C’est l’une des conséquences du Brexit : que faire des 73 sièges des eurodéputés britanniques vacants à partir de 2019 ? Les deux visions fédéraliste et intergouvernementale se sont évidemment affrontées sur la solution à apporter. Comme toujours dans la construction européenne, un compromis entre ces deux visions a dû être trouvé. Ainsi la commission parlementaire relative aux affaires constitutionnelles a proposé une liste transnationale de 46 sièges et le reste (27 sièges) redistribués aux États-membres afin de corriger certains déséquilibres de représentativité démographique (et également de satisfaire quelques égos nationaux). La France et l’Espagne bénéficieraient de 5 députés supplémentaires (respectivement 79 et 59 sièges), l’Italie et les Pays-Bas de 3 députés supplémentaires (76 et 29 sièges) et l’Irlande de deux députés en plus (13 sièges). Neuf autres pays plus petits auraient le droit à un député en plus.
Un premier pas est franchi avec ce vote. Quel est le chemin qui reste à parcourir ? Quels obstacles doivent encore être surmontés ? Pourquoi ces listes transnationales sont nécessaires mais encore largement insuffisantes pour l’avènement d’une véritable démocratie européenne ?
Des députés réellement européens en 2019 ? Rien n’est moins sûr…
On ne va pas se réjouir trop vite, l’histoire de la construction européenne nous l’interdit de toute façon. Les listes transnationales ne sont pas nées le 23 janvier 2018. Si son principe est accepté par une commission parlementaire, le vote en assemblée plénière de ce même Parlement peut être très serré. [1] De plus, l’énorme obstacle est bien évidemment l’unanimité requise au Conseil de l’UE (une modification du code électoral européen est nécessaire). Les petits pays de l’UE voient d’un mauvais œil la tentative de rééquilibrage déjà opérée par la redistribution d’une partie des sièges qui seront vacants après le Brexit. La procédure législative spéciale, une fois de plus, pourrait confisquer la volonté de démocratiser l’UE et la rendre plus proche de ces citoyens-électeurs. Par conséquent, la perspective d’établir des listes transnationales pour 2019 paraît vraiment utopique.
La porte grande ouverte à l’avènement d’une démocratie européenne
Jean Quatremer a dit un jour « Je ne crois pas à une démocratie européenne ». Moi non plus à vrai dire. Lui comme moi croyons pourtant à sa nécessaire mise en place pour pérenniser l’aventure européenne. Les listes transnationales sont indubitablement un premier pas dans cette direction. Elles permettraient, lentement mais sûrement, de susciter des débats transnationaux, de confronter des idées venant de tous les pays de l’UE afin d’enrichir le débat et de forger la volonté de vivre ensemble. Cela pourrait aussi rééquilibrer la représentation populaire européenne en respectant davantage le poids démographique des États. S’il ne fait aucun doute que les petits pays comme Malte doivent être surreprésentés par rapport à l’Allemagne ou à la France, il est certain que la répartition actuelle des sièges au Parlement européen (et au Conseil de l’UE par la même occasion) est bien trop en faveur des petits Etats membres. Il faut que l’UE soit davantage une « Union de citoyens » qu’une « Union d’États » pour paraphraser le discours sur l’état de l’Union de Jean-Claude Juncker fin 2017.
La critique souvent énoncée selon laquelle les listes transnationales fabriqueraient des députés « hors sol » est certes compréhensible mais contestable. Le Bundestag allemand par exemple accueille au minimum 598 députés : 299 provenant des circonscriptions et 299 élus grâce au vote à la proportionnelle lors des élections fédérales. Ces derniers sont-ils pour autant différents de leurs camarades élus localement ? Le problème ici est plutôt la complexité du système. Les citoyens européens devraient voter pour deux députés, un de leur circonscription, l’autre pour la circonscription européenne. L’abstention pourrait continuer de monter si on ne prend pas la peine d’expliquer clairement le nouveau mode de scrutin.
Les listes transnationales doivent néanmoins s’inscrire dans un projet bien plus large
Les listes transnationales sont un moyen de construire la démocratie européenne et pas une fin en soi. Aussi celles-ci ne doivent être qu’une mesure parmi d’autres. La démocratie à l’échelle européenne ne peut exister sans espace public ni médias européens. Il faut créer cet espace public et ses médias en parallèle. De plus, il n’existe pas de parti politique réellement européen au Parlement. Les groupes politiques, pour maintes raisons, ne peuvent pas être considérés comme des partis. L’initiative de Benoît Hamon et de Yanis Varoufakis de s’allier pour défendre un programme commun transnational est intéressante. Les différents groupes et associations fédéralistes devraient aussi s’allier pour former un parti politique en faveur d’une Europe fédérale et démocratique. Construire la démocratie au niveau européen est la nouvelle frontière, un projet à la fois ambitieux et indispensable.
1. Le 4 février 2018 à 12:54, par NG En réponse à : Listes transnationales : un timide espoir, des obstacles considérables
Pour info, DIEM25, mouvement européen transnational a déjà deux ans... dommage qu"il ne soit pas cité ! https://diem25.org/home-fr/
Suivre les commentaires : |