La social-démocratie : un modèle en recul
Victorieuse pendant les années 1990 de « l’Europe Rose » (expression communément utilisée pour désigner les treize sur quinze gouvernements à direction ou participation socialiste au sein de l’Union européenne après 1998), la social-démocratie est depuis plusieurs années mise à mal. Les récentes élections générales italiennes et législatives suédoises, qui ont vu l’arrivée au pouvoir de courants populistes, entérinent le recul des socio-démocrates. Leurs derniers bastions se trouvent au Portugal (89 sièges sur 230), en Espagne (85 sièges sur 350) ou en Suède (101 sur 349), où ils ont néanmoins fortement reculé. Pour Pierre Moscovici cette débâcle est due à deux principaux facteurs.
Premièrement, au pouvoir au début des années 2000, les socio-démocrates ont été confrontés à une crise économique très importante. Ministre des Finances en 2012, Pierre Moscovici témoigne du marasme économique : « La dette publique et les déficits explosaient, les spreads (différence entre le prix le plus faible où il est possible pour un vendeur de vendre et le prix le plus élevé auquel un acheteur est prêt à payer : plus le résultat est proche de zéro, plus les transactions sont faciles) se creusaient, la perspective d’un « Grexit » [sortie de la Grèce de la zone Euro, ndlr] rendaient les marchés fébriles ». Pour contrer la crise, les gouvernements ont dû avoir recourt à des politiques en désaccord avec la tradition sociale-démocrate.
Si certains combats ont pu être mené, notamment celui du mariage pour tous, la social-démocratie est entrée en contradiction avec ses valeurs, la menant à une incohérence doctrinale : la redistribution s’est faite attendre, les inégalités se sont accrues partout en Europe. Elle a également dû faire face en 2015 à une crise d’une toute autre nature : la crise migratoire. A l’échelle mondiale, le nombre de réfugiés est passé de 20,7 millions en 1999 à 53 millions en 2014, alors que le flux de réfugiés à destination de l’Europe a connu une évolution parallèle. Une nouvelle fois, les socio-démocrates ont dû composer entre « les valeurs de solidarité et d’accueil qui fondent l’identité de [leur] famille politique […] et d’autre part, l’inquiétude légitime des Européens face à l’afflux de migrants », à laquelle on peut ajouter le drame de la traversée de la Méditerranée (en 2014, 75% des migrants morts dans le monde ont péri en Méditerranée, soit environ 1500 par an ou 22 000 entre 2000 et 2014). La réaction incomplète et pragmatique devant ce nouvel enjeu n’a pas été suffisante pour les Européens : en temps de crise, la social-démocratie a profondément déçu.
Une recomposition difficile
Pierre Moscovici poursuit en soulignant que la recomposition politique qui a suivi cette période de crises a été largement défavorable aux socio-démocrates. Ils se sont retrouvés pris en étau entre la gauche radicale et la droite : critiqués par la première pour leur pragmatisme et leur manque de réponses sociales aux victimes de la crise, par la seconde pour leur hésitation dans les décisions économiques nécessaires à la sortie de crise économique. Traditionnellement internationalistes, ils se sont vu concurrencer par de nouveaux courants aux aspirations nationales, aujourd’hui en progression : « on le voit en France, avec la France insoumise mais aussi en Belgique avec le Parti des travailleurs belges, au Portugal à la gauche du Premier ministre socialiste Costa, en Espagne avec Podemos, voire en Allemagne avec le mouvement ‘Aufstehen’ ». Enfin, la social-démocratie s’est vue siphonner une partie de son électorat par de nouveaux partis du centre, qui ont su se construire autour d’un pragmatisme réformateur ainsi qu’un profond attachement à l’Union européenne, là où une partie des socio-démocrates était restée trop timide. Nous penserons notamment au mouvement En Marche !. Face à ces discours, les socio-démocrates n’ont pas su construire une réponse lisible et innovante et ont été sanctionnés dans les urnes.
