Pandora Papers : Une fuite financière qui éclabousse l’Europe et ses représentants

, par Aliénor Thouvenot

Pandora Papers : Une fuite financière qui éclabousse l'Europe et ses représentants
(crédits : CCI News)

Les révélations des Pandora Paper en octobre dernier, mettent en cause de nombreuses personnalités politiques européennes. Le 21 octobre, le Parlement européen a adopté une résolution qui exhorte les Etats membres à mener des enquêtes approfondies sur les malversations impliquant leurs juridictions. Cette énième affaire soulève une question délicate : que peut faire l’UE pour lutter contre l’évasion fiscale ? Décryptage.

Des dirigeants européens impliqués

Les Pandora Papers dévoilent des activités douteuses, voire totalement illicites, des personnalités et entreprises les plus puissantes au monde. Parmi les personnes épinglées figurent des dirigeants européens en exercice, comme le président chypriote Nikos Anastasiades, le ministre néerlandais des Finances Wopke Hoekstra, mais aussi d’anciens responsables politiques comme Dominique Strauss-Kahn, ancien directeur du FMI et ancien ministre français de l’Economie et des Finances. Certaines de ces figures politiques impliquées, à l’instar du Premier ministre tchèque Andrej Babis et de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, s’étaient pourtant engagées à lutter contre l’évasion fiscale. Les députés européens condamnent avec fermeté les anciens et actuels représentants de l’UE, notamment l’homme politique maltais John Dalli qui possédait une entreprise offshore dans les îles Vierges britanniques alors qu’il était commissaire européen.

Une affaire qui met en lumière une lutte inefficace

Les révélations de l’ICIJ remettent en question la crédibilité de l’UE à lutter contre les paradis fiscaux, ces territoires où la fiscalité est très basse, voire inexistante. Ce régime attractif encourage l’évasion fiscale et la création de sociétés offshore facilitées par le secret bancaire. Ce procédé permet aux particuliers et aux entreprises de contourner la fiscalité de leur pays d’origine.

Un manque d’harmonisation au niveau européen

La fiscalité permet aux États d’améliorer leur compétitivité et leur attractivité dans une économie mondialisée. Elle relève de la compétence exclusive des Etats membres. Dès lors, à partir du moment où il respecte le droit de l’UE, chaque gouvernement peut choisir librement le système d’imposition qu’il juge le plus approprié. Or depuis quelques années un paradoxe émerge au sein du marché unique européen. En effet, la libre concurrence entre les États membres en matière de fiscalité fait naître des comportements anticoncurrentiels ainsi que des distorsions de la concurrence. Bien que les débats portant autour de la nécessité d’une convergence fiscale européenne se multiplient, l’Europe fiscale peine à émerger.

Des répercussions sur le plan économique…

Au niveau économique, l’évasion fiscale perturbe le fonctionnement de l’économie des Etats. Elle participe à l’accroissement de la concurrence fiscale entre les Etats membres, ces derniers ayant du mal à coordonner l’action des autorités fiscales. De plus, le fait d’éviter l’impôt en utilisant les failles du système fiscal d’un État entraîne une baisse des recettes pour le trésor public. Par conséquent, les investissements dans les infrastructures, la protection sociale ou encore les services publics diminuent sensiblement. Par ailleurs, en pratiquant la politique d’appauvrissement du voisin (beggar-thy-neighbour), les paradis fiscaux permettent aux multinationales de se livrer à l’évasion fiscale. Ils déplacent la charge fiscale mondiale vers les employés (un groupe plus pauvre) sans stimuler l’investissement dans l’économie réelle, Par conséquent, les pays en développement ne parviennent pas à sortir de leur dépendance et de leurs difficultés économiques car les profits obtenus dans ces pays sont exportés.

… et social

L’évasion fiscale favorise l’accroissement des inégalités socio-économiques, au profit des firmes et banques multinationales. En ce sens, elle est perçue comme une injustice par les contribuables d’une part et par les entreprises d’autre part. Effectivement, elle porte atteinte à la solidarité nationale dans la mesure où les ménages qui la pratiquent (généralement les plus riches) réduisent leur part dans le financement de services et de biens collectifs. Quant aux entreprises, elles souffrent généralement d’une distorsion de concurrence et d’un déficit de compétitivité par rapport aux firmes qui pratiquent l’évasion fiscale. Enfin, à mesure que les scandales financiers éclatent, la confiance des citoyens envers les institutions s’érode et la défiance des contribuables à l’encontre des personnalités publiques progresse. Les personnes épinglées dans les Pandora Papers, en s’adonnant à l’évasion fiscale, rompent le “contrat social” qui les lie aux autres citoyens et s’affranchissent des lois en vigueur. Selon Rousseau, une organisation sociale « juste » repose sur un pacte garantissant l’égalité et la liberté entre tous les citoyens.

