Opinion. Les sanctions européennes sont le meilleur atout de l’UE pour pouvoir négocier la paix en Ukraine

, par Florian Pileyre

Opinion. Les sanctions européennes sont le meilleur atout de l'UE pour pouvoir négocier la paix en Ukraine
©Daniele Franchi (Unsplash)

Donald Trump avait promis de mettre fin à la guerre en Ukraine en 24 heures. Trois mois après son retour dans le Bureau ovale, sa promesse est restée lettre morte alors que les combats et les exactions sur les civils ukrainiens se poursuivent. Ce n’est pas faute d’avoir tendu la main à Vladimir Poutine : Trump a multiplié les signes d’ouverture, quitte à y sacrifier sans scrupule les intérêts du peuple ukrainien et en montrant à la face du monde un rapprochement russo-américain inédit. Des discussions ont eu lieu — d’abord sans les Ukrainiens, puis parfois avec eux — sans déboucher sur le moindre cessez-le-feu tangible. Seuls les Européens demeurent toujours exclus des pourparlers où se joue pourtant leur avenir géopolitique, snobés par les Américains et honnis par les Russes. Pourtant, l’Union européenne dispose d’un levier puissant qui pourrait pousser de gré ou de force à ce que l’Europe ait son siège et sa voix entendue à la table des négociations : les sanctions qu’elle impose à la Russie.

Les représailles politiques et économiques de l’UE contre la guerre de Vladimir Poutine

L’Union européenne dispose d’instruments légaux (article 29 du TUE et l’article 215 du TFUE) pour sanctionner, en accord avec le droit international, tout acteur qui dérogerait aux valeurs fondamentales européennes (droits humains, paix, sécurité internationale). Ces sanctions sont un instrument essentiel de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), décidées à l’unanimité par les États membres pour défendre les intérêts et les valeurs de l’UE sur la scène internationale.

Elles se divisent en deux catégories de mesures restrictives. Premièrement, les sanctions individuelles, visant des personnes physiques ou morales (individus, entreprises, entités) tenues responsables de porter atteinte à la souveraineté de l’Ukraine. Et deuxièmement, des sanctions sectorielles pour sanctionner les secteurs économiques clés de la Russie (secteurs énergétique, financier, de l’armement ou encore les médias de propagande russes) afin d’affaiblir sa capacité à financer la guerre et à développer son arsenal.

Depuis février 2022, les États membres de l’Union européenne ont adopté pas moins de seize séries de sanctions successives à l’encontre de la Russie. Ces mesures viennent s’ajouter à celles déjà mises en place depuis 2014, en réponse à l’annexion de la Crimée et à l’échec de la mise en œuvre des accords de Minsk. Selon la Commission européenne, ces sanctions ont eu un impact économique considérable : l’UE a interdit l’exportation vers la Russie de biens d’une valeur de plus de 48 milliards d’euros, tandis que les importations en provenance de Russie, pour un montant de 91,2 milliards d’euros, ont également été bloquées. En comparaison avec les échanges commerciaux de 2021, cela représente 54 % des exportations et 58 % des importations désormais sous embargo. Au-delà des échanges commerciaux, l’Union a pris pour cible environ 2 400 personnes physiques et morales jugées impliquées, directement ou indirectement, dans la guerre menée par le Kremlin. Parmi elles figurent le président Vladimir Poutine, des oligarques, des institutions financières, ainsi que des figures de la propagande russe. Les grandes fortunes russes issues de la corruption, qui avaient pris l’habitude de transférer et de dépenser leur richesse en Europe, sont également visées. L’objectif est clair : ne pas être les complices passifs de ceux qui alimentent le conflit. À ce titre, ce dispositif de sanctions permet également le gel de quelque 210 milliards d’euros d’avoirs russes au sein de l’Union.

Preuve de leur efficacité, Poutine fera tout pour affaiblir les sanctions européennes

Conscient que les sanctions appauvrissent dangereusement la Russie, Vladimir Poutine cherche à les faire lever par tous les moyens. De l’extérieur, il en fait une condition aux Américains pour un cessez-le-feu. De l’intérieur, il s’appuie sur son cheval de troie parmi les 27 Etats membres : Viktor Orban.

Le Premier ministre hongrois négocie, troque, bloque. Les sanctions individuelles et sectorielles doivent être renouvelées tous les six mois sur décision à l’unanimité des Etats membres. Vladimir Poutine en est bien conscient et cherche à utiliser la recherche de petits gains nationaux court-termistes et le populisme de certains dirigeants européens comme Viktor Orban mais aussi le slovaque Robert Fico pour faire échouer leur renouvellement ou au moins en affaiblir la portée.

