Au commencement étaient les Grecs
« Makárôn nễsoi » - « Îles des Bienheureux » ou « Îles Fortunées » - ce sont les Grecs qui, les premiers, découvrirent ces îles situées loin, bien loin, des colonnes d’Hercule. Considérées comme le lieu des Enfers où les morts savourent un repos parfait, ces îles apparaissent pour les Grecs comme les frontières du monde connu. Si aucun grec n’a jamais foulé ces archipels lointains, ces derniers connaissaient cependant leur existence et les ont inscrites dans la mythologie et l’imaginaire européen, ou tout du moins dans celui méditerranéen.
La religion chrétienne ne tarda pas à se réapproprier le mythe grec. Bar-Hebraus, un évêque de langue syriaque vivant dans l’actuel Azerbaïdjan, ne tarda pas à déclarer que ces îles avaient été visitées par un saint et que les habitants s’y étaient baptisés. D’autres religieux identifient les habitants des ces îles comme des descendants d’un peuple hébraïque ayant été contraint de fuir Israël. Enfin, les « indigènes » de ces îles auraient, selon d’autres, été régulièrement visités par des anges et seraient de ce fait devenus chrétiens. Une chose est sûre, la Macaronésie suscite, dès leur découverte par les Européens, une très grande curiosité.
La découverte européenne
Mal connues jusqu’au XIVe siècle, les îles de la Macaronésie apparaissent sur les planisphères seulement au XIIIè siècle et leur existence ne devient certaine qu’au début du XIVe siècle. Première à être découverte, Madère, sur laquelle les Vikings firent escale entre le IXe et le XIe siècle. Certains scandinaves s’y installent et apportent avec eux les rats, signes de leur passage. Les Génois, par la suite, y passeront également, mais ce sont finalement les expéditions maritimes portugaises d’Henri le Navigateur, qui, au XIVe siècle, rattachent définitivement les deux îles de l’archipel de Madère à la couronne portugaise. Inhabitées, ces îles sont progressivement peuplées de colons portugais, Funchal, la capitale est fondée en 1421. Quelques années plus tard, les Portugais découvrent les Açores. L’archipel, également vide de vie humaine, est peuplé à partir de la fin du XVe siècle et surtout au XVIe siècle par des colons portugais, espagnols mais aussi flamands et français, notamment protestants fuyant les persécutions. Chargés par les Portugais d’y développer le commerce, ils disposent déjà d’un statut fiscal particulier et avantageux.
L’archipel du Cap-Vert fut le dernier à être découvert, comme pour Madère, ce sont les Génois qui, les premiers, décrivent et cartographient l’île. Les navigateurs génois et vénitiens financés par les souverains portugais placent le Cap-Vert sous souveraineté lusitanienne. Rapidement, l’archipel prospère grâce au commerce des esclaves, les puissances européennes tentent régulièrement de prendre ces riches îles sur lesquelles sont transférés les esclaves africains, conduits de force vers les Amériques. Ribeira Grande, aujourd’hui Cidade Velha, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, porte encore les traces de ce sombre et riche passé esclavagiste. Le métissage de Cap-Vert, et ce mélange de traditions européennes et africaines et dans une mesure moindre sud-américaines, diffère ainsi largement des liens à sens unique qui unissent Madère et les Açores au Portugal et les Canaries à l’Espagne.
Enfin, les Canaries, possèdent la particularité d’être le seul archipel à être peuplé lors de l’arrivée des Européens. À l’arrivée des Génois, des Florentins et des Espagnols aux alentours de 1341, un peuple, les Guanches, occupe l’archipel. Ce peuple, d’ascendance berbère, reste très méconnu des archéologues et des historiens. Vêtus de peaux de chèvres, ils sont le seul peuple berbère à ne jamais avoir été islamisé et à posséder un culte ancestral polythéiste remontant peut-être à 3000 avant JC. Christianisés de force, les Guanches périssent en grand nombre en voulant empêcher la conquête espagnole de l’archipel. Les autres sont réduits en esclavage. La culture guanche a cependant subsisté dans les toponymes, dans le langage sifflé encore utilisé sur certaines îles, dans les grottes troglodytes et les écritures rupestres retrouvées. Aussi, les traces archéologiques restent nombreuses surtout sur l’île de Tenerife, mais difficiles à exploiter.
