Ce qui m’interpelle lors de chaque victoire de nationalistes dans un Etat d’Europe, c’est la promptitude de tous les nationalistes des autres Etats à s’emparer du sujet et à applaudir des deux mains. Ils défendent leurs confrères européens comme s’ils étaient du même parti. Les dernières élections italiennes ont encore été l’occasion de sorties de personnalités du RN ou de Reconquête, qui, pour ces derniers, se félicitaient du succès de “l’alliance des droites”, qu’ils pouvaient reproduire en France. Comme si Italiens et Français, finalement, avaient les mêmes aspirations et répondaient aux mêmes mécanismes politiques. Mêmes causes, mêmes résultats. Quel aveu du fait de partager un destin commun avec nos amis européens non français !
Leur combat culturel semble déjà perdu
Le Brexit leur a donné le coup fatal en montrant que la désunion n’apportait que complexité, conflits, difficultés économiques, pénuries et au final, aucune prospérité ni même d’amélioration de la démocratie. Le Brexit a montré aux Européens continentaux que l’Union Européenne (UE) est peut-être dysfonctionnelle, mais qu’être hors de l’UE est bien pire.
En France plus personne ne porte le Frexit dans les partis susceptibles d’avoir des élus au niveau national. En Italie, Meloni modère ses positions sur l’UE. Tous ces partis nationalistes qui se voient au pouvoir ont tous laissé tombé l’idée d’une sortie de l’UE et tous parlent de maintenir une forte coopération européenne entre pays. Bien qu’intergouvernementale et non fédérale, cela est un autre aveu du fait qu’aucun parti sérieux ne puisse plus proposer de sortir de l’Union européenne au risque de ne jamais gagner une élection. La situation est d’autant plus avérée au cœur de l’Europe, parmi les pays fondateurs.
Partout où le populisme monte, généralement dans sa version identitaire, c’est davantage le rejet des élites, de la culture mondialiste uniformisée - comme peut notamment l’incarner le progressisme des grandes villes - qui sont rejetés, plus que l’unité européenne. En témoignent les sondages effectués auprès de la population où, même si une minorité importante rejette l’UE, la majorité est indécise ou la soutient. Ce qui n’empêche pas la critique, comme le font les fédéralistes. Même lorsqu’on évoque le fédéralisme, un Français sur deux soutiendrait une Europe fédérale (sondage Ifop du 26 mars 2022).
Par rejet des partis traditionnels et d’un progressisme mondialiste débridé, les partis historiquement nationalistes deviennent le réceptacle naturel de cette contestation. Et comme l’affirme François Leray, président de l’Union des Fédéralistes Européens — France, l’UE n’ayant pas de voix pour répondre dans les médias nationaux, les plus écoutés dans chaque État, elle est dès lors le bouc émissaire idéal.
De la culture, l’élan européen passe à la sphère politique
L’espace politique européen reste embryonnaire mais se développe. Les eurodéputés français, tous partis confondus, sont de plus en plus impliqués et compétents. Fini les Mélenchon, Peillon, Dati, Hortefeux, Marine Le Pen… De moins en moins, les eurodéputés considèrent leur fonction comme une “voie de garage” en attendant d’être élu au niveau national.
Mais l’espace public européen manque encore de relais pour pleinement s’épanouir. Les médias européens se développent : Politico, Contexte, France TV Europe, etc... mais les débats politiques restent majoritairement nationaux au quotidien.
Depuis deux ans, on observe cependant le début d’une bascule significative. Le covid puis l’invasion de l’Ukraine ont catalysé ce qui se préparait déjà : les Européens partagent des valeurs et sont prêts à les défendre ensemble : démocratie, libertés fondamentales, état de droit, environnement et social. L’UE est sur le devant de la scène dans les crises globales qui nous frappent (guerre, énergie, climat, pandémie) et les débats se déplacent à ce niveau. Les nouveaux pays candidats qui nous implorent de pouvoir intégrer la grande famille politique européenne ont redoré son image et remis en avant la fonction première de l’UE : assurer la paix en Europe. On pensait cette notion désuète, elle redevient pleinement d’actualité et si essentielle face aux retours des empires.
