Matthijs Wouter Knol, directeur de l’Académie européenne du cinéma : “Nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons protéger le cinéma européen”

, par Jérôme Flury, Servane de Pastre

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Matthijs Wouter Knol, directeur de l'Académie européenne du cinéma : “Nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons protéger le cinéma européen”

Matthijs Wouter Knol est directeur de l’Académie européenne du cinéma depuis janvier 2021. En ces temps compliqués pour le domaine et après une pandémie qui a largement profité aux plateformes de vidéos à la demande, le Néerlandais a répondu aux questions du Taurillon, expliquant le rôle de sa structure, qui réalisera sa remise annuelle de prix de cinéma, le 9 décembre 2021, à Berlin.

Le cinéma traverse actuellement une période compliquée, entre la fermeture des salles et la popularité des plateformes. Comment le cinéma peut-il résister à ces évolutions et être plus accessible ?

Matthijs Wouter Knol : Nous nous trouvons à un moment où les changements qui avaient débuté il y a quelques années, s’accélèrent. Ces deux dernières années en sont le témoin. Et cela, non seulement à cause de la pandémie, bien qu’elle ait eu des conséquences sur le comportement du public et l’accès aux contenus. C’est surtout la manière dont les plateformes de streaming ont utilisé la situation pour développer leur modèle économique qui est symptomatique. Nous devons dès à présent réfléchir à une manière de protéger le cinéma européen. C’est le but pour lequel la EFA [European Film Academy] a été créée en 1989. À l’époque déjà, les productions américaines dominaient le marché. Un certain nombre de producteurs ont créé des organisations pour promouvoir les créations européennes, les rendre plus visibles et s’assurer que les personnes qui travaillaient dans le domaine du cinéma en Europe soient mieux connectées. L’objectif n’a pas changé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai rejoins l’EFA : j’ai envie de jouer un rôle dans ce processus.

Est-ce qu’il y a un modèle de film européen ? Quelles évolutions notez-vous dans les productions européennes ?

Je ne parlerais pas vraiment d’un style de film européen. Pour que l’EFA considère qu’un film est « européen », il faut que suffisamment de personnes européennes aient contribué au film. Le film peut être tourné autre part dans le monde, mais évidemment, la majorité des films faits en Europe sont aussi tournés en Europe et racontent des histoires européennes. Ce qui fait qu’un film est européen, c’est également le fait qu’il soit le fruit d’une collaboration, d’une coproduction car nous avons besoin d’unir nos forces pour obtenir suffisamment de fonds.

Pendant la Guerre froide, l’influence américaine était très forte sur l’ouest du continent. Existe-t-il encore aujourd’hui des différences marquées dans le processus de création et dans le contenu des films entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est ?

Oui, il y a de grandes différences. C’est une question très intéressante, sur laquelle nous travaillons. Nous sommes en train d’établir une liste de films que nous voudrions publier en décembre, soit trente ans après la dissolution de l’URSS. Nous nous sommes posés la question en début d’année : trente ans plus tard, qu’est-ce qui a changé dans le cinéma est européen ? Nous voulons à la fois montrer les particularités de ce cinéma, mais aussi insister sur la mauvaise conservation des films. À l’ouest on a des impôts pour le cinéma, des archives, des budgets importants, on peut digitaliser… En Europe de l’Est, cela fait complètement défaut. C’est un gros problème et si vous regardez ces films, il y a d’énormes différences dans la façon dont, non pas tant sur les cinémas en tant que tels, mais si vous regardez la façon dont les films peuvent être montrés ou préservés, il y a des différences. L’EFA peut jouer un rôle à cet égard.

L’influence des Etats-Unis reste majeure, les moyens investis sont historiquement conséquents de l’autre côté de l’Atlantique. Comment financez-vous le cinéma européen ? Comment contrer cette influence américaine ?

On donne encore la prédominance aux films américains, parce que notre système de distribution est très lié au système de distribution des studios américains. C’est le fruit d’une histoire qui remonte à la période post-Seconde Guerre mondiale, lorsque des infrastructures ont vu le jour et ont permis aux Américains d’asseoir leur domination. Cela a des avantages, notamment la variété des contenus, mais c’est beaucoup trop présent. Il faudrait qu’il y ait une véritable prise de conscience du fait que si nous voulons promouvoir notre industrie cinématographique, si nous voulons la diffuser, nous devons en premier lieu faire en sorte que les films européens puissent être vus tout autant que des films non-européens, ce qui n’est pas le cas actuellement.

L’EFA a un rôle important à jouer, elle doit en premier lieu créer un intérêt partout en Europe. Nous voulons engager un dialogue, créer un débat en France, en Scandinavie, dans les pays germaniques, en Espagne, en Italie. Sans oublier les presque trente pays d’Europe de l’Est. Dans un second temps, l’EFA doit accentuer l’impact et l’influence de ses récompenses, les European Film Awards. Et cela doit se faire dans les dix prochaines années. L’EFA doit s’assurer que ce soit un véritable moyen de rendre hommage à ceux qui produisent le film et au résultat de leurs efforts. Je crois que c’est un outil qui pourrait avoir beaucoup d’impact, et que l’on doit plus exploiter.

