Les Outre-Mer et l’UE (1/5) Guadeloupe - Montserrat : liaisons dangereuses post-Brexit

, par Samuel Touron

Les Outre-Mer et l'UE (1/5) Guadeloupe - Montserrat : liaisons dangereuses post-Brexit
Fort Louis Delgrès à Basse-Terre (Guadeloupe) / Source Flickr

A priori, la Guadeloupe et Montserrat n’ont pas grand chose en commun si ce n’est leur inscription dans l’espace caribéen et américain ainsi que la proximité géographique. Le Brexit a, pourtant, fait ressortir les liens qui unissent ces deux territoires à leurs métropoles respectives et pose la question de la gouvernance des territoires ultra-marins européens.

Les deux îles aux statuts différents connaissaient des échanges multiples, désormais taries et la Guadeloupe perd un partenaire économique tandis que Montserrat se retrouve dans une situation de grave pénurie. L’Union européenne et ses problématiques s’incarnent ainsi également dans les outre-mers.

Distantes de 55 kilomètres, la Guadeloupe et Montserrat sont deux îles antillaises voisines liées chacune à une métropole : la Guadeloupe à la France dont elle constitue une région monodépartementale et Montserrat au Royaume-Uni dont elle constitue un territoire britannique d’Outre-Mer, anciennement nommée : « colonie de la Couronne » sans pour autant être membre du Commonwealth.

Les échanges commerciaux, importants entre les deux territoires, tous deux liés à l’Union européenne - la Guadeloupe est une région ultrapériphérique de l’UE tandis que Montserrat était un « Pays et territoire d’Outre-Mer » - ont été profondément bouleversés par le Brexit. L’exemple des relations entre la Guadeloupe et Montserrat témoigne plus largement des effets mondiaux du Brexit qui, dans les territoires ultra-marins, ont défini de nouvelles frontières et modifié les rapports de force.

Montserrat, une île « autonome » en crise

Territoire britannique d’Outre-Mer, l’île de Montserrat, à ne pas confondre avec le massif catalan du même nom, est sous domination anglaise depuis 1632 date à laquelle les Espagnols puis les Français ne purent en garder le contrôle. En 1960, l’île obtient un statut d’autonomie et devient une destination tendance pour le show-business qui trouve dans le paradis fiscal, un lieu de plaisirs et d’apaisement pour le portefeuille. Les Beatles, les Rolling Stones ou encore Michael Jackson, Elton John ou le groupe français Indochine y passèrent du bon temps et y enregistrèrent certains de leurs albums.

Gérée de manière très autonome mais dépendant de la couronne britannique, l’île est également un pays et territoire d’outre-mer de l’Union européenne (PTOM). À ce titre, ses habitants, jusqu’à l’entrée en vigueur du Brexit, jouissaient de la citoyenneté européenne et d’une application partielle des règles du marché commun. En outre, les PTOM définissent au cas par cas leur relation avec l’UE.

L’économie de l’île reposait et repose encore sur le tourisme de luxe, sur ses activités offshores de paradis fiscal et sur les subsides que lui verse Londres et lui versait Bruxelles. Ainsi, depuis l’an 2000, l’île a bénéficié de près de 39 millions d’euros d’aides européennes en vertu du Fonds Européens de Développement (FED), plutôt conséquent au regard du PIB de l’île, à savoir, 63 millions d’euros en 2019, une année faste. L’annonce du Brexit a ainsi été accueillie avec perplexité sur l’île caribéenne car cela signifiait perdre une partie non négligeable de ses rentrées financières et de ses avantages, pourtant nécessaires à son développement. Ainsi, le Royaume-Uni se retrouve contraint de combler ce manque.

En crise, Montserrat l’est gravement, suite à la catastrophe de 1995 avec l’éruption du volcan de la Souffrière, l’île est désormais à moitié inhabitable et sa capitale, Plymouth, a été rayée de la carte. La moitié des habitants sont partis vivre sur l’île voisine d’Anguilla ou au Royaume-Uni, le reste s’est réfugié au nord de l’île en attendant de nouvelles perspectives de développement. La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et la perte du statut de PTOM a donc été vécue difficilement par la population de l’île. Les grands projets de reconstruction et de restructuration de l’économie insulaire ne manquent pas mais les moyens pour les réaliser - déjà faibles avant la fin des liens avec l’UE - sont aujourd’hui de l’ordre du vœu pieu.

Une économie dépendant de ses liens avec la Guadeloupe et avec l’UE

En plus des financements octroyés dans le cadre du FED, les territoires britanniques d’outre-mer bénéficiaient d’avantages économiques conséquents avec un accès facilité au marché commun. En effet, l’économie des territoires d’outre-mer est fortement dépendante de l’extérieur. Si les données d’exportations de Montserrat sont difficilement consultables, on peut donner un exemple à titre de comparaison. Les îles Malouines, au large de l’Argentine, réalisaient 90% de leurs exportations vers l’UE. Si cette part est peut-être moindre pour Montserrat, il convient de noter qu’une grande partie des échanges commerciaux se font avec la Guadeloupe, région ultrapériphérique de l’UE. Quinze fois plus petite que la Guadeloupe, Montserrat en est fortement dépendante pour son approvisionnement et donc pour sa survie. Aujourd’hui, elle se retrouve isolée de l’île française par une frontière dure qui fait craindre aux autorités britanniques des pénuries et une forte hausse de l’inflation.