La Chine se renferme et se radicalise, Poutine ne retient plus ses velléités de recréer l’URSS et terrasser l’Occident, l’Inde ne veut pas choisir le camp des démocraties, les Etats-Unis ignorent la crise climatique et sont épargnés par la crise énergétique, voire bénéficiaires.
L’UE est un îlot et la plupart des Européens ont pris conscience de l’urgence de se protéger face aux attaques extérieures.
Dans ce contexte, les coalitions souverainistes peuvent être de plus en plus comparées à l’aile des Républicains américains qui rejettent aux Etats-Unis l’idée de pouvoirs trop étendus entre les mains de “Washington”, c’est à dire de l’Etat fédéral éloigné. Car, dans toute fédération, il existe cette tension entre les acteurs politiques poussant pour garder le pouvoir au plus proche des citoyens (communes, régions, Etats) et ceux qui aimeraient un plus grand interventionnisme de l’Etat fédéral dans les politiques, tous niveaux confondus.
Il se dessine donc en Europe, au-delà des clivages droite-gauche traditionnels, deux camps qui s’opposent : d’un côté, les souverainistes qui souhaitent garder des Etats-nations forts et un pouvoir central européen faible, et, de l’autre, ceux qui aimeraient que l’Europe impose davantage de standards sociaux (harmonisations), fiscaux, sociétaux, etc.
Or, pour un fédéraliste, peu importe que l’Europe fédérale soit anticapitaliste, libérale, progressiste, conservatrice, climato-sceptique, écologique, immigrationniste ou protectionniste. Un fédéraliste milite pour un socle de valeurs certes, mais minimal. Il milite surtout pour un système garantissant la représentativité, la démocratie, l’état de droit, l’unité, l’équilibre des pouvoirs entre le fédéral et les fédérés, la paix, les droits fondamentaux. Tout le reste sera du ressort de la politique que les citoyens choisiront à chaque échelon européen, Etat fédéré et collectivités locales.
Et maintenant ?
D’une certaine manière, l’Union Européenne est donc entrée dans une nouvelle ère, celle où ses composantes politiques agissent de plus en plus comme si l’UE était une fédération, mais sans en avoir complètement les institutions ou les mécanismes lui permettant efficacité, démocratie et pérennité.
C’est là que les appels à réformer les traités, et même à se diriger vers une constituante, sont primordiaux. Quand le fédéralisme européen sera incarné, une partie importante de l’électorat s’y dirigera tout naturellement comme nouvelle alternative. Selon le vieil adage populaire qui rend aujourd’hui les nationalistes si attractifs : “ceux-là, on ne les a pas encore essayés”.
Les Allemands ont élu une coalition qui propose l’Europe fédérale, Mario Draghi, qui s’était exprimé pour le fédéralisme européen en tant que Premier ministre italien, reste très populaire en Italie, Emmanuel Macron s’est dit favorable à une réforme des traités. La balle est désormais dans le camp de la Commission Européenne et des chefs d’Etats pour faire des propositions en ce sens
Il est impératif de canaliser et cadrer ce fonctionnement politique émergent ; cette frustration démocratique des citoyens qui les conduit au populisme et à la radicalisation des opinions. Avant la constituante, une première étape accessible est la constitution de listes transnationales pour les élections européennes de 2024 et l’abandon du droit de veto au Conseil européen. Alors, la voie vers une fédéralisation de l’UE, au moins d’un noyau dur, sera facilitée.
Les planètes sont donc plus que jamais alignées. Maintenant il faut pousser et convaincre largement !
1. Le 22 mai 2023 à 02:10, par toni En réponse à : Opinion - Les nationalismes en Europe sont déjà morts
avant de parler attendez une décennie pour dire si le royaume unis a bien fait. Vous vendez la peau de l’ours avant de l’avoir tuer
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