Vous parlez de la création de lieu pour voir ces films, mais à supposer que cela soit possible, comment rendre le cinéma plus accessible ?

Les cinémas jouent un rôle important, et pas seulement les cinémathèques, qui ne sont pas les endroits les plus accessibles en Europe. On doit travailler avec les cinémas plus commerciaux sur l’accessibilité des films européens. Ces cinémas attirent un public très différent. Vous avez raison, tout le monde n’a pas la possibilité d’aller au cinéma, soit parce qu’il n’y a pas de cinéma dans les environs, ceux-ci se concentrent en effet très souvent dans les villes européennes, au détriment des zones rurales. C’est pour cela que lorsque je parle de cinéma européen, je fais également explicitement référence aux possibilités de regarder des films en ligne, que ce soit sur des plateformes ou dans des ciné-clubs en ligne. L’EFA travaille d’ailleurs sur cela en ce moment. Il y a beaucoup de projets de versions européennes des grandes plateformes de streaming, et je crois que l’EFA devrait travailler à la fois sur des solutions en ligne mais aussi en présentiel, afin de permettre à tous d’avoir accès aux films. Je suis sûr que dans les prochaines années on parviendra à ramener le cinéma européen là où se trouve le public, peut-être même sur leur portable.

Votre prochaine cérémonie annuelle se tiendra le 11 septembre à Berlin. Quel bilan votre organisation a-t-elle tiré des éditions passées ? Comment sélectionnez-vous les films nominés ? Et dans quelle mesure ces films doivent être européens ?

C’est très important pour nous de toucher un public large, simplement curieux de voir les personnes qui sont derrière les films qu’ils peuvent regarder. Très longtemps, les European Film Awards n’ont intéressé que des personnes issues de l’industrie du cinéma européen, d’initiés. Nous voulons à présent le rendre plus accessible. Cela fait partie d’un projet, le Mois du Film Européen. Un mois avant la remise des prix, on souhaite rendre les films nommés accessibles au grand public, au travers de partenariats avec des villes européennes mais aussi avec la plateforme de streaming Mubi, qui projettera les films du réalisateur nommé pour sa carrière et proposera un programme autour de l’œuvre de cette personne. Cette année, c’est la hongroise Márta Mészáros qui a gagné le prix. Un grand nombre de personnes ne connaît pas ses films, elle a fait des choses extraordinaires et a gagné beaucoup de prix à Cannes, Berlin et San Sebastian. Ce sont des films européens très importants.

Ce type de prix peut-il contribuer à construire l’identité européenne ?

La remise du prix de l’EFA contribue à constituer l’identité européenne car c’est le seul événement en Europe qui rassemble tous ceux qui travaillent dans le domaine du cinéma en Europe. Les membres de l’académie ont accès à partir du mois de septembre à une sélection de films qui inclut ceux primés à Cannes, Venise, Berlin, pas encore en salle et impossible à trouver autrement. Les plus de 4000 membres de l’académie peuvent y avoir accès pour les regarder, voter pour les films nommés et à la fin du processus, élire les gagnants. Je crois que lorsque des personnes attribuent des prix pour des films européens, quand les Européens regardent des films européens, il y a un effet de communauté, même quand les traditions, histoires et cultures cinématographiques sont très différentes. Il y a un sentiment de connexion, de proximité qui reste. Le cinéma est un outil très important et puissant qui peut permettre aux individus de se sentir plus européens. Nous sommes en train de monter un club cinéma pour les adolescents en Europe qui compte déjà 6000 membres. Tous regardent les films en compétition et décernent le Best Young Audience Award. Tous sortent de cette expérience en se sentant plus européens, plus curieux des films et cultures des autres pays européens.

Êtes-vous également financés par l’Union européenne ?

Oui, la Commission européenne est un partenaire important, et ce depuis longtemps. Mais nous sommes également financés par des « patrons », comme nous les appelons, qui sont des instituts nationaux de cinéma, des boîtes de production nationales. Par exemple, en France, l’un de nos partenaires est le CNC.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez des posters de films français derrière vous (Genese, Jules and Jim) ? Ou les avez-vous changés juste pour l’interview ?

(Rires) Non ! Je suis un grand amateur d’affiches de film. L’art de la création et la réalisation des affiches disparaît, elles deviennent de plus en plus standardisées. Je trouve cela très dommage, donc je les collectionne. Les affiches que vous voyez derrière moi sont celles que j’ai mises dans mon nouveau bureau il y a quelques mois et... c’est en fait une bonne idée. Je ne les changerai pas pour chaque entretien mais je les changerai une fois pour ne pas me lasser des affiches de films.

