Pierre Larrouturou : « Je ne crois plus aux négociations à 145 États »

, par Lucas Nitzsche

Pierre Larrouturou : « Je ne crois plus aux négociations à 145 États »
Pierre Larrouturou (Source : Wikipedia Commons)

INTERVIEW. Eurodéputé, rapporteur général du budget européen, fondateur du parti Nouvelle donne et candidat à la Primaire populaire… Les casquettes de Pierre Larrouturou sont nombreuses. Interviewé par le Taurillon, il nous livre son avis sur les réformes sociales, climatiques et démocratiques à mener en Europe.

Le Taurillon : Vous avez toujours été engagé à gauche, d’abord au Parti socialiste, puis en créant le mouvement politique Nouvelle donne, et maintenant en candidatant à la Primaire populaire. Pour vous, que signifie la Gauche ?

Pierre Larrouturou : Grande question. Il y a des gens pour lesquels ce mot est magnifique – Jaurès, Badinter, des hommes et des femmes qui se battent aux quatre coins de tous nos continents pour la justice sociale, pour la protection de la planète. Puis il y en a pour qui le mot "Gauche" représente ceux qui ont trahi, qui avaient dit qu’ils mettraient en place la séparation des banques, qu’ils taxeraient la spéculation, et qui n’ont même pas essayé. Je ne sais pas s’il faut mettre le mot Gauche en avant. Ce que je mets personnellement en avant, ce sont nos objectifs, notre boussole : protéger la dignité de tous, lutter contre le chômage, la pauvreté, mais aussi lutter contre le dérèglement climatique.

En tant que rapporteur général pour le budget, que doit faire l’Union européenne selon vous pour lutter contre le dérèglement climatique ?

Je suis député européen depuis deux ans et demi, et je me suis engagé pour trouver plus d’argent pour les hôpitaux, pour le climat, pour l’emploi. Le Parlement m’a confié une grande responsabilité : celle de rapporteur général pour le budget. C’est un travail très fatigant mais extrêmement intéressant, dans le cadre duquel j’ai pu faire voter en novembre 2020 un rapport indiquant comment nous pouvions trouver de l’argent pour gagner la bataille du climat. Cette question est très concrète, car si nous voulons rattraper le temps perdu, il faut isoler toutes les maisons, il faut développer les transports en commun et les énergies renouvelables, il faut aider les agriculteurs à changer de pratiques… Et pour tout cela, il nous faut des dizaines de milliards d’euros.

Nous avons entendu les gilets jaunes, et nous ne devons pas taxer ceux qui gagnent mille ou deux mille euros par mois. J’ai donc fait voter un rapport par 70% des députés avec cinq propositions. La plus importante est une taxe sur la spéculation : nous payons tous, même les plus pauvres, une TVA de 5,5% lors de nos achats car nous devons tous contribuer au budget public. En revanche, sur les marchés financiers, la taxe est à 0,0%. Le Parlement européen demande donc que l’on crée une petite taxe indolore de 0,1% sur les marchés financiers, ce qui rapporterait environ 60 milliards d’euros chaque année, et représenterait environ 10 milliards d’euros pour la France.

J’avais fait une grève de la faim car je trouvais scandaleux que la France, en particulier le lobby bancaire incarné par Emmanuel Macron et Bruno Le Maire, bloque les négociations. Si nous arrivons à entrer à l’Élysée, dès le mois de mai, nous organiserons un sommet européen à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, afin de débloquer tous les sujets jusque-là bloqués par la France : une taxe sur la spéculation, une Europe plus démocratique, une sortie rapide des énergies fossiles, une Europe plus sociale.

Considérez-vous que la Gauche et l’écologie sont indissociables ?

Oui, car il existe selon moi trois familles politiques : les conservateurs, les libéraux qui font confiance à la main invisible du marché – tellement invisible qu’on n’a jamais vu ses bienfaits, sauf pour les multimilliardaires – et puis ceux qui considèrent qu’il faut miser sur l’intelligence et la fraternité pour définir les règles du jeu, quitte à les faire évoluer de temps en temps. Je suis un héritier de Michel Rocard, avec qui j’ai écrit un livre. Il a porté toute sa vie un combat que l’on avait lancé en 1993 pour la planète et pour la semaine de 4 jours. C’est cela la Gauche : une Gauche qui défend un modèle social et écologique.

Nous souhaitions revenir sur votre grève de la faim l’an dernier, qui avait duré 18 jours, et ce dans l’objectif d’obtenir plus d’argent de la part de l’Union européenne pour les questions de climat et de santé. Une grève de la faim est nécessaire pour être entendu ?

J’ai eu beaucoup de soutiens pour cette grève de la faim. Il y avait par exemple des personnes qui venaient chanter tous les jours devant le Parlement européen, et c’était assez émouvant. À distance, plus de personnalités politiques sont venues me soutenir, parmi lesquelles même des banquiers ! Un banquier belge expliquait qu’à titre personnel, et en tant que membre de l’Académie royale de Belgique, il pensait que l’on pouvait taxer la spéculation. Le même jour, nous avons reçu le soutien d’une personnalité de la Gauche, un syndicaliste très connu en Belgique, et le soutien de Jean-Luc Crucke, ancien ministre des Finances de Charles Michel, qui est pourtant de droite.

Lorsque le rapporteur général du budget, qui a fait voter deux rapports par 70% des députés, doit faire une grève de la faim pour alerter les citoyens sur le poids des lobbies qui bloquent, c’est inquiétant et cela révèle un réel problème démocratique.

