En 2020, et pour la première fois, les énergies renouvelables (ENR) sont devenues la principale source d’électricité en Europe. Responsables de 38% des apports, 37% étaient dus aux énergies fossiles et 25% à l’énergie nucléaire. Le chemin reste néanmoins encore long pour le navire européen s’il veut respecter ses engagements climatiques. Le principal hic au déploiement des énergies renouvelables réside dans leur caractère intermittent. La question de son stockage, qualifié de “hautement stratégique” par quiconque est un minimum stratège, est épineuse et elle concentre efforts et financements de la part des institutions européennes.
Le stockage énergétique : un souci d’ordre spatio-temporel
L’intermittence. Énergies solaires et éoliennes, les deux renouvelables les plus abondantes, dépendent de la météorologie et de l’horaire matinal ou vespéral de la journée et leur production diffère fortement selon les saisons. Ces variations ne coïncident pourtant pas nécessairement avec nos besoins. Stocker l’énergie devient alors un impératif pour pouvoir utiliser les quantités adéquates et au moment opportun. L’autre “pépin” est d’ordre géographique. Les sources d’énergies renouvelables sont plurielles et parfaitement éclatées sur le territoire. Un second enjeu du stockage de l’énergie réside donc dans la nécessité d’homogénéiser cette production.
Un rapport publié par le RTE (Réseau de Transport d’Électricité) et l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie) recommande, pour mieux intégrer les ENR dans un bouquet énergétique, l’usage de gestionnaire de réseaux intelligents, capables d’anticiper les besoins avec précision, et d’assurer leur équilibre : il faut réaliser correctement les calculs de l’offre et de la demande pour injecter sur le circuit pile poil la quantité d’électricité nécessaire (si un jour il vente trop et qu’on ne l’avait pas prévu, cela peut entraîner des black-out comme cela avait failli être le cas en Allemagne lors du premier confinement). Il pointe la nécessité de maintenir la fréquence du réseau à 50 Hz pour qu’il soit stable, ce qu’il est plus difficile d’effectuer lorsque les sources sont décentralisées comme c’est le cas avec les ENR. Ensuite, il préconise de prévoir des capacités de stockage importantes pour faire face aux aléas, et d’accroître les interconnexions entre les différents pays frontaliers. La quatrième condition, la plus exigeante, nécessite de redimensionner le réseau, de créer de nouveaux canaux de transport et de distribution de l’électricité afin de l’adapter aux multiples sources de production d’énergie (l’été il faudra faire venir l’électricité du sud où les panneaux solaires carbureront, tandis que l’hiver c’est le vent du Nord qui sera l’affluent principal).
À la lumière de ces travaux et grâce au Green Deal qui offre aux États membres un cadre pour dialoguer, la nécessité pour les pays européens de mener une politique électrique coordonnée ne fait plus aucun doute. C’est la raison pour laquelle, le 15 décembre dernier, la Commission européenne présentait un plan pour la création d’un réseau de transport et de distribution d’énergie transeuropéen, et l’investissement de 50,5 milliards d’euros jusqu’à 2030 pour atteindre cet objectif.
Le stockage stationnaire pour assister les réseaux électriques
STEP. Il ne s’agit pas d’un mot qui, cherchant vainement sa place sur un programme sportif, se serait égaré dans cet article. STEP est l’acronyme de Station de Transfert d’Énergie par Pompage, les barrages que l’on connaît. Il n’en existe pas moins de 400 dans le monde, dont plus de la moitié sont en Europe. Majoritairement créées afin d’apporter de la flexibilité (en stockant l’énergie quand l’offre surpasse la demande et en rendant ce surplus quand la production ne soutient plus la consommation) à la production énergétique nucléaire ou hydraulique (les classiques), elles peuvent aussi être couplées à des installations d’énergies renouvelables. La photographie illustrant cet article en est un exemple éloquent : à El Hierro, dans les espagnoles Canaries, centrale de pompage turbinage et éoliennes travaillent main dans la main. C’est la solution de stockage “la moins coûteuse”, mais elle nécessite un ingrédient phare qu’il n’est pas si facile de se procurer : une montagne.
C’est pourquoi les moyens de stockage se diversifient. Les panneaux photovoltaïques, qui transforment fissa l’énergie solaire en électricité pour la stocker dans des batteries, a connu une baisse des coûts rapide et a en quelque sorte tué dans l’œuf la popularité des centrales solaires thermodynamiques. Le fonctionnement de ces dernières consiste en un jeu de miroirs qui concentrent le rayonnement solaire en direction d’un système stockant la chaleur (l’énergie la plus simple à stocker), puis la catapulte vers des caloporteurs producteurs de vapeur dont le passage en turbine fournit de l’électricité.
L’Union européenne se veut souveraine en batteries
Les batteries stockent l’énergie de façon très modeste en comparaison des STEP, mais présentent l’avantage de se mouvoir bien plus aisément pour accompagner les objets auxquels elles transfusent de l’électricité. Alors que la Chine fabrique plus de 80% des batteries lithium-ion, l’Union européenne multiplie les projets pour accroître son influence sur ce terrain et contenter l’appétit croissant de ses citoyens pour les véhicules électriques.
Des batteries made in Europe ? Fabriquées selon des normes exigeantes et qualifiables de “vertes” ? Voici ce à quoi aspire la Commission européenne. Déjà en 2017, suite à l’appel à la création d’un “Airbus de la batterie” de Maros Šefčovič, vice-président de la Commission européenne en charge de l’énergie, la Commission mettait sur pied l’Alliance européenne pour les batteries. Autour de la table se trouvent les États, la Banque européenne d’investissement (BEI) et les quelque 260 acteurs industriels de l’innovation dans les secteurs de l’industrie automobile, chimique et de la construction. Leur mission : concevoir un plan d’action afin que l’Europe puisse garantir son autonomie stratégique, concurrencer les fabricants asiatiques et américains, tout en respectant ses aspirations décarbonées (les batteries sont lourdes et voyagent mal, la facture carbone de leur importation est salée, celle de leur conception et de leur élimination aussi). Dans ce cadre, la BEI contribue pécuniairement à la création de giga-usines, du genre de celles de l’américain Tesla, sur le Vieux Continent. Les premières devraient commencer à charbonner (comprenez fonctionner) en 2021 ou 2022 (à l’instar de la start-up suédoise Northway).
Le 26 janvier dernier, la Commission européenne donnait son feu vert à un versement de 2,9 milliards d’euros pour créer un nouveau centre de recherche et d’innovation dans le domaine des batteries, projet commun à douze États membres (dont la France) et quarante entreprises. 9 milliards d’euros d’investissements privés devraient être ajoutés dans la tirelire de ce deuxième “Airbus de la batterie”. Au menu des travaux de recherche, Margrethe Vestager, Vice-Présidente à la Commission, annonce qu’il y aura de “l’extraction des matières premières, la conception et la fabrication des cellules et des packs de batteries et, enfin, le recyclage et l’élimination dans le cadre d’une économie circulaire, en mettant fortement l’accent sur la durabilité”.
Alors, à quoi ressemblera le réseau électrique de demain ? Pour Bernard Multon, Pr de génie électrique à l’ENS Rennes et Philippe Barboux, de l’Institut de recherche de chimie de Paris, qui ont débattu de la question au micro de France Culture, il faudra trouver un équilibre dans l’équation suivante : un bouquet d’énergies renouvelables variables, de multiples moyens de stockage, un réseau au maillage serré et intelligent, et une réflexion à l’échelle européenne pour promouvoir davantage les solutions coopératives comme les interconnexions transfrontalières.
Suivre les commentaires : |