Des destins divers
En 1481, par le traité de Tordesillas, l’Église catholique divise le monde afin de stopper les guerres entre Espagnols et Portugais. Ainsi, à la condition de les évangéliser, toutes les îles en-dessous des Canaries sont placées sous souveraineté portugaise. Profitant du commerce des esclaves et du commerce avec les colonies des Amériques, ces archipels idéalement placés restent, jusqu’à la fin de la domination ibérique sur le « Nouveau Monde », très prospères. Vivant au rythme de la métropole, les Açores, les Canaries et Madère voient leur situation politique et économique devenir dépendante de celle du Portugal et de l’Espagne. Reposant largement sur l’agriculture, leur économie se tourne dans les années 1980 vers le développement du tourisme, surtout en ce qui concerne les Canaries. Ces territoires restent plus pauvres que les autres régions métropolitaines, souffrant de revenus moyens plus faibles et de taux de chômage très élevés (30,5% de la population active des Canaries vit sous le seuil de pauvreté). La richesse des écosystèmes des Açores et de Madère et la diversité des paysages offerts peuvent laisser présager un futur tourné vers le tourisme vert et le développement d’industries consacrées au développement durable. Les Canaries, cependant, s’étant tournées vers le tourisme de masse dans les années 1980 possède un écosystème beaucoup plus détérioré et doit reconvertir son économie pour garantir la pérennité de son développement.
Le Cap-Vert est le seul archipel de la Macaronésie à avoir accédé à l’indépendance. Obtenue du Portugal en 1975 à la suite d’une guérilla communiste soutenue par l’URSS, le Parti africain pour l’indépendance du Cap-Vert (PAICV) inaugure alors un régime à parti unique d’inspiration marxiste jusque dans les années 1990. Suite à l’indépendance, le Cap-Vert aurait dû être rattaché à la Guinée-Bissau, devenue indépendante du Portugal et affirmant sa souveraineté sur l’archipel, mais l’instabilité politique de la Guinée-Bissau ne lui permit pas de mener à bien ce projet irrédentiste. Aujourd’hui le Cap-Vert est considéré comme l’un des pays les plus stables politiquement et les plus démocratique d’Afrique. D’un pays misérable au-moment de l’indépendance, le Cap-Vert a connu une industrialisation importante durant sa décennie communiste puis une transition plutôt réussie à l’économie de marché dans les années 1990. Le tourisme se développe, bien que l’agriculture emploie toujours un cap-verdien sur deux. Si le pays s’en sort mieux que la plupart de ses voisins d’Afrique subsaharienne, il restelargement dépendant de l’aide internationale, du tourisme, des exportations européennes et des revenus de son importante diaspora, établie majoritairement au Portugal, en France, en Espagne, en Belgique ou encore au Luxembourg.
Quels liens avec l’Union européenne ?
Les Canaries, les Açores et Madère constituent trois des neufs régions ultrapériphériques de l’Union européenne relevant des articles 349 et 355 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne. À ce titre, ils bénéficient d’un statut spécial garantissant la prise en compte de leur particularisme et de leur éloignement du continent. Ils font pleinement partie de l’Union européenne et leurs citoyens en sont membres. Ces trois archipels, au contraire de la Réunion, de la Guyane, de la Martinique, de la Guadeloupe, de Mayotte et de Saint-Martin, autres régions ultrapériphériques de l’Union européenne, font partie de l’espace Schengen. Les Açores et Madère font aussi partie du même régime de fiscalité que le reste de l’Union.
