Mathias Fink, chercheur : “L’arrivée de l’Europe dans le financement de la recherche est un grand pas en avant.”

Interview de l’un des finalistes du Prix de l’inventeur européen 2021

, par Jérôme Flury

Mathias Fink, chercheur : “L'arrivée de l'Europe dans le financement de la recherche est un grand pas en avant.”
Image : www.epo.org

Une personnalité, un entretien en long format : découvrez l’interview mensuelle du Taurillon. Mathias Fink et Mickaël Tanter sont des physiciens spécialistes des ultrasons, qui révolutionnent le diagnostic par échographie. Grâce aux ondes, ils peuvent établir le degré d’élasticité ou de dureté des tissus, détecter une tumeur et même déterminer si celle-ci est maligne ou non. Ces deux Français ont fait partie cette année des finalistes du Prix de l’inventeur européen. Celui-ci récompense des professionnels de secteurs variés. Il est remis par l’Office européen des brevets qui célébrait en 2021 sa quinzième édition, en format digital.

Mathias Fink, Comment avez-vous réagi à votre nomination ? Connaissiez-vous déjà l’office européen des brevets ?

Je connaissais l’Office parce que j’ai déposé beaucoup de brevets. Autrefois, déposer un brevet coûtait très cher. Lorsque la structure du brevet européen est apparue, cela a simplifié le processus. Donc, je connaissais l’Office européen des brevets et j’avais entendu parler de ce prix. Mais cela ne ressemble pas aux prix que j’ai pu recevoir en tant que physicien. Il n’y a pas cet aspect ‘eurovision’ habituellement. On nous annonce que nous avons un prix, pas que nous sommes finalistes. Et il n’y a pas cette cérémonie devant le public où le gagnant est dévoilé. Cela a un côté folklorique par rapport au métier d’inventeur ou de chercheur.

Avez-vous pu prendre connaissance d’autres inventions mises à l’honneur cette année ou d’autres nommés ? Que pensez-vous de la richesse dans le domaine de la recherche en Europe ?

Le niveau est intéressant ! J’ai regardé les quinze nommés, il y a une variété de recherches et de projets très différents. Évidemment, c’est assez dur d’aller les comparer et de faire un choix sur ce qui est plus important.

En France il y avait le prix Lépine pour certains inventeurs qui dans leur cuisine avaient inventé une nouvelle façon de faire. Là, il y avait une variété de candidatures, depuis des créateurs du type ‘Lépine’, jusqu’à des choses hyper pointues. L’Europe a une grande vitalité au niveau des inventions, mais elle est quand même en train de se faire damer le pion. Par les Etats-Unis, depuis longtemps, mais maintenant également par la Chine et l’Asie. Nous devons malheureusement être modestes. C’est le cas dans des secteurs d’activités importants, en télécoms par exemple. Malgré tout, au niveau de l’Europe, il y a beaucoup d’inventeurs et cela dans tous les domaines.

Votre invention a permis des avancées dans la détection des cancers, à ce sujet, avez-vous un avis sur la lutte de l’Union européenne contre le cancer ? Nous savons par exemple qu’au niveau européen, le programme « EU4Health » (2021-2027) disposera d’un budget de 4,9 milliards d’euros, mais que représente une telle somme dans le domaine ?

Si cette somme est uniquement consacrée à la recherche, c’est beaucoup d’argent. Après cela dépend, si c’est pour équiper des hôpitaux par exemple. Ce montant, je ne le connais pas et si elle est destinée à la recherche pour lutter contre le cancer, c’est une très bonne chose. Ce ne sont pas des sommes ridicules.

Ce qu’il faut, c’est être capable de mettre un ticket important quand on voit qu’une équipe est bonne, pour qu’elle puisse aller vite. C’est ce qui est fait aux Etats-Unis. Nous nous sommes améliorés sur ce point aussi en Europe. Je me rappelle, dans les années 1990, quand j’ai inventé les miroirs à retournements temporels, pour trouver de l’argent, ils ne pouvaient me donner que des sommes ridicules au niveau de l’Etat. C’était très difficile d’obtenir des soutiens. Maintenant qu’il y a l’Europe, nous pouvons obtenir de belles sommes.

On a changé de braquet, mais nous ne sommes pas les seuls à l’avoir fait. La Chine a investi de façon colossale pour la recherche. C’est hallucinant quand vous regardez dans les journaux scientifiques le nombre d’articles qui viennent de groupes chinois ! Cela augmente chaque année de manière importante. Et ils sont bons. Ils ont vraiment ce qu’il faut. Il y a un poste à Hong-Kong où je vais régulièrement, j’allais aussi très souvent à Canton, ou à Shenzhen et j’étais ahuri de voir la qualité des hôpitaux. Ils ont beaucoup amélioré les choses.