La question des lobbies est fondamentale. Je voyais récemment qu’en 1988, la question du dérèglement climatique était déjà à la Une du New York Times. Un rapport scientifique avait été rendu la veille au Sénat et avait impressionné les sénateurs. 33 ans plus tard, nous n’avons quasiment pas bougé, car les lobbies pétroliers – Total, Exxon, et d’autres – ont semé le trouble, de la même manière que les lobbies de la cigarette avaient semé le trouble sur les dangers du tabac. Mais la faute est aussi celle des politiques qui n’agissent pas.

Avec Cyril Dion et Camille Étienne, j’ai poursuivi le gouvernement devant la Cour de Justice de la République pour dénoncer que manifestement, les ministres n’étaient pas à la hauteur des enjeux. Nous ne prétendons pas qu’il est facile de l’être, ni que le problème se règlerait en trois jours, mais nous voyons bien que le Conseil d’État a condamné à plusieurs reprises l’État en expliquant que le gouvernement ne faisait pas le nécessaire. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe en Allemagne avait par ailleurs condamné la loi climat, en expliquant qu’elle n’était pas assez ambitieuse et représentait donc un danger pour les libertés fondamentales. Angela Merkel n’était sûrement pas contente au départ, mais elle l’a accepté et s’est mise au travail, contrairement à la France, où Emmanuel Macron nous explique que tout va bien.

Vous expliquiez que si vous faisiez partie de l’équipe remportant l’élection présidentielle grâce à la Primaire populaire, vous organiseriez dès le mois de mai un sommet européen dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne, qui démarre en janvier 2022. Qu’attendez-vous de cette Présidence ?

On peut toujours espérer l’action du Saint-Esprit mais depuis quatre ans et demi, Emmanuel Macron a tous les leviers, il a fait un très beau discours à la Sorbonne sur les questions européennes, et les actions ne suivent pas. Le ministre autrichien avait écrit une lettre expliquant que si la version française de la taxe, qui ne concerne que 1% des volumes financiers, l’emportait, alors l’Autriche quitterait la salle des négociations. De même, sur la question des énergies fossiles, en juin dernier, onze pays dont l’Allemagne et le Danemark avaient émis la volonté d’arrêter les investissements dans les énergies fossiles à la suite du dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie. Mais là encore, la France n’en faisait pas partie. Angela Merkel avait reçu Emmanuel Macron à Aix-La-Chapelle et lui avait remis le prix Charlemagne, mais il a quasiment insulté tous ceux et celles qui étaient là en expliquant que les Allemands devaient « rompre avec leur fétichisme ». Ce n’est pas comme ça que l’on fait l’Europe. Notre histoire nous montre bien que c’est uniquement par des dynamiques collectives que l’on fait bouger les choses.

Quel est votre avis sur les résultats de la COP 26 ?

Elle est très décevante, je crois que même celui qui la présidait avait les larmes aux yeux. Je pense qu’il faut continuer le dialogue international, mais je crois surtout que nous devons avoir un continent qui montre que nous pouvons agir pour de vrai pour le climat. J’aimerais que, si nous gagnons grâce à la Primaire populaire, nous débloquions les négociations dès l’année prochaine, que nous trouvions l’argent nécessaire et que dans 20 ans des profondes réformes écologiques aient été menées. Les Jeux olympiques de 2024 pourraient par ailleurs être l’occasion de montrer à tous ceux qui viennent les efforts de la France et de l’Europe, que nous créons des emplois partout, que nous faisons des économies d’énergie, que les plus précaires vivent mieux, etc… Je ne crois plus aux négociations à 145 États, où on s’engueule pendant trois nuits pour déplacer une virgule pour finalement enlever les morceaux fondamentaux à la dernière heure. La meilleure façon de rattraper le temps perdu est qu’un continent comme l’Europe fasse les choses en grand et qu’il prouve que l’on peut vivre bien et diviser par deux nos émissions de CO2 en quelques années.

Est-ce que ces réformes écologiques de l’Union européenne peuvent passer par la Conférence sur l’avenir de l’Europe, dont les résultats sont attendus au printemps 2022 ?

En principe oui, mais cela reste très lourd et très flou. J’ai fait une vidéo il y a quelques jours au cœur du Conseil européen, j’avais envie de crier qu’il fallait réformer les institutions. En 2000, le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, disait que l’Europe devenait incompréhensible et insupportable pour les citoyens. Que tout est paralysé car toutes les décisions sont prises à l’unanimité. Or la règle d’unanimité tue la démocratie.

Joschka Fischer proposait d’élaguer les compétences, car l’Europe ne doit pas s’occuper de tout. Nous avons besoin d’être ensemble pour retrouver une souveraineté en matière de diplomatie et de défense, notamment face à la Chine, la Russie et les États-Unis. Face à ces puissances, un pays tout seul ne pèse pas assez. Nous devons instaurer un système plus démocratique, plus souple, qui est un système parlementaire. Tous les cinq ans, les citoyens votent pour le Parlement, et c’est la majorité du Parlement qui devrait pouvoir décider des personnes qui sont à la Commission. Les chefs d’État devraient avoir un rôle beaucoup plus faible, comme le Sénat en France, et ne plus prendre de décisions à l’unanimité. Hélas, depuis la lettre d’Helmut Kohl à François Mitterrand, cela fait 30 ans que les dirigeant allemands nous proposent une Europe plus démocratique, mais les Français bloquent à chaque fois. À chaque fois que je vois un dirigeant allemand à Berlin ou Bruxelles, je commence toujours par « Entschuldigung », "Excusez-nous", car ce sont toujours les Français qui bloquent. J’espère qu’une nouvelle équipe arrivera à l’Élysée en 2022. On ne sait pas ce qui va sortir de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe ni ce que les chefs d’État vont en faire, donc il faut mettre un coup de pied dans la fourmilière.

Cette interview est une retranscription de l’émission de radio « Europe’n’Roll » diffusée sur Radio Fajet.

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