En quoi l’EFA se démarque des Berlinales ? Ce prix parvient-il à s’imposer dans un monde du 7e art déjà bien fourni en termes de distinctions ?

C’est un prix très différent ! Tout d’abord nous ne sommes pas dans un festival. Les festivals s’appuient sur des programmateurs qui font leurs choix personnels et bâtissent le programme des différentes compétitions. Un jury indépendant de personnes choisies désigne les gagnants, qui reçoivent un prix. L’EFA fonctionne de manière très différente. Tout d’abord, on ne présélectionne pas la liste des films nominés. Le choix est fait par les membres de la European Film Academy, qui nomment un certain nombre de films avant de choisir les meilleurs. Deuxièmement, les festivals décernent des prix pour des films internationaux, dont ceux qui peuvent venir d’Europe. Les European Film Awards sont réservés aux films européens. Cela peut laisser penser que le nombre de films est plus restreint... mais je ne pourrais même pas vous dire combien de films ont été réalisés en Europe cette année tellement il y en a ! Nous sélectionnons entre 50 et 55 films parmi un très grand nombre de films européens, les membres de l’Académie les regardent et votent pour les meilleurs. C’est un système très particulier. Il ne faut pas non plus oublier que cette remise de prix se tient à la fin de l’année, une période à laquelle il n’y a aucun grand festival de film européen. Nous laissons la chance à tous les membres de l’EFA de réfléchir sur l’année passée et dire quel a été le meilleur film européen. Et cela a un impact sur le cinéma européen dans son ensemble.

Comment choisissent les membres de l’EFA ?

Ils peuvent regarder les films en ligne sur la plateforme VOD de l’académie. Ils ont ensuite une date limite pour désigner leur film préféré, puis nous annonçons les nominations. Cette année, elles ont lieu le 9 novembre. Puis du 9 novembre au 11 décembre, ils peuvent à nouveau voter. Et c’est à partir de ces votes que les vainqueurs sont désignés. Les membres sont des producteurs et réalisateurs de toute l’Europe. Par producteurs je parle de tous ceux qui travaillent sur les films. Dans chaque pays européen, on a une longue liste de membres. Ils sont une centaine en France, en Espagne, en Allemagne, en Italie ou en Scandinavie. La plupart des personnes qui travaillent sur des films, qui en ont fait, qui ont été récompensées, qu’elles soient connues ou moins connues mais qui ont une certaine reconnaissance dans le milieu peuvent devenir un membre de l’EFA. Ils peuvent candidater, ou nous les invitons.

Pour participer à la compétition, les films doivent venir de de l’un des 52 pays membres de l’EFA. Les membres de l’EFA viennent également de ces pays, mais nous avons également des membres américains, d’autres basés en Australie, au Canada, ou en Amérique du Sud. Mais leur travail est d’une manière ou d’une autre connecté à l’Europe, qu’ils aient distribué de films européens, coproduit des films européens ou travaillé un long moment dans un festival de film européen. Par exemple, Diane Weyermann, qui est décédée il y a peu, était membre de l’EFA. Elle a produit un grand nombre de films européens, dont l’Affaire Collective, un documentaire roumain qui a remporté le prix du meilleur documentaire l’année dernière. Il a aussi reçu le prix de l’audience LUX et deux Oscars cette année. La décision de recruter un membre non ressortissant de l’un des 52 pays membres se prend toujours au niveau du Comité d’Administration.

Pourquoi cette cérémonie se tient à Berlin ? Pourquoi pas dans un autre pays européen ?

La raison est que l’EFA a été créée à Berlin et une grande partie de notre budget provient du gouvernement allemand et de la Ville de Berlin. C’était l’une des conditions pour avoir ces fonds est que l’EFA soit un événement berlinois. C’est ainsi que Berlin est devenue une capitale du cinéma européen. Le European Film Award a ainsi lieu un an sur deux à Berlin. L’année prochaine nous devrions être à Reykjavik, en Islande, en 2023 nous reviendrons à Berlin, et en 2024 nous serons dans un autre pays européen. Mais au-delà de ces fonds, l’histoire de l’EFA n’aurait pu commencer qu’à Berlin. C’est un lieu central en Europe, et historiquement, nous avons un lien avec cette ville. Aujourd’hui, la référence symbolique est amenuisée mais à l’époque, en 1989, l’année de la chute du mur, nous avions besoin que l’Est et l’Ouest se parlent à nouveau, et que nous puissions découvrir les films, la culture, l’histoire de chacun, et travailler ensemble à une manière plus large et plus proche de vivre ensemble dans l’UE. En cela, Berlin est un symbole. Nous sommes aujourd’hui 35 ans après la chute de l’URSS, nous avons à présent besoin de nous tourner vers l’avenir. Et c’est exactement le rôle que s’est donnée l’EFA : savoir d’où elle vient tout en anticipant le futur. Berlin est un beau lieu de travail, de vie et où organiser des événements, mais je suis presque certain que les dix prochaines années apporteront leur lot de changements.

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