Sur notre invention avec Mickaël Tanter, nous n’avions pas été protégés en Chine parce qu’à l’époque où j’ai déposé le brevet, le CNRS n’avait pas voulu l’étendre en Chine. C’est une mauvaise idée, parce que les Chinois ont créé des sociétés maintenant, qui fabriquent des produits similaires aux nôtres et pour lesquels nous ne pouvons pas nous défendre. Et ils vont vite. Quand on fait un brevet, il vaut mieux le déposer dans le monde entier avec les grands pays.

Avez-vous en tant que chercheur, une opinion sur le poids des Etats ou de l’UE dans de tels domaines ? Avez-vous pu bénéficier d’aides européennes dans votre carrière ?

L’arrivée de l’Europe, au niveau du financement de la recherche, est un grand pas en avant. Moi, j’ai bénéficié des ERC (European Research Council, Conseil européen de la recherche, organe de l’UE institué en 2007). J’en ai obtenu un énorme en Suède il y a quelques années, que je partage avec un collègue qui s’appelle José-Alain Sahel, un contrat de douze millions d’euros, ce qui est une somme énorme. Quand on compare ce que la France peut donner à un chercheur quand il a une très belle idée, c’est sans commune mesure. L’Europe donne beaucoup plus.

En France, l’ANR (Agence nationale de la recherche) sélectionne des projets et donne de l’argent pour aider les équipes à se monter. Les sommes maximales sont de 400 000 euros, ce qui n’est pas assez pour monter un groupe compétitif sur plusieurs années, alors que quand on obtient un ERC européen, un jeune chercheur peut obtenir 2,5 millions d’euros.

L’arrivée des ERC a aussi changé la mentalité. C’est-à-dire que l’excellence a été reconnue dans le système de recherche. Avant en France, on ne donnait pas plus d’argent à un chercheur excellent qu’à un chercheur mauvais. Parce qu’il y avait une façon de donner de l’argent de manière égalitaire par le biais du CNRS. Quand Claude Allègre a été ministre de la Recherche, on a créé les ANR qui ont permis de donner de l’argent à certains projets plus ciblés, donc à favoriser certains projets, mais c’étaient encore de petites sommes. L’excellence a commencé à être reconnue mais c’est vraiment quand l’Europe est arrivée, quand les ERC ont été créés, que cela a véritablement évolué. L’Europe est un très grand progrès à ce niveau-là. Si vous regardez le dernier prix Nobel de chimie, Emmanuelle Charpentier qui est une Française installée en Allemagne, elle a quitté la France parce qu’elle a pu obtenir d’une part aux Etats unis puis en Allemagne, des sommes d’argent bien plus grandes pour développer ce qu’elle faisait. En France, on ne sait pas mettre un gros paquet sur la rupture.

Nous avons beaucoup parlé de l’importance de la recherche depuis le début de cette pandémie, comment voyez-vous le secteur évoluer dans un avenir proche ? Les investissements ont-ils augmenté dans divers secteurs ? Le poids du privé et du public ont-t-ils changé ?

Cela dépend du secteur dont vous voulez parler. Je vais prendre un exemple que j’aime beaucoup, c’est l’imagerie médicale. En 1975 pendant ma thèse d’État, j’ai fabriqué le premier échographe qui faisait des images en temps réel. Avec les échographes d’avant, il fallait dix minutes pour obtenir une image. Nous sommes ensuite passés d’un échographe qui faisait cinquante images par seconde à notre invention qui était le premier échographe qui faisait dix mille images par seconde du corps humain. Au lieu de voir la réflectivité des tissus, il regardait autre chose, la propagation des vibrations dans le corps humain. Donc c’était une nouvelle idée. Et autour de cette imagerie ultrarapide, il y a plein d’autres applications chouettes.

En matière d’imagerie médicale, la France était très forte jusqu’en 1985, date où la CGR, Compagnie générale de radiologie, a été cédée aux Américains. Et donc la France qui avait une grande place, qui avait plusieurs milliers d’ingénieurs qui travaillaient en imagerie médicale, toute l’industrie a été cédée, contre des écrans de télévision, qui n’ont jamais marché.

Depuis, l’objectif a été de recréer un autre “grand” de l’imagerie médicale française. Avec l’imagerie ultrarapide, qui a plein d’autres applications que le cancer, j’espérais y parvenir. Nous avons créé notre société, Supersonic imagine, avec des Français revenus d’Amérique, qui étaient chez Philips et Siemens. Ils ont accepté de revenir, sous la direction de Jacques Souquet. Nous avons créé ce petit “grand”, il est monté jusqu’à 175 personnes. Et puis il y a eu d’autres expériences, Georges Charpak a créé une autre société qui s’appelait EOS imaging, avec un nouveau système d’imagerie pour rayons X.

