Le Taurillon : Dans le cadre du traité de démocratisation de gouvernance de la zone euro, Benoît Hamon propose une assemblée démocratique représentative qui serait l’émanation des Parlements nationaux et du Parlement européen. Qu’en pensez-vous ?
Pascal Durand : Les pro-européens ont conscience des insuffisances de la zone euro, en particulier avec l’absence de contrôle démocratique et le poids important du Conseil européen. Sans vouloir être trop critique à l’égard de la Commission, elle n’a pas démontré jusqu’à ce jour une indépendance extraordinaire à l’égard du Conseil européen. Si les eurosceptiques veulent sortir de l’Union européenne, nous préférons appeler à une réforme.
L’une des grandes difficultés pour l’Europe est d’être perçue comme un espace démocratique par les citoyens. Pour permettre un contrôle démocratique de la zone euro, il faut remettre les parlements nationaux dans la gouvernance puisque ce sont eux qui votent les budgets. Les nationalistes devraient soutenir cette mesure, bien que réintroduire des contingences nationales serait plus difficile à faire accepter aux fédéralistes, et c’est pourquoi 20% des sièges du parlement de la zone euro seront réservés à des eurodéputés. Il aurait également été possible de proposer un système avec une double chambre, comme en Allemagne.
Le mérite de Benoît Hamon est d’annoncer ce que la France portera au niveau européen même si des réformes nécessitent des discussions avec les autres États membres. Yannick Jadot et moi soutenons cette démarche qui consiste à montrer que la France prend des initiatives pour la démocratisation de la zone euro. Seuls Benoît Hamon et Emmanuel Macron, parmi les candidats, s’intéressent à l’Union européenne de manière positive et objective.
Le Taurillon : Comment prévoyez-vous de négocier les propositions de Benoît Hamon à Bruxelles ?
Pascal Durand : Il n’est pas possible de savoir quels États soutiendraient ce nouveau fonctionnement de la zone euro, puisque cela dépendra des négociations.
L’enjeu principal est de faire sauter le verrou de l’unanimité. Les États membres peuvent avoir des majorités sur la convergence sociale et fiscale ou sur la transition énergétique mais le veto bloque toute avancée. Ce fonctionnement n’est pas démocratique.
Benoît Hamon propose d’avancer pragmatiquement avec ceux qui veulent avancer. Se pose ainsi la question de l’Europe à deux vitesses, qui existe déjà de fait avec des accords, des coopérations renforcées et des dérogations. Cependant institutionnaliser une Europe à deux vitesses serait très dangereux puisque le terme même sous-entend que certains États vont de l’avant alors que d’autres restent derrière.
Il est possible d’imaginer une Europe à plusieurs cercles sur des politiques concrètes. Les solutions ne sont pas dans le livre blanc du Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, qui n’identifie pas les problèmes. Il faut se demander pourquoi les citoyens ne soutiennent plus la construction européenne, en particulier chez les jeunes, alors que la génération des 50 – 60 ans partage cet idéal européen. Il faut se demander pourquoi les Grecs, les Espagnols, les Portugais, les Italiens et, pour d’autres raisons, les Suédois, ne veulent plus voir l’Europe comme une terre de conquêtes démocratiques. En continuant avec les politiques menées, comme celle du CETA et du TAFTA (que Benoît Hamon refusera de ratifier), on ne fera qu’aggraver la situation actuelle.
Le Taurillon : La majorité au Parlement européen appartient au Parti populaire européen (PPE), qui rassemble des partis de droite et de centre-droite. N’y aurait-il pas une schizophrénie de la part des citoyens de vouloir une Europe plus sociale et de voter pour des partis libéraux ?
Pascal Durand : Quand vous n’expliquez pas ce que vous faites aux citoyens, pour qu’ils puissent décider en toute connaissance de cause, il y a une réaction de repli. Quand vous ne créez pas d’espérance pour le futur, les citoyens se tétanisent face à un monde qui change. Le libre-échange est majoritaire au sein de la droite et d’une partie de la gauche mais il ne l’est pas dans la population. Il ne faut pas oublier qu’aux dernières élections européennes de 2014, le taux d’abstention a été de 58%. Or ceux qui se sont déplacés sont les plus diplômés et donc ceux qui ont le moins peur de la mondialisation. Les autres la redoutent : ils voient que l’industrie se développe en Chine et non en Europe, qu’ici les usines ferment et que le chômage augmente.
Les libéraux vous disent qu’il y aura une nouvelle dynamique, de la croissance, de nouveaux emplois, de nouveaux marchés, mais ça ne marche pas. Je comprends que cette Europe fasse peur parce que les gens ont besoin d’identifier un adversaire et les discours qui accusent l’Union européenne ont du succès. Mais ce n’est pas comme ça que nous ferons face aux défis de demain.
