Les socialistes allemands arrivent à s’imposer dans la grande coalition CDU/SPD.
La chancelière allemande ne saurait-elle plus sur quel pied danser ? Ou plutôt : est-ce toujours elle qui mène la cadence en Allemagne ? Bien que les dernières élections de septembre 2013 aient confirmé la popularité de la « Mutti » (« Maman ») allemande, lui accordant le rôle de chef de l’Etat pour la troisième fois consécutive, il n’en reste pas moins que les socialistes ont dorénavant leur mot à dire au gouvernement, dans lequel ils occupent une place importante au sein de la grande coalition. Et ils se font entendre : les conservateurs sont conscients qu’ils jouent la partition politique en duo. Un concert de réformes sociales se fait entendre dans le pays, et non point des moindres : instauration progressive d’un salaire minimum à 8,50€ d’ici 2015 ou 2017 selon les secteurs, baisse de l’âge de départ à la retraite à 63 ans au lieu de 67, mise en place d’un quota de femmes. S’il semblerait qu’on parvienne donc à faire des compromis, ceux-ci n’ont été faits qu’à l’issue d’âpres discussions entre conservateurs et socialistes. Et visiblement, le SPD parvient mieux que la CDU à mettre ses idées en place dans le pays.
En Europe, Mme Merkel ne parvient plus à donner le la.
Mme Merkel ne peut pas faire la sourde oreille au signal d’alarme qu’a lancé la poussée des partis d’extrême-droite européens lors des dernières élections européennes. Dans un discours qu’elle a prononcé mercredi 4 juin à Berlin, elle a notamment évoqué sa vision d’une Europe forte, compétitive et ouverte aux réformes, insistant sur un agenda de la croissance et de l’emploi, tel qu’elle l’avait également explicité avant les dernières élections européennes - la seule différence étant qu’elle a reconnu que les citoyens exigeaient de meilleures réponses à la crise. Or, le résultat des élections européennes ne traduit-il pas en partie, l’amertume des eurocitoyens face à une crise contre laquelle la politique jusqu’alors menée n’a pas assez d’impact ? Outre la désapprobation des peuples vis-à-vis de la politique d’austérité, sur l’échiquier politique non plus, Juncker ne partage pas les mêmes idées économiques que la chancelière, prônant plus de solidarité. Mme Merkel pourra-t-elle imposer ses idées auprès du nouveau président de la Commission et parvenir à des compromis ? Ou assouplira-t-elle ses idées ?
Par ailleurs, elle a fait comprendre qu’au niveau politique, elle se sentait plus proche du Britannique Cameron que du président français Hollande ou bien des chefs d’Etat des pays d’Europe du Sud. Ainsi, Cameron s’opposant à la présidence du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la Commission européenne, la chancelière a voulu soutenir le premier ministre britannique en tournant brusquement le dos au candidat conservateur Juncker, en faveur duquel elle s’était pourtant prononcée auparavant. Il semblerait qu’elle ait été la seule à prendre au sérieux le glas qu’a fait sonner le premier ministre britannique de faire un référendum imminent dans son pays quant à l’appartenance de ce dernier à l’UE si le Luxembourgeois arrivait à la tête de la Commission. Mme Merkel a donc cherché à s’allier à M. Cameron, faute de soutien auprès de ses autres homologues européens. Aussi s’est-elle réunie avec les chefs d’Etat conservateurs britannique Cameron, néerlandais Rutte et suédois Reinfeldt, tous opposés à Juncker comme président de la Commission, le 10 juin dernier, en Suède. Preuve qu’il s’agissait d’une stratégie politique, la chancelière allemande est revenue sur sa position sur Juncker qu’elle soutient de nouveau, désormais. Elle ne peut pas risquer de s’éloigner des autres chefs d’Etat européens sur ce point-là.
En effet, les gouvernements français et italien, ainsi que d’autres sur lesquels la chancelière pouvait jusqu’à présent compter, considèrent que cette dernière a un poids bien trop important en Europe. Et n’hésitent pas à chercher de l’aide auprès de son vice-chancelier social-démocrate et ministre de l’économie, M. Gabriel.
Les dirigeants socialistes européens préfèrent se tourner vers M. Gabriel.
Celui-ci s’est adressé vendredi 20 juin 2014, aux pays en crise, auxquels il souhaite prêter main forte, proposant alors « de vraies réformes contre plus de temps pour la réduction du déficit », avant d’ajouter qu’un tel positionnement pourrait porter ses fruits, à l’image de l’Allemagne après la mise en place de son « Agenda 2010 ». En effet, au début des années 2000, ce pays était considéré comme « l’homme malade de l’Europe ». Fut donc instauré « l’Agenda 2010 » sous le chancelier Schröder, qui prévoyait la mise en place d’un État-providence par des réformes drastiques visant à flexibiliser le marché du travail afin de lutter contre le chômage, d’améliorer les politiques d’emploi et de relancer la compétitivité. Aujourd’hui, le modèle économique allemand est souvent présenté comme étant exemplaire, mais on a tendance à oublier que la transition vers une économie qui fonctionne relativement bien (même si le volet social est quelque peu controversé aujourd’hui et tend à être désormais réformé) fut un processus long. C’est pourquoi le vice-chancelier actuel préfère voir les choses sur le long terme – contrairement à une chancelière qui se montrerait trop exigeante et impatiente vis-à-vis des pays en crise ?
De plus, faisant écho au sommet des « anti-Juncker » du 10 juin, samedi 21 juin 2014, le président français a reçu à l’Elysée neuf dirigeants européens socialistes au sujet du futur président de la Commission et a donc préféré convier M. Gabriel à Mme Merkel (avec entre autres parmi les plus connus l’Italien Renzi, le Belge Di Rupo, l’Autrichien Faymann, la Danoise Thorning-Schmidt, ainsi que Martin Schulz, candidat socialiste à la présidence de la Commission et président du Parlement européen). Le tandem Merkel – Hollande serait-il concurrencé par un duo Gabriel – Hollande ? Le social-démocrate allemand commence à faire de l’ombre à la chancelière ; il entend bien montrer à ses homologues européens que cette dernière n’est pas la seule à diriger en Europe, et qu’en tant que membre de la grande coalition allemande, il a tout autant un rôle important à jouer à Bruxelles. Il insuffle déjà de nouvelles idées, afin d’améliorer le fonctionnement de la Commission : mise en place d’un cercle directeur, composé de cinq ou six commissaires européens, sorte de collège qui s’adapterait mieux aux vingt-huit commissaires, dans le but de mieux coordonner le travail de la Commission et éviter toute incohérence entre les membres qui la composent.
Comment Mme Merkel va-t-elle orchestrer la nouvelle partition européenne ? Une chose est sûre : le chœur des socialistes se fera plus entendre au sein des institutions européennes, où conservateurs et sociaux-démocrates devront s’accorder pour faire des compromis – à l’exemple du gouvernement allemand de grande coalition ? Qu’en sera-t-il alors, de l’influence de Mme Merkel ?
Suivre les commentaires : |