Donc nous avions créé deux petites sociétés françaises qui avaient vraiment de bonnes inventions dans les tiroirs. Nous avons été vendus en 2019 à des Américains et EOS imaging a été vendue il y a quelques semaines à des Américains aussi. Et donc les deux sociétés françaises les plus innovantes dans l’imagerie médicale, à cause de l’aide nulle que donne le gouvernement, ont été vendues aux Américains. Nous avions une occasion que j’ai défendue auprès des présidents de la République. Parce que nous avions à chaque fois des ruptures technologiques qui auraient permis de rebâtir quelque chose. Mais on avait devant nous de grands géants, qui s’appelaient General Electric, Siemens, Philips, tous basés aux Etats-Unis, qui n’avaient aucune envie de nous voir devenir un grand. Ces géants nous ont attaqués, pour nous affaiblir et nous racheter. Il a fallu nous défendre juridiquement, ce n’est pas un parcours très facile et nous ne pouvions lutter si l’Etat ne nous aidait pas.

Je me souviens de Louis Schweitzer (Haut fonctionnaire, a été Commissaire général à l’investissement de 2014 à 2017), qui m’avait dit “En France, on a l’automobile et l’aéronautique, et ça suffit, nous n’allons pas nous occuper d’autres domaines”. Nous sommes devant un vrai problème. En France, il y a deux domaines que nous avons abandonnés, les Télécoms, où nous étions bons à une époque, et l’imagerie médicale qui sont tout de même des secteurs d’activité qui rapportent beaucoup d’argent. Toutes les inventions françaises qui peuvent se faire dans ce domaine ont un faible taux de survie en tant qu’invention française. L’Etat ne défend pas. Avec Supersonic imagine, nous avons subi une attaque terrible en 2018 d’une petite start-up américaine qui nous a coûté dix millions d’euros pour nous défendre, nous avons demandé l’aide de l’Etat qui a refusé de nous le donner. Le jour où nous avons signé la paix avec cette petite boite, le lendemain nous étions rachetés par une grande boite américaine. La manœuvre était grossière. Mais quand on a un bon truc, si on a pas les reins solides et des centaines de millions d’euros, voilà le risque. En France, il y a des inventeurs, des scientifiques, on sait déposer des brevets, créer des start-ups, mais on ne sait pas comment les défendre.

Ces derniers mois, dans le contexte de la pandémie de coronavirus, il a été question de partages de connaissances dans le domaine de la santé. Mais en même temps, il est évident que le dépôt d’un brevet reste l’un des piliers du secteur de l’innovation...

C’est en effet un sujet complexe. Je pense qu’à la rigueur, au vu de ce ticket énorme qu’a mis l’Amérique pour développer un vaccin, nous pouvons considérer que parce que ce sont des fonds publics, peut-être qu’on peut accepter que le brevet devienne un bien commun. Mais cela reste dangereux. Imaginez que déposer un brevet n’apporte en effet plus d’argent, les industries pharmaceutiques ne feront plus de recherche.

Quand ce n’est pas de l’argent public qui est investi massivement, lever les brevets casse toute la dynamique des start-ups. Si c’est l’Etat qui paie, d’accord. Mais sinon je ne pense pas. Sans les brevets, nous n’aurions jamais eu ainsi des investisseurs pour devenir des boites plus grosses avec nos six start-ups.

De façon plus légère, qu’est ce qu’un “bon chercheur” d’après vous ?

Ma réponse pourrait vous surprendre. Mais je crois qu’être un bon chercheur c’est aussi aller sur des terrains où il n’y a pas mille articles sur le thème dans les journaux. Les bons chercheurs ne sont pas forcément ceux qui ont le plus grand bagage en termes d’études. Quand il faut prendre des risques intellectuels, ce n’est pas la même chose d’être un très très bon élève et un bon chercheur. Dans les classes préparatoires, les élèves apprennent énormément de choses. Les étudiants qui vont à l’université n’ont pas appris autant de choses et de façon aussi précise. Et bien quand les deux veulent devenir chercheurs, c’est souvent celui qui est le plus aventureux qui est récompensé, et pas pas celui qui connaît le plus. En France, on a cette dichotomie. Je constate que souvent, nous avons des chercheurs plus inventifs qui viennent de l’université, car on leur a laissé l’esprit plus libre. Nous avons des surprises concernant les “bons” chercheurs.

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