Loi de sécurité nationale à Hong-Kong : une réaction européenne entre condamnation orale et prudence dans l’action.

, par Clémence Dogniez

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Loi de sécurité nationale à Hong-Kong : une réaction européenne entre condamnation orale et prudence dans l'action.
Image : Voice of America, Cantonese Service, Iris Tong

Mardi 30 juin, suite au vote du comité permanent de l’Assemblée nationale populaire chinoise (ANP), la chef de l’exécutif à Hong Kong Carrie Lam, a promulgué la loi de sécurité nationale. Une loi votée peu avant minuit, dont le contenu était ignoré par la population jusqu’à son entrée en vigueur. Face à cet affront démocratique, les puissances étrangères protestent et essaient d’imposer, chacune de leur côté, des sanctions envers la Chine. L’Union européenne tente pour sa part de promouvoir la discussion afin d’apporter une réponse commune efficace.

« Nous sommes très clairs. C’est pour nous un point très critique, et nous sommes très inquiets à ce sujet », a déclaré Ursula von der Leyen, présidente de la commission européenne, un jour après la promulgation de la loi de sécurité à Hong Kong.

Quand la « sécurité » permet l’effacement de la liberté

En six chapitres et soixante-six articles, Pékin vient d’établir sa nouvelle loi à effet immédiat. Celle-ci définit quatre nouveaux crimes : le séparatisme, la subversion, le terrorisme et la collusion avec une puissance étrangère. Ainsi, tout individu qui protesterait à l’encontre de la Chine sera notamment accusé de crime de collusion avec un régime étranger. La peine encourue pour ces crimes peut atteindre la prison à vie (peine qui peut cependant être allégée si l’accusé accepte de collaborer en dénonçant d’autres individus – article 33-3). Mais la loi vient s’étendre bien au delà de la ville et de ses ressortissants. En effet, selon l’article 38, celle-ci s’applique également aux crimes commis en dehors de la métropole et peut inculper tout étranger accusé de crime de sécurité nationale, qu’il soit résident permanent ou non. Elle prévoit par ailleurs un renforcement du contrôle des ONG et agences de presse étrangères.

Au delà d’une privation accrue des libertés des citoyens et organismes, cette loi met en danger l’indépendance de la justice. Tout d’abord en permettant un contrôle accru des procès. En effet, les juges présidant les séances liées à la sécurité nationale, seront nommés par l’exécutif. Si ces procès font mention de questions de secret national ou d’ordre public, ils pourront dès lors se dérouler à huit clos, voire même sans jury. La Chine enfile ainsi la robe du juge pour devenir maitre de l’avenir des Hongkongais. Un avenir d’autant plus contrôlé que certains procès pourront se dérouler directement sur le sol chinois, « quand la sécurité nationale de Chine fait face à une menace substantielle réelle, quand des forces étrangères sont impliquées ou quand le gouvernement de Hongkong ne peut pas faire appliquer la loi  ».

La justice se voit ainsi bafouée dans ses procédures, ce qui remet en cause sa neutralité. Cet équilibre qui la définit disparaît également avec le sabotage des droits de l’accusé. Si ce dernier se voit promettre un procès « juste » - après un premier interrogatoire imposé – aucun appel et recours judiciaire ne lui sera permis face à la décision de la « commission pour la protection de la sécurité nationale », dirigée par des officiels du gouvernement.

Du contrôle des opposants au contrôle de la région

Cette loi montre dans un premier temps la volonté de renforcer l’emprise sur la population et sur toute opposition qui pourrait émerger au sein de celle-ci. En effet, le gouvernement affirme clairement ses intentions de contrôle via la répression, lorsqu’il déclare que « pour les membres de la petite minorité qui menace la sécurité nationale, cette loi sera un glaive suspendu au-dessus de leur tête ». Cette déclaration aux allures de menace, n’en est pas resté une très longtemps car, dès le lendemain, les arrestations ont débuté.