Bien que le drapeau du Cap-Vert soit orné des « étoiles européennes » l’archipel n’est pas un État-membre de l’Union européenne. Les étoiles de son drapeau symbolisent les dix îles qui composent le pays et l’unité de ses habitants. La République du Cap-Vert bien que n’étant pas candidate à l’adhésion pourrait un jour prétendre l’être. Bien que non situé sur le continent européen, l’archipel possède des liens étroits avec l’Europe et notamment le Portugal, le président en exercice au Cap-Vert, Mario Soares, est d’ailleurs un fervent partisan de l’adhésion de son payst à l’UE. Certains arguments jouent en faveur de l’archipel africain : l’UE est son premier partenaire commercial, Chypre n’est pas non plus située sur le continent européen et est également en situation insulaire, la culture capverdienne est en partie européenne, le pays se classe, au regard des indicateurs économiques et de démocratie, devant des candidats officiels à l’adhésion comme l’Albanie et la Macédoine du Nord. Enfin, au contraire du Maroc, les institutions européennes n’ont jamais formellement rejeté l’hypothèse d’une adhésion capverdienne à l’UE.
Possédant une représentation auprès de l’UE, le Cap-Vert peut compter sur le Portugal dans sa démarche de candidature à l’adhésion, cependant l’archipel n’a pas non plus renoncé à la carte africaine. Membre de l’Union Africaine et de la CEDEAO (Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest), le Cap-Vert est aussi un archipel aux problématiques africaines et engagé dans les affaires de ce continent. Une éventuelle adhésion du Cap-Vert à l’Union européenne, combiné à une participation limitée aux institutions supranationales africaines permettrait ainsi à l’UE de disposer d’un droit de regard plus affirmé sur les affaires africaines. L’européanisation de l’archipel est en tout cas en marche depuis 2007 et la signature de l’accord de Cotonou. Par cet accord, la Commission verse des fonds importants pour le développement de la République du Cap-Vert, notamment concernant la lutte contre la pauvreté, et l’archipel possède un statut spécial vis-à-vis de l’Union européenne. La gestion des frontières est, à cet égard, un bon exemple avec des opérations communes entre Frontex et les gardes-côtes capverdiens pour la gestion des migrants venus notamment du Sénégal et de Guinée.
Jardin sur l’Atlantique, la Macaronésie possède des liens étroits avec l’Europe et très étroits avec l’Union européenne. Bien que le destin de chacun des archipels ait été différent, ils ont tous été découverts par les Européens, peuplés par ces derniers et ont développé une culture spécifique fortement marquée par l’Europe, même dans le cas de la lointaine République du Cap-Vert. Aujourd’hui, ces nombreuses îles constituent une « ligne verte » entre l’Europe et l’Afrique et sont un embarcadère pour l’Amérique, une position stratégique à l’ère de la mondialisation.
1. Le 21 avril 2023 à 09:38, par Regine De Nul En réponse à : Les Outre-Mer et l’UE (5/5) : La Macaronésie, mais qu’est-ce donc ?
Article très interessant. Je suis belge, psychologue clinicienne retraitée, je vis à Tenerife, en evitant les lieux de tourisme de masse qui, comme ailleurs en Espagne apporte certes des rentrées économiques non négligeables, mais detruisent une partie de l’âme de cette belle île. Neanmoins, le folklore y est encore vivant, les paysages contrastés et sauvages sont loin des rangées d’hotels et des hordes de touristes déambulant torse nu ou en bikini en pleine ville même en novembre. Alors oui, ce sont encore des îles avec une culture et une atmosphère particulière. Les oiseaux sont nombreux et divers, les cétacés vivent à deux pas des côtes. Les pyramides de Guimar et d’autres fouilles archéologiques permettent de comprendre et de se poser des questions sur les migrations bien avant les conquêtes répertoriées dans l’histoire. Un tourisme culturo-ethniques pourrait enrichir l’approche touristique. Les Canaries ne se résument pas à du soleil toute l’année.
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