Nord Stream 2 : Le Danemark peut-il faire trembler Moscou et Berlin ?

, par Théo Boucart

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Nord Stream 2 : Le Danemark peut-il faire trembler Moscou et Berlin ?
Crédits : European Union, 2012 / Photographer : Vladimir Simicek - Source : EC - Audiovisual Service Un ouvrier devant une carte montrant le réseau de gazoducs parcourant entre autres la Russie et la Norvège, avant d’arriver à la station de stockage.

Le projet de gazoduc sous-marin « Nord Stream II » aurait-il du plomb dans l’aile ? Le Danemark vient en effet de reporter l’autorisation pour construire le segment du gazoduc dans ses eaux territoriales. Quand bien même une remise en cause totale du projet paraisse plus qu’improbable, la décision de Copenhague lève le voile sur les contradictions entre Nord Stream II et la politique énergétique européenne.

Qu’est ce que le projet Nord Stream II ?

Nord Stream II est un projet de gazoduc devant relier Vyborg, en Russie, à Greifswald, dans le Nord-Est de l’Allemagne et qui doit suivre quasiment le même tracé que Nord Stream I, en service depuis 2011. Il relie ainsi le plus gros fournisseur de gaz naturel (la Russie) au plus gros consommateur en volume en Europe (l’Allemagne). Sa construction est motivée par plusieurs facteurs : en premier lieu, les gazoducs existants sont à leur capacité maximale (Nord Stream I bien sûr, mais aussi « Yamal-Europe » qui passe par la Biélorussie et « Fraternité », traversant l’Ukraine), dopés par la consommation croissante de gaz en Europe. Cette énergie est en effet moins polluante que le pétrole pour un certain nombre d’usages, comme le chauffage et l’électricité, et pourrait constituer de ce fait une alternative intéressante pour un continent en pleine transition énergétique.

En outre, l’Europe est de plus en plus dépendante des importations d’énergies fossiles : actuellement, 55% de l’énergie consommée en Europe provient de fournisseurs externes. 70% du gaz consommé par les pays de l’UE vient de l’extérieur, principalement d’une poignée de pays : la Norvège, l’Algérie et surtout la Russie. Les réserves domestiques de gaz (surtout aux Pays-Bas et au Royaume-Uni) s’épuisent et le gaz de schiste n’est pas une solution souhaitable pour pallier la dépendance européenne. Le « gaz naturel liquéfié » (GNL) est quant à lui une solution coûteuse (le transport par voie maritime est bien plus cher que le transport par gazoduc) et surtout utilisée par les pays d’Europe du Sud.

Toutes ces raisons sont invoquées par les défenseurs du projet Nord Stream II : l’Europe est un continent dépendant énergétiquement qui a pris des engagements forts en matière de transition énergétique. Le gaz russe apparaîtrait donc pour certains (surtout du côté de Berlin et de Moscou) comme une énergie miracle.

Un projet hautement controversé

Alors que Nord Stream II semblait bien parti pour être mis en service à la fin 2019, voilà un évènement qui pourrait bien sensiblement retarder l’échéance du projet porté par l’Allemagne et la Russie : le Danemark a décidé de mener une expertise environnementale dans ses eaux territoriales avant de donner son feu vert pour construire le dernier segment de gazoduc. Le petit pays scandinave est en effet le dernier à devoir donner son autorisation pour que le gazoduc traverse ses eaux territoriales, la Russie, la Finlande, la Suède et l’Allemagne l’ayant déjà fait (même si pour ces derniers pays, le gazoduc passerait par leurs zones économiques exclusives, et non pas par leurs eaux territoriales).

