Lettonie : un nouveau gouvernement 4 mois après les élections

, par Alexis Vannier

Lettonie : un nouveau gouvernement 4 mois après les élections
Arturs Krišjānis Kariņš, lors de son investiture le 23 janvier 2019. Photo : Flickr - Saiema - CC BY-SA 2.0

Alors que les élections législatives lettonnes ont eu lieu le 6 octobre dernier, le gouvernement n’a été officiellement introduit que le 23 janvier 2019, soit quatre mois après. Cette longue période d’incertitude illustre l’instabilité politique du pays et ne sont pas pour rassurer les institutions européennes.

Des prorusses victorieux mais bannis, des droites dispersées, un centre éventré

Le pays, indépendant depuis le 18 novembre 1918, a connu pendant 50 ans l’occupation soviétique qui s’est interrompue le 4 mai 1990. Cette période, les autorités lettonnes, comme leurs voisines baltes, ont décidé de la qualifier de parenthèse dans leur histoire. Décision qui continue de marquer la politique actuelle.

La Lettonie est une république parlementaire qui élit ses 100 députés de la Saeima tous les quatre ans. Le « Ministre-président » est nommé par le Président à partir de la composition de l’assemblée et conduit la politique du pays. Le Président de la république est élu par les députés et fait figure d’autorité morale de l’État.

Si depuis la renaissance du pays en 1990, la politique lettonne est marquée par une orientation centriste et néolibérale ainsi qu’une forte volonté d’intégration occidentale, la Lettonie ayant adhéré à l’Union européenne et à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord en 2004, ce sont les questions d’identité, du déficit démographique et de la lutte contre la corruption qui ont occupé le débat. La crise des réfugiés et la peur de la perte d’identité lettonne prennent une signification particulière dans un pays qui perd environ 200 000 habitants par an. De plus, de nombreux scandales éclaboussent le secteur bancaire entrainant l’arrestation en février 2018 du gouverneur de la Banque centrale. Le parti Qui possède l’État ? (KPV/LV) est créé à la même époque par des dissidents de droite pour répondre au besoin de transparence et aux velléités de « dégagisme » d’une partie de plus en plus grande de la population qui a fait de très lourds sacrifices pour assainir son économie.

La coalition gouvernementale regroupant les libéraux-conservateurs d’Unité (V), les libéraux-écolos du ZZS ainsi que les nationalistes de l’Alliance nationale (NA) s’est en partie effondrée lors des élections d’octobre 2018. Le NA ne perd en effet que 3 sièges alors qu’Unité passe de 23 à 8 sièges et le ZZS en perd 10. Cette déroute profite tout d’abord au parti KPV/LV, nouveau venu de la politique lettonne, qui a fait de la lutte contre la corruption son fer de lance, remporte 16 sièges, à l’europhile Nouveau parti conservateur (JKP) gagnant également 16 sièges, mais aussi à l’alliance sociale-libérale et progressiste Développement/Pour ! (AP !) qui passe de 0 à 13 sièges. Seul rescapé de la gauche, le parti Harmonie (SSDP) se maintient à 23 sièges et est le seul parti à dépasser les 15% de suffrage. Grande gagnante de cette élection, réussissant à améliorer son score de 2014, l’abstention s’établit à près de 45%. La diaspora éloignée des considérations internes ne suffit pas à expliquer ce résultat. Finalement, on assiste ainsi à l’effondrement du bloc centriste au profit d’une droite conservatrice, anti-corruption, qu’elle soit europhile, eurosceptique voire europhobe.

Des négociations difficiles qui illustrent l’éparpillement des votes

Si l’on suit la logique mathématique, c’est le SSDP qui remporte ces élections. Néanmoins, ce parti défend les intérêts de la minorité russe de Lettonie, et est ainsi rejeté par le reste des partis politiques, compte tenu des difficultés lettonnes d’intégrer son douloureux passé et ses nationaux originaires de son immense voisin de l’Est. C’est pour cette raison que le Président Raimonds Vējonis nomme tout d’abord le chef du parti conservateur pour former un gouvernement le 7 novembre. Néanmoins, des réticences sur la personne même du Premier ministre désigné venant des rangs des libéraux d’AP ! et des nationalistes de NA ruinent les négociations. Le 26 novembre, le Président Vējonis nomme en remplacement un membre du populiste KPV/LV. Les négociations cahotent d’abord sur la participation du parti vert ZZS.

Finalement, les propositions farfelues du Premier ministre désigné concernant un cabinet d’experts non élus court-circuitent les tractations.

Le pays s’enlise alors dans un marasme politique inédit. Le cordon sanitaire autour du parti pro-russe Harmonie mis en place par la classe politique lettonne oblige les partis à des montages peu orthodoxes. Certains proposent une coalition de tous les partis présents excluant Harmonie. Finalement, le 7 janvier 2019, le Président fait appel à un eurodéputé d’Unité, l’ancien ministre de l’économie Arturs Krišjānis Kariņš. Cet américano-letton parvient à mettre d’accord les cinq partis de droite pour former une coalition, excluant ainsi le ZZS et Harmonie. Le premier ministre désigné, issu du plus petit parti coalisé obtient ainsi la confiance, le 23 janvier, de 61 députés sur les 66 que compte la coalition, cinq députés du parti populiste KPV/LV ayant refusé de la lui accorder. Après quatre mois de tractations difficiles, Riga se dote enfin d’un gouvernement stable.

Une coalition scrutée par les droites européennes

La coalition pentapartite n’est pas la première dans l’histoire politique de la Lettonie, elle ne peut donc pas être considérée comme un stigmate des bouleversements que connaissent tous les pays d’Europe. Néanmoins, si les causes diffèrent vis-à-vis de ses voisins, la Lettonie connait elle aussi une montée du populisme. Sur la question européenne, les cinq partis coalisés n’ont pas les mêmes objectifs. Quand trois partis prônent une totale adhésion aux politiques européennes, les populistes du KPVLV remettent en cause le libéralisme globalisé de l’UE quand l’Alliance nationale ne veut d’union européenne que pour mieux en exclure les non-européens. Si ces deux partis vont évidemment tout faire pour s’attaquer aux politiques menées par l’UE durant leur mandat, les chances pour que Riga raidisse sa position européenne voire rejoigne le clan des « frondeurs » italo-hungaro-polonais sont toutefois minces. Krišjānis Kariņš a d’ailleurs fait appel, le jour de son investiture, à certaines directives européennes pour redresser le secteur bancaire.

Néanmoins, du point de vue de la politique interne, de nombreux regards européens devraient se tourner vers Riga dans les prochains moins. Regroupant cinq partis plutôt éloignés sur le spectre politique de droite allant de conservateurs traditionnels vers des populistes de droite jusqu’aux nationalistes extrémistes, le gouvernement letton va faire office d’expérimentation, de test qui sera attentivement observé par les droites européennes dont beaucoup sont tentées par un rapprochement avec des partis populistes anti-immigration, quitte à revoir leur soutien à l’idéal poursuivi par l’Union européenne.

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