Une relation unique en Europe
Les peuples allemands et russes ont été d’ardents rivaux lors du siècle dernier. Cependant, la résolution de la seconde guerre mondiale a conduit l’Allemagne à se retrouver en partie sous le joug soviétique : ce fut le cas de la République Démocratique d’Allemagne (RDA), l’Allemagne de l’est. Cela va participer à la création d’une relation privilégiée entre les deux pays qui sera concrétisée par la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev œuvrant pour la démocratisation et, a fortiori, la réunification. Car, bien que la relation entre les dirigeants allemands et soviétiques ait toujours été forte, c’est à la fin du XXème siècle qu’elle va s’avérer assez solide et lucide pour permettre la réunification pacifique des deux Allemagnes. A la vue de la situation explosive, ce dénouement n’était pas une évidence. Pour autant, les dirigeants de l’ex-URSS décidèrent de ne pas aller à contre-courant, et de permettre à terme la réunification allemande. En effet, l’Union Soviétique est un des acteurs majeurs ayant permis aux Allemagnes de ne faire de nouveau qu’une. En comparaison la France et la Grande-Bretagne n’étaient pas forcément enclines à faciliter ce rapprochement selon Mikhaïl Gorbatchev (Le futur du monde global, 2019).
L’URSS est officiellement dissoute le 25 décembre 1991 et laisse place à la Fédération de Russie. Dès le début des années 2000, l’Allemagne et la Russie vont consolider leurs liens dans différents secteurs, tels l’économie ou la sécurité, en mettant en place des groupes de travails bilatéraux et des forums de débats russo-allemands. Les relations vont donc au-delà du simple secteur économique, bien que très important entre les deux pays. L’Allemagne investit fortement en Russie et est un partenaire commercial de premier plan.
Le conflit ukrainien et le choix européen
A la fin de l’année 2013, le mouvement dit de Maïdan proteste contre la décision unilatérale du Président ukrainien de ne finalement pas signer l’accord d’association avec l’Union européenne. De là, une escalade des tensions va mener à la destitution du Président et à la nomination d’un Président par intérim plus europhile. Les régions pro-russes de l’est de l’Ukraine vont s’opposer au mouvement et ne reconnaîtront pas les nouvelles autorités publiques. La Russie va donc saisir l’occasion pour soutenir les régions sécessionnistes. Celle-ci craint un rapprochement trop fort de l’Ukraine avec l’Union Européenne, mais également avec l’OTAN. Elle souhaite maintenir sa zone d’influence composée des satellites de l’ex-URSS. L’Ukraine quant à elle veut récupérer le contrôle de ses régions bien qu’ouvertement pro-russes. L’Union Européenne intervient donc dans ce conflit qui se déroule à ses portes. La diplomatie européenne sera alors menée essentiellement par la France et l’Allemagne. Cette dernière va, contrairement aux conflit précédents comme lors de la guerre de Géorgie, mener une politique étrangère différente vis-à-vis de la Russie. Elle va s’aligner sur la position européenne et mettre en place des sanctions vis-à-vis de son partenaire de longue date.
Le rôle central joué par l’Allemagne dans la gestion des relations avec la Russie depuis le début de la crise ukrainienne est motivé par une nouvelle doctrine, qui peut être résumée par l’affirmation tenue par les principaux dirigeants allemands selon laquelle l’Allemagne devait être plus active et assumer davantage de responsabilités sur la scène internationale. Ce changement d’attitude de l’Allemagne par rapport à la Russie reste néanmoins limité dans certains domaines comme celui de la sécurité ou de la défense. Mais, Hannes Adomeit, professeur au Collège d’Europe, estime dans une note pour l’Ifri que si les relations de l’Allemagne avec la Russie étaient auparavant fondées sur le partenariat, la coopération et la primauté des intérêts russes, la donne a changé : le nouveau paradigme de la politique allemande à l’égard de la Russie est celui de la gestion de conflit.
La résolution du conflit se basera notamment sur le plan Steinmeier, du nom du Ministre des Affaires Étrangères allemand. Celui-ci prévoit d’accorder un statut spécial aux régions sécessionnistes de l’est de l’Ukraine. Ce plan permet de simplifier l’accord de Minsk tout en se rapprochant des positions russes.
Vers un retour à la normal des relations germano-russes ?
Pour autant, il convient de remettre en perspective cette rupture occasionnée par la guerre d’Ukraine dans les relations germano-russes. Bien que l’Allemagne se soit jointe à la stratégie européenne de sanctions, ce qui lui pesa économiquement, le dialogue n’a pas été rompu entre Angela Merkel et Vladimir Poutine. Les dirigeants ont continué à se rencontrer lors de sommets de différentes formes, et ce plusieurs fois par années depuis 2015. De plus, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays et l’investissement des entreprises allemandes en Russie sont en hausses. L’Allemagne est, derrière la Chine, le deuxième partenaire commercial de la Russie.
D’un point de vue politique, la fédération de Russie a réintégré en juin 2019 le Conseil de l’Europe et les tractations sont en marche pour qu’elle réintègre également le G8 (actuellement G7). Ces mains tendues de l’Europe vers la Russie sont bien évidemment soutenues par l’Allemagne.
Quelque chose a cependant changé dans les relations entre l’Allemagne et la Russie : l’opinion publique. D’une manière générale en Europe, la Russie est diabolisée. Ses soutiens le sont également, bien que ceux-ci peuvent être motivés non pas par un discours pro-russe, mais par un anti-américanisme hérité de la guerre froide. Les journaux allemands ne soutiennent plus la Russie. Pire, ils ne tentent même plus de la comprendre. Dans la société internationale actuelle, cette méfiance n’est pas une exception, mais dans les relations germano-russes, c’est quelque chose de nouveau et qui pourrait présager un changement de paradigme. L’opinion publique reste cependant en contradiction avec la volonté gouvernementale et l’état des relations entre les deux pays. Entre 2009 et 2014, le pourcentage des Allemands faisant confiance à la Russie est passé de 40% à 14%. C’est également 90% de la population qui considère la Russie comme première responsable du conflit ukrainien et 62% qui serait favorable à un durcissement des sanctions économiques. Mais les coalitions au pouvoir ne semblent pas être tenues de la même méfiance vis-à-vis de la Russie que la population, ou du moins sont-elles tenues d’un certain pragmatisme.
Le changement de cap mené par le Président russe Vladimir Poutine sur sa politique interne a déjà opéré une levée de boucliers au sein du Bundestag, ainsi qu’au sein de l’opinion publique. Certains partis comme les verts arguaient qu’en l’absence de valeurs communes avec la Russie, il était absurde de qualifier cette dernière de « partenaire stratégique ».
Le basculement de l’opinion publique pourrait entraîner une détérioration des relations entre l’Allemagne et la Russie. Pourtant, comme la preuve a déjà été faite, il se peut que celles-ci perdurent et se montrent encore une fois inébranlable. Tel le roseau de la fable de la Fontaine, elles plient mais ne rompent pas.
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