Viktor Orban a déjà obtenu la sortie de plusieurs oligarques russes de la liste noire européenne lors du dernier renouvellement en mars des 2 400 personnes et entités sanctionnées pour leur implication dans la guerre d’agression russe de l’Ukraine. Il a aussi marchandé en février 2024 son feu vert pour l’octroi d’aide financière à l’Ukraine contre le dégel des fonds européens destinés à la Hongrie bloqués en raison des atteintes à l’Etat de droit répétées commises par Budapest. Ce chantage menace à chaque instant l’unité européenne et l’efficacité des sanctions. Le risque est désormais que les États membres n’aient plus de quoi négocier avec Viktor Orban ou que pire, il entende mettre son veto au renouvellement des sanctions quoiqu’il en coûte.

Renforcer les sanctions et garantir l’unité européenne pour négocier une paix durable en Ukraine

Il faut bien admettre que, si les sanctions européennes ont un impact réel sur la Russie, elles comportent de nombreuses failles dans leur mise en œuvre et restent limitées à bien des égards. La Russie les contourne avec l’aide de pays tiers comme la Turquie, l’Azerbaïdjan ou le Kazakhstan. Le cas du pétrole russe en est un exemple symptomatique. Pourtant théoriquement banni du marché européen, il continue d’y affluer en toute discrétion. Par manque de contrôles rigoureux, il transite via des pays tiers comme la Turquie ou est simplement transbordé en mer pour masquer son origine. L’Europe peut et doit faire mieux.

Et surtout, le gaz russe continue de couler vers l’Europe. Or, c’est le gaz — bien plus que le pétrole — qui alimente l’économie de guerre du Kremlin. Le Kremlin a sciemment organisé la dépendance au gaz russe de nombre de pays européens dont en premier lieu l’Allemagne, illustrée par les gazoducs Nord Stream 1 et 2 construits entre la Russie et l’Allemagne par l’entreprise russe Gazprom. Une dépense stratégique et coûteuse des Européens qui permet encore aujourd’hui à la Russie de financer la mort des soldats et civils ukrainiens sur le front. La Commission européenne prévoit d’y mettre fin d’ici 2027. C’est bien trop tard.

Car d’ici là, Vladimir Poutine aura le temps nécessaire pour faire vaciller l’unité des 27 Etats membres sur la poursuite des sanctions européennes. Viktor Orban devrait être au pouvoir au moins jusqu’aux prochaines élections législatives en Hongrie qui se tiendront en 2026. Sa rhétorique europhobe et imbibée de la propagande russe pourrait être limitée si les 27 Etats membres décident d’activer l’article 7 du Traité sur l’Union européenne qui donne à l’UE la possibilité de sanctionner un État membre qui ne respecterait pas les valeurs fondamentales de l’Union, en le privant de son droit de vote au Conseil. C’est une mesure extrême, mais justifiée. Orbán abuse de son droit de veto à des fins purement nationales, en échange de concessions sans rapport avec les sujets en jeu. Ce chantage met en péril toute l’action extérieure de l’Union.

Puisque la Hongrie bloque systématiquement les décisions de l’UE en matière d’aide à l’Ukraine, de sanctions contre la Russie ou d’élargissement, elle pourrait être accusée par les États membres de saper l’action extérieure commune. De plus, s’il est avéré que la Hongrie coopère étroitement avec la Russie ou sert de cheval de Troie, cela pourrait être interprété comme une déloyauté manifeste. Enfin, la Hongrie pourrait être accusée d’abuser de ses droits institutionnels puisqu’elle utiliserait son droit de veto pour exiger des concessions à des fins étrangères aux intérêts communs (ex : la libéralisation de fonds européens gelés en échange d’un accord sur la politique étrangère de l’UE, deux sujets complètement différents). Ce chantage politique serait ainsi vu comme de nouveau incompatible avec les valeurs de l’Union. L’activation de l’article 7 serait ainsi justifiée par le non-respect du principe de solidarité énuméré à l’article 2 du TUE sur les valeurs de l’Union et à l’article 24 du TUE sur la solidarité mutuelle des Etats membres dans la conduite des objectifs de l’action extérieure de l’UE.

Ni Trump ni Poutine ne veulent voir l’Europe peser dans le jeu diplomatique. Mais l’Europe peut imposer sa voix si elle joue ses cartes avec courage et cohérence. Les sanctions européennes contre les oligarques et l’économie de guerre russe sont son principal levier. Pour qu’il reste crédible, ce levier doit être renforcé, mieux contrôlé, et défendu coûte que coûte. Les Etats membres ont les cartes en main, car eux seuls, et non Donald Trump ou Vladimir Poutine, peuvent décider de maintenir ou de lever les sanctions.

Cet article d’opinion fait écho au communiqué publié le 5 mai par les Jeunes Européens France , Paris et Sciences Po. Vous pouvez le retrouver sur Instagram et LinkedIn.

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