Même si le Premier Ministre danois, Lars Lokke Rasmussen, s’est montré plusieurs fois hostile au projet, déclarant vouloir « [faire] son possible pour retarder le projet, même s’il ne peut l’empêcher », une remise en cause totale du projet n’est pas dans les plans de Copenhague, selon l’Agence danoise de l’énergie (DEA). L’Agence a simplement demandé de mesurer l’impact du gazoduc sur la région maritime au Sud de l’île de Bornholm. Le jugement de Copenhague sur le tracé de Nord Stream II dépendra des résultats de cette évaluation et pourrait certainement pousser le pays à demander à Gazprom de proposer une voie alternative qui ne passerait pas par les eaux territoriales danoises, retardant encore plus la mise en service de Nord Stream II, dont la construction a pourtant déjà commencé.

La tension suscitée par la décision du Danemark n’est pas tout à fait anodine : Nord Stream II est en effet un projet très controversé. Les pays d’Europe centrale et orientale, situés entre l’Allemagne et la Russie (la Pologne, les pays baltes et l’Ukraine) sont opposés. Tandis que la Pologne, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie craignent que Nord Stream II ne renforce encore la dépendance européenne au gaz russe, l’Ukraine argue que le détournement de son territoire du transit gazier serait un véritable manque à gagner (les taxes prélevées par Kiev sur le transport du gaz sur son territoire vers l’Union européenne représentent plus de 2% de son PIB).

Nord Stream II, un gazoduc contraire à politique énergétique européenne ?

Et si les peurs de ces pays étaient justifiées ? En effet, un certain nombre d’aspects de Nord Stream II vont à l’encontre de l’établissement d’une politique européenne de l’énergie basée sur la solidarité entre ces Etats membres et avec ses voisins immédiats, en particulier en Europe orientale et dans le Caucase. L’un des piliers de la politique énergétique de l’UE est bel et bien la diversification des sources d’approvisionnement et des pays de transit au sein de l’UE même. Avec le gazoduc Nord Stream II, la Russie exporterait encore plus vers l’UE et l’Allemagne pourrait acquérir une position largement dominante comme point d’entrée du gaz naturel (30% du gaz arriverait par le pays, contre 15% aujourd’hui). La Pologne, les pays baltes, mais aussi la Slovaquie et l’Ukraine pourraient alors perdre des revenus liés au transit gazier. Pourtant, en misant trop sur le gaz, l’Allemagne et les autres pays européens pourraient retarder la transition énergétique basée sur le développement des énergies propres et renouvelables, un objectif fondamental de la politique énergétique européenne.

L’un des enjeux est également législatif : les règles européennes pourraient-elles s’appliquer au gazoduc Nord Stream II, notamment les règles de libéralisation du marché gazier (telles qu’énoncées dans le troisième paquet énergie : la séparation patrimoniale entre les activités de fournisseur et de gestionnaire des réseaux d’approvisionnement, la transparence sur les prix et le droit pour tous les pays européens d’accéder au réseau, le tout sous la surveillance de la Commission européenne) ? L’Allemagne a longtemps voté contre, mais les 28 pays de l’UE ont trouvé un accord politique en février dernier pour réviser la directive sur le transport du gaz, ce qui obligerait Gazprom à respecter (entre autres) la règle de la séparation patrimoniale. Le vote de la directive pourrait donc davantage retarder l’échéance de Nord Stream II.

Finalement, la décision du Danemark à repousser son autorisation n’est que le dernier iceberg médiatique de « l’imbroglio Nord Stream II », les prochaines semaines seront donc certainement décisives pour ce projet plus que controversé.

Vos commentaires
  • Le 12 avril 2019 à 01:44, par Irena En réponse à : Nord Stream 2 : Le Danemark peut-il faire trembler Moscou et Berlin ?

    Pour le NS2 les bonnes questions sont : (1) -combien de jours l’économie de Berlin peut fonctionner sans gas Russe (rep : 1-2 semaines pas plus) ; et (2) combien de ânées l’économie de Russie peut fonctionner sans exporte de gas vers Europe (rep : 1-2 ânées minimum).

    C’est semple comparaison qui dons un image net si NS2 vas être construit et qui il y a des intérêts plus, Rien personnelle.

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