En effet, mardi 1er juillet, une grande manifestation s’organisa pour protester contre cette violation des libertés. Bien que la plupart des arrestations soient liées à l’interdiction préalable du rassemblement, sept manifestants ont fait les frais de cette nouvelle loi. Le premier d’entre eux fut arrêté pour avoir déposé sur le trottoir un drapeau avec les caractères « Hong Kong Independence ». Ainsi, comme l’explique Jean-Louis Rocca, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) : « grâce au délit de subversion, les seuls faits de manifester, de diffuser des slogans anti-Pékin ou d’émettre une opinion favorable à l’indépendance de Hong Kong, de Taïwan ou du Tibet, pourraient être passibles d’une peine de prison ».

Par la définition de termes vagues tels que « terrorisme » ou « subversion », la nouvelle loi permet une interprétation personnelle par le gouvernement, du bien et du mal, de ce qui doit être accepté ou puni : « c’est Pékin qui a le pouvoir d’affirmer ce que vous avez fait de mal et en quoi c’est mal », déclare un grand juriste au journal Le Monde, qui n’a pas souhaité dévoiler son identité car selon lui : « même parler et donner son avis est désormais dangereux  ». Cette intimidation de la résistance fait déjà ses preuves, avec notamment la dissolution du parti Demosisto fondé en 2014, qui luttait pour l’auto-détermination du territoire.

Mais l’objectif de Xi Jinping ne se réduit pas à faire taire les dissidents. La loi s’inscrit dans un projet plus large de "continentalisation" de la région autonome. Pour Jean-Philippe Béja, directeur de recherche au Ceri, « le sens même de cette loi, c’est que le modèle ’Un pays, deux systèmes’ soit aboli afin de renforcer sa position sur la scène intérieure ». En effet, la loi de sécurité vient à l’encontre de l’accord de 1984 entre la Chine et le Royaume-Uni garantissant à Hong Kong un régime d’autonomie ainsi que des droits et libertés pour ses habitants. Par conséquent, « en plaçant sa loi au-dessus de celle de Hongkong, Pékin s’attaque au cœur même de cette spécificité » explique la journaliste Florence de Changy. Le 1er juillet marque donc pour beaucoup la fin d’un régime d’exception hérité du système britannique, qui assurait à Hong Kong un État de droit solide et respecté à l’international.

Entre la volonté de punir et celle de conserver un partenaire économique, l’Union Européenne reste prudente

Si certains acteurs internationaux ont décidé de marquer immédiatement le coup par des mesures de sanction, l’Union européenne préfère pour le moment jouer la carte de la prudence.

En effet, alors que Donald Trump suivait d’ores et déjà une trajectoire d’opposition à la Chine, cette loi vient justifier sa volonté d’entraver les relations privilégiées entre les Etats-Unis et Hong Kong. Accusant une « loi draconienne » sur twitter, Mike Pompeo a annoncé la nécessité de licences pour la vente d’articles à usage civil et militaire et l’interdiction formelle des ventes d’équipement de défense sensible vers Hong Kong. De l’autre coté de l’atlantique, son homologue britannique emprunte le même discours en dénonçant une loi qui « constitue une violation manifeste de l’autonomie de Hongkong et une menace directe pour les libertés de sa population », selon les mots du chef de la diplomatie, Dominic Raab. Comme Washington, Londres décide d’agir face à cet affront, en accordant aux hongkongais, pouvant prétendre au statut britannique d’outre-mer, « la possibilité de vivre et de travailler, puis par la suite de demander la citoyenneté » au Royaume-Uni (soit près de 3 millions de personnes concernées). Samedi dernier, ce fut au tour du Canada de réagir avec la suspension du traité d’extradition avec Hong Kong mais également de ses exportations de matériel militaire « sensible ».

