La responsabilité des médias
On a souvent souligné la responsabilité des journalistes face à la diffusion d’idéologies et d’idées de l’extrême droite. Depuis deux semaines, on voit dans la presse française le déchaînement de la haine raciste de certains citoyens. Le 10 juin 2024, la chaîne BFMTV exprime sa préférence pour l’extrême-droite, à la veille des élections européennes. Sur France 2, lors du reportage du magazine « Envoyé spécial », un couple de retraités, militants du RN, nous confient « Je vois à la télé, je suis quand même pas con… Je vois à la télé comment ça se passe. C’est les « Moustapha », tout ce que vous voulez ». On dit souvent que celui qui détient l’information détient aussi le pouvoir. Dans un monde où Internet et les réseaux sociaux consomment l’attention de leurs usagers, il est parfois difficile de faire la part entre les informations vraies et les fausses, aussi appelées fake news, ainsi que des miroirs déformants offerts par les médias de masse.
A la recherche d’informations sensationnelles, vendeuses, certains médias se concentrent sur des thèmes qui peuvent susciter la peur et l’anxiété, comme l’immigration, la criminalité ou encore le terrorisme. L’extrême droite capitalise généralement sur ces thèmes et leur couverture médiatique excessive renforce l’attractivité des arguments du parti.
On peut noter que récemment en France, les médias Europe 1 et C-NEWS, tous deux appartenant à Vincent Bolloré, donnent un temps de parole record au RN, depuis la mise en place de la nouvelle ligne éditoriale, un phénomène se répétant sur des chaînes d’information comme BFM-TV qui cherche à rattraper la concurrence. L’Arcom est récemment bien plus regardante sur le pluralisme politique des chaînes de télévision française. Les plateaux de télévision deviennent également le théâtre de la polarisation des débats : les discours sont parfois largement simplifiés grâce à un système d’opposition binaire. Les désignés “spécialistes” invités par ces mêmes chaînes participent à l’extrême polarisation du débat, arbitré par un présentateur rarement neutre, ce qui donne au discours d’extrême droite une dimension bien plus attractive, puisqu’il offre des solutions simples à un problème complexe.
La montée de l’extrême droite dans l’UE
A travers l’Union européenne, les partis d’extrême droite se sont tous rapprochés un peu plus du pouvoir. On rappelle qu’il y a, pour l’instant, trois pays de l’Union dirigés aujourd’hui par un parti d’extrême droite. La Hongrie, d’abord, avec le FIDESZ, au pouvoir depuis 2010, l’Italie, avec Fratelli d’Italia depuis 2022, et les Pays-Bas, où le Parti de la Liberté domine une coalition de droite. En Finlande et en Slovaquie, si l’extrême droite ne dirige pas directement le pays, elle participe à des gouvernements de coalition, tandis qu’en Suède, elle soutient le gouvernement de droite sans pour autant y participer.
Les partis d’extrême droite s’attaquent directement à l’Etat de droit. Viktor Orban, le président hongrois, a muselé la presse, bâtissant son propre empire médiatique par le rachat de dizaines de médias privés par l’intermédiaire d’oligarques alliés à sa cause. En Pologne, où le PIS a été au pouvoir de 2015 à 2023, l’extrême droite s’est attaquée à la justice en nommant des juges proches du pouvoir au tribunal constitutionnel. Il s’agit de politiques qui vont donc à l’encontre des valeurs de l’UE et à l’encontre de la démocratie. La Hongrie et la Pologne avaient d’ailleurs été sanctionnées par Bruxelles pour ces raisons.
Toutefois, dans les pays où l’extrême droite est au pouvoir, on peut également noter le recul systématique des droits civils. En Hongrie, Orban a fait voter une loi interdisant d’évoquer l’homosexualité ou le changement de genre aux mineurs. En Italie, Giorgia Meloni a accordé l’accès aux cliniques de consultation pour les IVG aux militants anti-avortement.