Vers un retour de la social-démocratie ?
Néanmoins, pour Pierre Moscovici, la social-démocratie est affaiblie mais n’a pas disparue. Il affirme que ses idées et valeurs constituent l’avenir de l’Europe. L’affirmation d’un sentiment pro-européen et le partage d’un socle de valeurs seraient la clef de la formation d’une coalition des forces pro-européennes. Pour lui, les élections de 2019 seront les plus importantes depuis celles de 1979. Elles devront mettre fin à la percée nationaliste et illibérale en Europe, autant en Hongrie et en Italie où des mouvances populistes sont au pouvoir, que dans le reste de l’Union, où une partie de la droite se rapproche de plus en plus de régimes antieuropéens. L’abstention ou le vote contre les sanctions envers la Hongrie d’une partie de la droite témoigne de son rapprochement avec les valeurs du Fidesz (parti de Viktor Orban), très anti-européen. Pierre Moscovici, citant le politologue Michael Ignatieff, va jusqu’à qualifier les régimes hongrois et italiens d’ennemis et non plus d’adversaires, car ils « nient les règles communes et veulent confisquer le pouvoir ».
Selon Pierre Moscovici, pour lutter contre les mouvements nationalistes, les formations pro-européennes doivent se distinguer et affirmer les valeurs auxquelles elles croient : les entre-deux ont déjà déçu et ne permettront ni de rassembler, ni de convaincre. Un lourd travail idéologique doit donc être mené. Pierre Moscovici ne résume pas une coalition pro-européenne à un groupe homogène. Il invite les socio-démocrates à se distinguer par exemple du Parti Populaire Européen (PPE), qui « se déchire sur l’accueil des migrants, défend l’ordo-libéralisme ou combat la solidarité dans le domaine économique ». Le sentiment pro-européen peut servir de dénominateur commun entre libéraux et progressistes, mais ne suffit pas à les confondre. Pierre Moscovici ne le précise pas, mais les socio-démocrates doivent aussi lutter contre les usurpations de leur identité, comme au Danemark, ou le parti social-démocrate, soutenu par l’extrême droite, défend une politique anti-immigration. Ils doivent mener un double combat pour défendre leur modèle, à la fois européen et de gauche, menacé de l’extérieur et de l’intérieur : « la social-démocratie doit faire clairement, fermement, passionnément le choix de l’Europe ».
Pour conclure, Pierre Moscovici propose quatre piliers sur lesquels le projet progressiste de gauche devrait s’appuyer :
– « l’intransigeance sur l’État de droit et les valeurs de nos sociétés ouvertes ;
– la promotion de la démocratie, de la transparence, d’une gouvernance partagée de nos sociétés complexes ;
– la lutte contre les inégalités et pour le développement du capital humain ;
– le combat contre le réchauffement climatique : la social-démocratie de demain sera écologiste ou ne sera pas ».
Selon lui, son mouvement n’aura de cesse de créer une alternative autour de ces valeurs, et de les affirmer tout le long de la campagne des prochaines élections européennes.
Le combat est aujourd’hui celui de la lutte contre la montée du populisme et de nationalisme sur le vieux continent. Une fois cet ennemi écarté comment reconstruire le parti social-démocrate, qui ne possède pour l’heure presque aucune accroche à l’échelle du continent ? Les valeurs de cette famille politique ne sont-elles pas déjà défendues par d’autres partis, de gauche ou du centre ? Pierre Moscovici désire-t-il un retour de sa famille politique à l’échelle nationale, ou veut-il seulement se concentrer sur un engagement au niveau européen ? Autant de questions que le commissaire européen n’a pas voulu aborder lors de cette conférence. Néanmoins, il a récemment rencontré le Président Emmanuel Macron et le Premier Ministre Edouard Philippe et fera connaitre dans peu de temps ses intentions pour les Européennes : les élections ne sont plus que dans 233 jours…
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