Le Taurillon : Benoît Hamon propose la mutualisation des dettes des États au-delà de 60% du PIB. Cela est-il d’actualité ?
Pascal Durand : Ces questions n’ont pas été travaillées avec EELV. C’est pour moi une excellence chose puisque nous devons arriver à une Europe plus fédérale. Avoir un trésor européen permettrait d’avoir une dette européenne, un budget européen, des obligations européennes donc de dissocier les projets économiques européens de la logique des frontières nationales.
La proposition de Benoît Hamon est essentielle pour redonner envie d’Europe : il est temps que les Ministres des Finances comprennent qu’il ne peut y avoir qu’une dette dans la zone euro : il faut arriver à mettre en place des mécanismes européens pour défendre l’intérêt général européen.
Le Taurillon : Vous n’avez pas peur que certains citoyens soient d’autant plus enthousiastes à l’idée de mutualiser leurs dettes avec l’Allemagne qu’ils seraient réticents à le faire avec la Grèce ou l’Espagne ?
Pascal Durand : Dans la lignée de ce que j’ai répondu précédemment, ces critiques me rappellent celles au sujet des travailleurs détachés. En France, au XIXème siècle, il y avait un livret d’ouvrier qui permettait de limiter le déplacement des travailleurs sur le territoire. De même, il est scandaleux d’entendre le Président de l’Eurogroupe Jeroen Djisselboem estimer que les Pays-Bas seraient les bons gestionnaires pendant que les autres ne feraient que dépenser ce qu’on leur donne : il n’y a pas la dette du Sud et la bonne gestion du Nord. C’est comme si le Ministre des Finances français accusait les lillois d’être financés par les niçois. L’industrie lilloise finançait Nice alors qu’aujourd’hui le tourisme niçois bénéfice à Lille. C’est la solidarité sur le territoire national qui compte car chaque territoire apporte quelque chose au pays.
Cette logique est applicable à la Grèce et à l’Allemagne, à ceux qui accueillent des réfugiés et aux autres. Il faut s’aider en fonction de la période : c’est le principe d’une communauté d’intérêts et de destins. Le discours selon lequel on ne serait ensemble que quand tout va bien et qu’on laisse tout tomber au moindre problème m’inquiète : c’est l’antithèse des valeurs européennes.
La France a un rôle central à jouer en disant qu’il n’y aura pas d’Europe sans solidarité. Une puissance se mesure à l’aune de la capacité à s’entraider. Si nous ne donnons pas de perspectives aux jeunes, si nous n’aidons pas ceux qui souffrent, alors nous ne méritons pas l’Europe : l’Europe doit permettre aux habitants de vivre mieux.
Le Taurillon : Benoît Hamon propose un plan d’investissement de 1 000 milliards d’euros pour la transition écologique et économique. Comment compte-t-il le financer ?
Pascal Durand : La logique est la même que celle du plan Juncker, qui vise à mobiliser 315 milliards d’euros d’ici 2017. Il faut orienter les financements actuels vers la transition énergétique grâce à des investissements ciblés. Ces 1 000 milliards d’euros d’argent public ne tomberont pas du ciel mais reposent sur le principe d’orientation de l’investissement et de l’effet de levier. Les réorientations concernent notamment les 400 milliards d’euros par an alloués aux énergies fossiles. Cette proposition comporte également un certain nombre de mécanismes, comme l’émission d’obligations communes au niveau européen dont les montants seraient de l’ordre de 200 milliards d’euros par an.
Le Taurillon : Lorsque Yannick Jadot était candidat à l’élection présidentielle, il proposait de mettre en place une liste transnationale à l’occasion des élections européennes. Benoît Hamon soutient-il cette proposition ?
Pascal Durand : Yannick Jadot avançait cette idée défendue par le Groupe des Verts au Parlement européen. Néanmoins, toute proposition dans un programme présidentiel est mesurée en fonction des capacités du pays à tenir ses engagements et Benoît Hamon a adopté une position pragmatique en ne l’incluant pas dans son programme actuel. Il n’est pas pertinent de porter ce projet de listes transnationales alors que l’élection concerne la présidentielle en France et que la mesure ne fait pas la majorité dans son parti. Je reste persuadé que les listes transnationales seront nécessaires pour dépasser l’idée que les députés européens représentent un pays.
Le Taurillon : Pourquoi Benoît Hamon est-il un bon candidat pour l’Union européenne ?
Pascal Durand : Benoît Hamon est celui qui veut relancer le projet européen sans se placer dans la continuité de ce qui échoue en ce moment. Il est le candidat qui a le plus conscience de cette nécessité de changement pour l’Europe. Il a compris que sauver l’Union européenne, c’est aussi la réformer.
Propos recueillis par : Manon Virot et Alexandre Marin
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