La montée des partis d’extrême droite en Europe a également des répercussions en termes de politique étrangère. En effet, ils ont tendance à être pro-russes, fragilisant un peu plus les positions de soutien à l’Ukraine adoptées par l’UE. C’est le cas, encore une fois, du gouvernement hongrois et de l’exécutif slovaque, mais cela constitue également un fort élément de propagande chez le RN en France, ayant de nombreuses affinités avec des oligarques russes.
Nouvel électorat, nouvelles méthodes
Pourtant, les partis d’extrême droite ont longtemps été diabolisés. Dans le cas des partis d’extrême droite, on ne saurait faire abstraction des sympathisants historiques avec le parti Nazi, et de certains idéaux nationalistes, moteurs de haine et de violence raciale. Depuis 2010, par l’intermédiaire des réseaux sociaux notamment, de nombreux partis d’extrême droite sont parvenus à se dédiaboliser. Celle-ci passe notamment par l’exploitation d’un manque de bagage historique. Bien souvent, des partis comme le RN demeurent une perspective effrayante pour les électeurs plus âgés. Malgré les efforts du parti pour ‘rentrer dans les rangs’, une partie des générations précédentes n’oublie pas ses racines néo-fascistes et antisémites. Les plus jeunes, qui n’ont pas connu l’après-guerre, manquent pour beaucoup de connaissances historiques liées à la construction idéologique des partis nationalistes. De plus, la disparition des partis de gauche en Europe tend à expliquer pourquoi l’extrême droite paraît désormais respectable et capable d’offrir des solutions économiques simplistes aux problèmes socio-économiques.
Avec la hausse du chômage due aux différentes crises financières depuis 2008 et accentuée par la pandémie de 2020, l’afflux de migrants et de réfugiés dû au changement climatique et à la multiplication des guerres, il semblerait qu’un sentiment d’abandon naisse au sein des pays européens Les nationaux les plus défavorisés se sentent délaissés sur des territoires qui, par la multiplication des cadrages médiatiques sensationnels, sont perçus comme toujours plus violents.
Ceux qui sont nés entre 1995 et 2012 n’ont connu que des crises : la crise financière, puis celle de la zone euro, la pandémie et maintenant la reprise de la guerre en Europe. Des discours identitaires et nationalistes fleurissent donc un peu partout sur le continent, notamment chez les jeunes, et les enjeux de la sécurité sont un moyen pour les partis d’extrême droite de justifier des politiques plus strictes en matière d’immigration, démontrant alors par le lien sécurité-immigration les racines xénophobes des partis d’extrême droite.
Le rôle des réseaux sociaux est aussi crucial, puisque ce sont sur des plateformes comme Twitter, Instagram, ou encore Tik Tok, que les idées d’extrême droite se diffusent à un plus large public et atteignent notamment les jeunes. En Pologne, 30% des électeurs de moins de 30 ans ont soutenu le parti d’extrême droite Confédération, contre 18,5% en 2019. En Allemagne, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) a remporté 16% des voix de moins de 25 ans aux élections européennes, soit trois fois plus qu’en 2019 dans cette tranche d’âge. Le contenu dépolitisé des candidats d’extrême droite sur Tik Tok, comme celui de Jordan Bardella, fait partie d’une vaste opération de séduction d’une audience plus jeune et en mesure de voter. Les partis européens classiques se battent dans des discours factuels, tandis que l’extrême droite fait grossir son nombre d’abonnés par l’émotion. On peut voir les candidats manger, dispenser aux abonnés des conseils pour leur vie amoureuse, comme ça a été le cas de Maximilian Krach, chef de file de l’AfD, qui conseille ‘ni porno, ni vote écolo’. Les discours, parfois même racistes, complètement décomplexés sont désormais vus comme une forme de divertissement, sur des plateformes où chaque seconde compte et où l’attention est constamment marchandée. Si le contenu est apaisant, divertissant, surtout pas ennuyeux, il sera alors consommé.
Aux élections législatives en France, on a vu une défaite relative de l’extrême droite, qui est arrivée contre toutes attentes en troisième place en terme de siège, mais en première place en nombre de voix. Néanmoins, avec la simplification du débat politique et sa polarisation dans le tribunal des internautes, combien de temps faudra-t-il avant que le national-populisme prenne le pouvoir dans l’Hexagone ?
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