Si pour les trois pays anglophones les sanctions ont été immédiates, le chef des Affaires étrangères de l’Union Européenne, Josep Borrell, a déclaré lundi dernier que l’Europe devait conserver sa propre vision de la situation. Pour lui, sanctionner « n’est pas la solution » dans cette escalade menée par la Chine. Pourtant, les avertissements faits tout au long du mois de mai ne semblent pas avoir été efficaces. En effet, dès le 22 mai, le haut représentant européen avait fait part de son inquiétude face à la décision prise la veille par le porte-parole du Congrès national du peuple chinois, d’établir un « cadre juridique afin de préserver la sécurité nationale à Hong Kong ». Inquiétude renouvelée le 29 mai par ce même haut représentant, qui accusa la Chine de remettre en question ses « engagements internationaux ». Malgré ces avertissements, l’Union Européenne a vu la Chine poursuivre sa trajectoire. Si la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen, assure que « les droits et les libertés des résidents de Hong Kong doivent être pleinement protégés », elle témoigne cependant de la vigilance de l’Europe face à la situation : « Nous allons voir comment réagir en consultation avec nos partenaires internationaux ». Cette consultation est notamment prévue le 13 juillet avec une réunion des ministres des affaires étrangères européens. Cependant nombreux sont ceux qui prédisent un engagement faible avec un simple « rappel des principes avec, peut-être, une mention que la loi sécuritaire risque, par ses conséquences, de faire perdre à Hongkong son statut de septième place financière internationale », comme le précise le journaliste Jean-Pierre Stroobants. Ce dernier explique notamment cette passivité par la position Allemande qui a souligné, le 2 juillet dernier, que le dialogue avec le partenaire chinois devait se maintenir « dans toutes ses dimensions », selon les mots de la Chancelière. L’enjeu économique pourrait donc s’immiscer dans le débat car selon le journaliste : « Mme Merkel envisage d’abord la relation sous l’angle économique et a le souci que son pays ne paie pas le prix d’une affirmation, par les Vingt-Sept, d’une position trop ferme sur le respect des droits humains ». L’enjeu sera alors pour l’Union Européenne de trouver un équilibre entre le partenaire économique et l’opposant politique.

Une question marquée par l’incertitude

Face à cette pression internationale, Carrie Lam accuse une « politique de deux poids deux mesures » de la part des gouvernements étrangers car « tous les pays qui pointent la Chine du doigt ont leur propre législation en matière de sécurité nationale ». Si la Chine s’est vu accorder le soutien de Cuba, suivit par 52 autres pays, lors d’une session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, la plupart des Etats Occidentaux s’inquiètent des conséquences à venir. En effet, cette loi imposée à Hong Kong pourrait avoir un effet domino et s’étendre notamment à Taiwan. Dors et déjà, tout slogan prônant l’indépendance de Taiwan est considéré comme délit de subversion et passible d’une peine de prison. Cette loi inquiète également pour les prochaines élections, comme le relève le Directeur régional adjoint d’Amnesty International, Joshua Rosenzweig : « c’est un signal inquiétant pour les élections législatives qui se tiendront à Hong Kong en septembre, avec une menace que la loi sur la sécurité puisse être utilisée contre des candidats pro-démocratie ».

Face à cette urgence démocratique, « l’Europe ne peut pas et ne doit pas se taire », selon l’ancien ambassadeur de France en Chine, Jean-Maurice Ripert. Bien que divisée sur la question pour le moment, l’Union européenne ne compte pas rester passive. Les élus européens se sont déjà penchés sur la création d’un système de « canot de sauvetage » pour les citoyens de Hong Kong. Si Pékin semble résister à l’opposition étrangère, certains restent optimistes comme Jean-Philippe Beja, directeur de recherche au CNRS-CERI-Sciences-Po, qui pense qu’un « ensemble de réactions vis-à-vis de la Chine permettrait évidemment d’affaiblir Xi Jinping et peut-être renforcer ce qui doit être son opposition ».

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