cohésion primera dans la gestion de la guerre en Ukraine et de la lutte contre le terrorisme.
La relation franco-allemande repose avant tout sur le pragmatisme. Tout comme pour l’Union Européenne, le compromis est et reste la meilleure solution. Alors sans éclat, le couple franco-allemand joue le rôle qui a toujours été le sien : celui d’un moteur et d’un leader.
Des visions européennes divergentes
L’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée annonçait un renouveau dans les relations franco-allemandes. François Hollande, au contraire de Nicolas Sarkozy, n’avait pas réussi à former un duo avec la chancelière, tel « Merkozy ». Une nouvelle impulsion était espérée. Pourtant, ce fut en quelque sort l’inverse qui se produit.
Le principal dossier qui accapara l’Union Européenne fut le départ de l’un des siens : le Royaume-Uni. Derrière le bloc que formèrent les États membres face au Brexit, il y eut cependant un point d’accrochage sur la question du report du départ des Britanniques. La France, défavorable à une extension trop longue du délai avant un Brexit définitif, s’est vue ouvertement contredite par l’Allemagne. Ce fut la première fois que la chancelière exposa un tel désaccord sans aucune précaution. D’autres désaccords tels que le véto de l’Allemagne à la taxe GAFA et la baisse du budget de la zone euro ont continué à dégrader la relation entre la France et l’Allemagne.
De manière générale, l’Allemagne se contente de l’Union tel qu’elle est actuellement : principalement économique. Elle reste réticente aux aspirations d’intégrations françaises, préférant un immobilisme pragmatique. Face à la volonté de la France et d’autres Etats de constituer une défense européenne, l’Allemagne s’oppose, l’OTAN étant pour elle une garantie satisfaisante.
En-dehors du cadre européen, la France et l’Allemagne ont, le 22 janvier 2019, réaffirmé leur volonté d’œuvrer ensemble, en signant le Traité d’Aix-la-Chapelle. Que ce soit à l’international, au sein de l’Union Européenne ou dans leurs relations mutuelles, les deux Etats se fixent de nouveaux objectifs et de nouveaux axes de coopération. Entré en vigueur il y a à peine 3 mois, ce nouveau Traité promeut une forte solidarité. La crise du coronavirus s’avère alors être un test grandeur nature.
A crise extraordinaire, réponse extraordinaire ?
La crise actuelle, tout d’abord sanitaire mais également économique, dû à la lutte contre le COVID-19, diffère des précédentes crises. Aucun État n’étant épargné, du moins totalement, chaque économie étant impactée, la cohésion est alors indispensable. Mais, face aux premières réactions de repli national, l’Union Européenne a un rôle majeur à jouer.
La France, l’Italie ainsi que 7 autres États européens ont appelé dans une lettre adressée au Président du Conseil Européen, Charles Michel, à la mise en place des fameux « coronabonds » limités aux dépenses sanitaires. Christine Lagarde, président du FMI, a elle-même appelé à envisager sérieusement cette éventualité. Pourtant, les Pays-Bas, ainsi que l’Allemagne, sont par principe opposés à la mutualisation des dettes des États européens. Olaf Scholz, Ministre allemand des Finances, considère que les instruments, tel que le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) et le budget de l’Union Européenne suffiraient pour répondre à la crise actuelle. A cela, le Ministre rassure en excluant toutes conditions drastiques qui furent au cœur des critiques du plan de sauvetage de la Grèce durant la décennie précédente.
Déjà lors de la crise économique de 2008, la solution des « Eurobonds » avait été envisagée, mais déjà l’Allemagne s’y était opposée et ainsi l’initiative fut abandonnée.
Face à un tel blocage idéologique, seul un accord entre la France et l’Allemagne permettra de débloquer, pour peu, la situation. Un compromis de 500 milliards est avancé lors de l’Eurogroupe du 9 avril. Pour cela, la France accepte de remettre à plus tard le principe de « coronabonds » au prix d’un assouplissement des règles du MES. L’Allemagne maintient son opposition à tout principe de mutualisation, fortement soutenue par les Pays-Bas.
Une union indispensable pour répondre à la crise
C’est en temps de crise que le moindre petit dysfonctionnement se révèle à tous. Les Etats de l’UE, comme première réaction à l’épidémie, ont opté pour un repli national. La Commission n’a pas joué son rôle de coordinateur et Ursula Von Der Leyen fut la première à s’en excuser.
Entre la France et l’Allemagne, la coordination transfrontalière ne fut, au départ, pas non plus au rendez-vous : fermeture des frontières, stratégies différentes, manque de coordination, … Pour autant, face à cette épreuve, les deux nations ont su réagir et œuvrer ensemble, notamment en transférant des patient français en Allemagne via une coopération transfrontalière.
Les différentes initiatives des députés français et allemands, ainsi que du Président de l’Assemblée Nationale (Richard Ferrand) et du Président du Bundestag (Wolfgang Schäuble) signant une tribune commune saluant la coopération des deux pays, présagent une union qui dépasse le simple devoir de solidarité : une union politique. Car au fur et à mesure de la crise sanitaire, les relations franco-allemandes ont fortement évolué. Au-delà de la solidarité transfrontalière, la France et l’Allemagne semblent désormais s’aligner sur la réponse à apporter au marasme économique à venir. Poussée notamment par l’opinion public allemand, la chancelière se dit désormais ouverte à une assistance financière, sous forme d’obligations, envers les économies les plus touchés par le COVID-19, basée sur l’article 122 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (au-delà du plan SURE pour le chômage partiel). En quelque sorte, les fameux « coronabonds ».
Celle-ci va plus loin, en appelant un remodelage du budget de l’Union Européenne (qui, par ailleurs, n’est toujours pas arrêté). « L’Allemagne va participer aux mesures de solidarité au-delà du paquet de 500 milliards d’euros ». Par ce revirement de doctrine, on remarque les concessions allemandes. Il est inhabituel, sur des questions économiques et financières, que l’Allemagne se positionne comme tel. Le compromis franco-allemand de réponse à la crise fait son chemin.
Pour autant, la coopération entre la France et l’Allemagne va devoir atteindre un tout autre niveau. L’Allemagne va prendre, le 1er juillet, la présidence du Conseil de l’UE. Outre la gestion des défis actuels qui traversent l’Union en raison de la crise sanitaire, l’Allemagne va devoir penser à « l’après ».
Car nombre d’enjeux attendent nos États membres, comme notamment la reprise des négociations du Brexit, du budget pluriannuel et le sommet UE-Chine à Leipzig (s’il n’est pas reporté). Forte de son pragmatisme, l’Allemagne devra maintenir une union forte parmi les Etats. De plus, pour mettre en œuvre son plan de relance, elle devra avant tout convaincre la France, afin d’éviter une fracture entre les États du Sud et du Nord encore plus béante.
Il reste tout de même une variable inconnue concernant les relations franco-allemandes. Après 4 mandats, l’actuelle chancelière Angela Merkel a annoncé qu’elle quitterait le pouvoir à l’issue des élections l’année prochaine, lançant une période d’incertitude politique que n’avait pas connue l’Allemagne depuis des années (Merkel est chancelière depuis 2005).
La coopération franco-allemande a toujours été tributaire de la relation entre le Président et le Chancelier ou la Chancelière, ainsi que de leur couleur politique (mais dans une moindre mesure). Elle a malgré tout su avancer indépendamment les désaccords politiques et idéologiques. La poussée de l’AfD (Alternative für Deutschland) en Allemagne lors des élections pourrait-elle avoir un impact sur les relations avec la France et l’Union Européenne en général ?
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