Des mesures plus ambitieuses mériteraient d’être adoptées en matière de fiscalité

La complexification croissante de la finance internationale et l’essor de l’économie numérique ont contribué grandement à la hausse des montants de l’évasion fiscale depuis les années 1990. Face à la multiplication des fuites financières ces dernières années - Offshore Leaks (2013), LuxLeaks (2014), SwissLeaks (2015), Panama Papers (2016), Paradise Papers (2017) - les pouvoirs publics sont amenés à mener une politique plus ferme en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Les Etats perdent près de 430 milliards de dollars chaque année, dont 245 milliards sont dus à l’évasion fiscale des très grandes entreprises et environ 185 milliards, à la fraude fiscale d’individus. Dans ce contexte, la lutte contre l’évasion fiscale est une priorité des États et des organisations internationales.

Un nombre croissant d’initiatives

Cela explique le nombre croissant d’initiatives visant à renforcer la coopération entre les administrations fiscales au niveau européen et international. Ces initiatives s’articulent bien souvent autour de trois axes : la transparence financière, l’harmonisation fiscale et la régulation de la finance offshore à travers l’impôt minimum mondial. Des avancées majeures ont vu le jour depuis les années 2000, comme la remise en cause du secret bancaire. En 2009, les pays du G20 adoptent un principe de sanctions à l’égard des États refusant de coopérer. Suite à cette décision, les Etats européens ont rénové leur politique de lutte contre l’évasion fiscale. D’abord avec l’adoption d’une norme commune de déclaration automatique en 2014, puis en acceptant l’échange automatique d’informations entre les administrations fiscales sur leurs clients européens en 2018. Le G20 s’investit également dans la lutte contre l’optimisation et la fraude fiscale en soutenant en juillet 2021 la réforme de la fiscalité des multinationales portée par l’OCDE. Néanmoins des interrogations restent en suspens, principalement sur la fiscalité des grandes entreprises Il est à noter qu’à la question de l’évasion fiscale s’ajoute celle de la double imposition. Celle-ci s’avère problématique dans la mesure où elle touche essentiellement les entreprises multinationales : comme elles sont présentes dans plusieurs pays, leurs profits sont susceptibles d’être taxés plusieurs fois.

… mais insuffisantes pour restaurer la confiance

Si des actions sont engagées au niveau mondial pour mettre un terme à l’évasion fiscale, les pays européens doivent poursuivre leurs efforts afin de réduire les inégalités socio-économiques et de restaurer la confiance des citoyens. Bien que les ministres de l’Economie et des Finances de l’UE aient dressé une liste des juridictions fiscales non coopératives en 2016, l’UE ne parvient pas à endiguer le phénomène d’évasion fiscale. En effet, si certains pays comme le Panama, les Paléos ou les îles Caïmans figurent sur la liste noire des paradis fiscaux, d’autres territoires - à savoir le Qatar, Singapour ou la Turquie - y échappent pour des raisons politiques ou diplomatiques. Les listes noires sont donc des instruments inefficaces face à l’ampleur du problème. De fait, la crédibilité de l’UE sur la scène mondiale est ici en jeu.

De nouveaux outils

Afin de pallier les difficultés soulevées par l’évasion fiscale, la Commission européenne souhaite mettre en place une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Le projet de directive, en discussion depuis 2011, vise un triple objectif, détaillé dans un rapport d’information de l’Assemblée nationale : renforcer le marché commun par une meilleure intégration des économies européennes, simplifier les démarches administratives pour les entreprises (réduction des coûts de mise en conformité, d’implantation de filiales) et aider les Etats membres à lutter contre la planification fiscale agressive. Par ailleurs, l’entrée en fonction du Paquet européen (EPPO) en juin 2021 est saluée par les commentateurs et experts. Ce nouvel organe indépendant de l’UE, installé au Luxembourg et regroupant 22 pays, est habilité à diriger des enquêtes transnationales et à engager des poursuites dans les États membres. A la différence de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), d’Europol et d’Eurojust, le Parquet européen peut renvoyer en jugement les auteurs d’infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE.

Les révélations des journalistes de l’ICIJ mettent en lumière la nécessité pour l’UE de rénover sa politique fiscale afin d’en finir avec l’évasion fiscale. Dès lors, instaurer une fiscalité équitable au sein de l’UE demeure une priorité économique et politique, surtout à une période où les inégalités socio-économiques se sont exacerbées sous l’effet de la crise sanitaire.

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