Le secteur financier, point fort de l’économie insulaire est également en difficulté. Lorsque Montserrat était encore liée à l’UE, des garanties sur la reconversion partielle de l’économie et sur la visibilité des flux financiers avaient été obtenues permettant sa sortie de la « liste noire » puis de la « liste grise » des paradis fiscaux. Or, la fin de la manne économique que représentaient les aides européennes pourrait signifier un renouement de l’île avec ses anciennes pratiques.

Au 1er janvier 2020, soit un mois avant la sortie officielle du Royaume-Uni de l’Union européenne, on dénombrait encore 11 banques offshores sur l’île soit 1 pour 400 habitants. L’enregistrement des yachts de luxe immatriculés dans l’île n’a également jamais été aussi important. Peu à peu, Montserrat pourrait ainsi perdre son économie réelle en même temps que ses habitants contraints de quitter une île devenue inhabitable en raison des risques climatiques et de l’inflation. Elle deviendrait alors une île réservée à l’économie de la finance et peuplée de fortunés retraités à la recherche d’un climat attrayant pour leur vieux jours et d’une fiscalité quasi-inexistante.

Londres et les autorités insulaires tentent cependant de donner un second souffle à Montserrat. Les autorités britanniques ont annoncé un plan de réaménagement de Little Bay appelée à devenir la capitale de jure et de facto de Montserrat, la construction d’un véritable aéroport permettant des vols directs avec Londres et le « Montserrat Tourism Master Plan 2015-2025 » qui doit développer le tourisme de niche sur l’île notamment le « tourisme noir ».

Celui-ci permet, grâce à des tours opérateurs principalement guadeloupéens, de faire le tour du volcan en hélicoptère, de faire du kayak dans la zone interdite ou encore de visiter les ruines de Plymouth, seule capitale fantôme au monde. La pandémie de la Covid-19 est cependant venue fortement contrarier les ambitions touristiques de l’île. La mise en place de la frontière dure entre la Guadeloupe et Montserrat rend également plus difficile le développement d’un tourisme à la journée entre les deux îles qui aurait pu être bénéfique pour l’économie des deux territoires.

Une divergence croissante entre les métropoles et les territoires ultra-marins

Le Brexit est venu contrarier les rapports existants entre les métropoles et les territoires ultra-marins et entre les territoires d’outre-mer. Depuis 2020, les habitants des îles britanniques d’outre-mer ne peuvent plus se rendre dans l’Union européenne entravant leur liberté de circulation, droit dont jouissent pleinement les habitants de la Guadeloupe voisine.

Les perspectives de développement économique de ces territoires sont désormais restreintes en même temps que les aides européennes, généreuses, se sont arrêtées ; à Londres de compenser désormais. L’approvisionnement en denrées, devenu compliqué depuis la Guadeloupe en raison de l’instauration d’une frontière dure, dépend aussi désormais de plus en plus du Royaume-Uni faisant monter les prix.

Deux exemples montrent déjà les effets très négatifs du Brexit sur les territoires britanniques d’Outre-Mer. Depuis février 2020, les îles Caïmans sont de retour sur la « liste noire des paradis fiscaux » de l’UE. Ils subissent désormais des sanctions financières ainsi que l’interdiction du transit de capitaux européens sur leur territoire. Dans le Pacifique, les îles Pitcairn peuplées de 50 habitants sont dépendantes de la Marine française pour leur ravitaillement en combustible. Or, avec le Brexit, la France pourrait ne plus effectuer cette mission conduisant à l’abandon pur et simple de l’île par ses habitants car sans combustible, pas de générateurs électriques et pas de transports rendant la vie quotidienne très difficile.

Certains territoires ultra-marins britanniques, déjà autonomes, pourraient donc, afin de garantir leur survie, faire le choix de l’indépendance leur permettant de définir leurs liens avec leurs voisins directs. Le tarissement des liens économiques et commerciaux entre la Guadeloupe et Montserrat témoigne de ces liaisons dangereuses post-Brexit dans les Outre-Mer qui peuvent conduire à la mort économique de ces territoires et à des choix politiques très engageants.

Alors que le Brexit était vendu par ses partisans comme un moyen pour le Royaume-Uni de s’ouvrir au monde et de gagner en indépendance, cela s’est traduit pour les territoires ultra-marins par une dépendance plus forte à l’égard des métropoles. Londres ne s’en est pas vraiment inquiétée, les résidents de ces territoires bien qu’officiellement « citoyens britanniques d’outre-mer » et donc des sujets de la Couronne n’ont pas été invités à participer au référendum de sortie de l’UE en 2015.

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