Une montée en puissance de l’extrême droite en Europe
Bien que relative et inégale, la montée en puissance de l’extrême droite s’est confirmée. L’extrême droite occupe désormais une place significative sur l’échiquier politique européen avec plus de 20 % des sièges du Parlement européen.
En effet, tandis que le groupe des Conservateurs et Réformistes européens obtient 76 sièges contre 69 lors de la précédente législature, le groupe Identité et démocratie, quant à lui, en obtient 58 (+9 sièges). Du côté des non-inscrits, on retrouve le parti Fidesz du Premier ministre hongrois Viktor Orbán qui parvient à obtenir 10 sièges avec environ 44% et l’AfD qui, malgré son exclusion du groupe ID, se classe deuxième en Allemagne avec 15 sièges.
Pour rappel, ces derniers furent exclus de leur groupe deux semaines avant les élections, suite à de nombreux scandales et propos intolérables. Maximilian Krah, alors tête de liste, affirmait lors d’un entretien avec le journal italien La Repubblica que tous les SS n’étaient pas des criminels.
Le flou plane toujours quant aux 55 nouveaux élus.
Toujours est-il qu’en enregistrant des scores records, notamment en France, en Autriche, en Italie, et même au Portugal, c’est une nouvelle Europe qui se dessine. Tandis que certains se réjouissent d’un taux de participation en légère hausse, la nouvelle composition de l’hémicycle est vectrice d’instabilité et d’incertitude quant à l’avenir de l’Union avec l’essor de partis ouvertement eurosceptiques et xénophobes aux antipodes des valeurs d’égalité et de solidarité telles que consacrées dans les traités.
Un modus operandi qui évolue à l’heure des réseaux sociaux
Pourtant, force est de constater que l’extrême droite a réussi son entreprise de dédiabolisation et de normalisation jusqu’à faire sauter le cordon sanitaire autrefois de rigueur. Ces partis, auparavant marginalisés, ont désormais gagné en légitimité.
A l’instar des partis de Giorgia Meloni et de Marine Le Pen, les dirigeants arborent une image lissée et policée, où la cravate est de mise. Les accointances douteuses d’autrefois ne sont plus assumées : les skinheads, tatoués et anciens néo-nazi, sont désormais relégués à l’arrière-plan, créant ainsi une façade de respectabilité. Si l’extrême droite n’est pas devenue intrinsèquement plus fréquentable, elle est certainement devenue plus présentable.
Il est désormais monnaie courante d’entendre les journalistes se demander si ces partis peuvent encore être qualifiés d’extrême droite. Ce confusionnisme idéologique entretenu par les médias est un jeu dangereux.
À travers cette stratégie, l’extrême droite ne se contente pas de gagner des sièges : elle redéfinit les contours mêmes du débat public, imposant des thèmes et des idées considérés comme marginaux il y a encore quelques années de cela.
Dans un monde où les mots n’ont plus de sens, où l’histoire n’a plus voix au chapitre, que reste-t-il comme rempart à la démocratie ? Grâce à une présence médiatique accrue et à un usage habile des réseaux sociaux, ces nouveaux visages parviennent savamment à déplacer la fenêtre d’Overton. Les discours autrefois inaudibles et inacceptables peuplent désormais le quotidien de centaines de milliers d’européens et européennes. Avant de gagner la bataille électorale, c’est bel et bien la bataille des idées, du langage et de l’imaginaire que les extrémistes droitiers sont en train de gagner avec une droitisation du débat public.
Par ailleurs, cette confusion est entretenue par une rhétorique sociale empruntée à la gauche. Le vote contestataire, alimenté par un sentiment généralisé de déclassement, aurait-t-il viré à droite ? C’est ce que semble suggérer l’archétype des nouveaux électeurs, parfois plus séduits par les faux-semblants sociaux que par les discours identitaires. Ainsi, certaines couches des classes moyennes et populaires, se sentant délaissées par les élites, trouvent dans ces visions manichéennes une réponse à leurs angoisses.
Les électeurs ne sont plus perçus comme des marginaux, mais comme des gens ordinaires, rendant cette idéologie plus “acceptable”. Pourtant, Hannah Arendt, dans sa thèse sur la banalité du mal, rappelle que la banalisation des discours extrémistes peut conduire à l’acceptation insidieuse de l’inacceptable.
Quelles implications pour le futur de l’Union européenne ?
Chaque mouvement répondant à des attentes nationales spécifiques, les dissensions internes sont notables, notamment en termes de relations extérieures et de stratégie. On pense notamment aux positions divergentes quant à la guerre russe en Ukraine. Ces divergences permettent une adaptation locale qui renforce l’ancrage de l’extrême droite dans différents contextes européens, au risque d’affaiblir sa portée à l’échelon de l’Union européenne.
C’est donc à des extrêmes droites plurielles que l’Europe se confronte.
Attention à ne pas s’y méprendre : le terreau idéologique reste commun. Le but n’étant pas d’en proposer une liste exhaustive, en voici quelques caractéristiques : nationalisme issu d’une crispation identitaire, préférence nationale, discours sécuritaires, euroscepticisme, islamophobie, critique du multilatéralisme... Les topoi et autres fantasmes convoqués sont les mêmes : grand remplacement, invasion des musulmans, choc des civilisations…
Par ailleurs, si une union des extrêmes droites et de la droite traditionnelle, celle du PPE, semble peu probable, il n’en reste pas moins que ces groupes pourraient s’entendre sur des points de convergence tels que l’immigration, l’environnement, ou encore contre des mesures sociales.
L’essor de l’extrême droite en Europe ne peut pas être ignoré. Si les résultats électoraux récents témoignent d’une dynamique préoccupante, c’est surtout la profonde mutation du modus operandi de ces partis qui interpelle. En ayant réussi le pari de dédiabolisation, ces formations exploitent habilement les crises successives, et parviennent à accéder à des fonctions législatives.
Cette situation pose un défi majeur à l’Union européenne. En effet, l’intégration de ces partis, aux antipodes des valeurs de solidarité et de respect des droits fondamentaux, menace de fragmenter l’hémicycle et d’en alimenter l’instabilité.
La réponse à cette montée ne semble alors pas seulement résider dans les urnes, mais aussi dans la re-conquête des cœurs et des esprits.
Ces résultats doivent sonner comme une sonnette d’alarme, celle de la nécessité de réaffirmer les valeurs d’égalité, de justice et de solidarité au cœur du projet européen.
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