Piet : « il est compliqué d’avoir des journaux qui publient de la caricature et les dessins clivants »

Interview diffusée dans l’émission « Place de l’Europe », animée par les Jeunes Européens - Strasbourg

, par Gwenn Taburet, Rémi Jabet, Théo Boucart

Piet : « il est compliqué d'avoir des journaux qui publient de la caricature et les dessins clivants »
Autoportrait de Pierre Pauma, alias Piet. Mise à disposition gracieuse par Piet.

ENTRETIEN. En cette journée internationale de la liberté de la presse, Pierre Pauma, alias Piet, a répondu aux questions de Théo Boucart pour l’émission Place de l’Europe, diffusée aujourd’hui sur RCF Alsace. Le dessinateur de presse strasbourgeois y évoque notamment le rôle du dessin dans la défense de la liberté de la presse et les multiples dangers auquel celui-ci est confronté, en Europe et dans le monde.

Théo Boucart : Bonjour Pierre Pauma, salut Piet ! Vos domaines de prédilection s’articulent autour de l’Europe et des relations franco-allemandes, deux thématiques assez peu abordées dans les dessins de presse, sauf lorsqu’elles font la Une de l’actualité, souvent pour des raisons peu reluisantes. Première question très large, comment se porte le dessin de presse actuellement en Europe ?

Piet : Une petite précision pour commencer. Il est vrai que je fais des dessins de presse sur l’Europe et les relations franco-allemandes, mais le gros de mon travail concerne la politique locale à Strasbourg et dans la région. De par la situation de Strasbourg toutefois, je suis amené à travailler sur l’Allemagne et l’Europe.

Je dirais que la situation du dessin de presse est comparable avec ce que nous pouvons constater en Europe occidentale. Il y a d’une part un vieillissement de la population des dessinateurs de presse, nous sommes arrivés à un stade où nous voyons parfois apparaître des conflits de générations : le dessin de presse est un peu vu comme un « truc de vieux » ou de « boomers », un peu ringard aussi bien dans la forme que dans le fond. Cela m’inquiète un peu. J’ai l’impression qu’il y a une certaine difficulté à faire comprendre ce qu’est le dessin de presse.

L’un des grands défis du dessin de presse va être de continuer d’exister comme genre satirique au XXIème siècle, les jeunes continuent d’aimer la satire et je le vois avec les collégiens et lycéens qui participent à mes ateliers sur le dessin de presse, mais ont tendance à se tourner vers d’autres formes, comme les vidéos, les mêmes, les montages photo. J’en suis à un point où je me demande si le dessin de presse va trouver sa place dans tout ça, ou bien s’il va péricliter tout doucement.

TB : Quel est l’impact du dessin de presse sur l’opinion publique ? Le rôle de cette dernière étant importante, est-ce que ce rôle diffère d’un pays à l’autre ?

Piet : Je ne pense pas. Je pense plutôt qu’il a un rôle différent en fonction de la communauté à laquelle le dessinateur de presse s’adresse. Le dessin de presse peut avoir le rôle de galvaniser les troupes si l’on s’adresse à des convaincus, pour le peu que l’on fasse des dessins engagés, pour le meilleur comme pour le pire. On peut faire des dessins de presse en faveur du droit des femmes et des Noirs, tout comme on peut faire des dessins de presse complotistes. France Culture a sorti une série sur l’histoire du rôle de la caricature dans le discours antivaccins depuis des décennies. Ce n’est pas quelque chose qui date d’il y a quatre ou cinq ans avec l’arrivée des théories du complot, mais de plus d’un siècle.

Le dessin de presse peut aussi être là pour déranger si on a envie de parler d’un sujet très sensible en visant un public très large, cela peut être un moyen de jeter un pavé dans la mare. C’est un outil qui reste assez malléable, comme je le dis souvent aux jeunes que je rencontre.

TB : Et ce qu’on en fait peut avoir parfois des conséquences assez dramatiques, comme en janvier 2015 avec l’attentat contre Charlie Hebdo. L’importance du dessin dans la défense de la liberté de la presse a-t-elle évolué depuis, en France et en Europe ?

Piet : Là-dessus, je dois dire que je suis un peu inquiet. Nous avons souvent vu de grandes déclarations de principe sur le dessin de presse et la liberté d’expression. Dans les faits, cela devient compliqué d’avoir des journaux qui publient de la caricature et des dessins clivants. Nous l’avons vu avec le New York Times qui a décidé il y a quelques années de mettre fin à sa rubrique de dessins éditoriaux. Je le vois au quotidien, à travers mes nombreuses interventions dans les collèges et les lycées. Avant les attentats de Charlie Hebdo, on pouvait en parler même si c’était un sujet clivant. Depuis les attentats, ainsi que depuis l’assassinat de Samuel Paty (en octobre 2020, ndlr), il y a de plus en plus de personnels enseignants et du rectorat qui font des réunions avec moi où on me fait comprendre que ce serait bien d’éviter certains sujets. Avant, on me faisait une confiance totale, j’arrivais avec ma présentation et ça se passait très bien. C’est quelque chose qui m’inquiète beaucoup. J’essaye de ne pas céder là-dessus, mais c’est assez difficile.

TB : Dernière question sur la France, l’Allemagne et l’Europe. Durant vos études, vous avez fait un mémoire sur le dessin de presse entre ces deux pays. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur le traitement croisé des sujets européens dans les deux plus grands pays de l’Union européenne ?

Piet : C’est un peu comparable au journalisme, il y a toujours cette tendance à regarder les problématiques européennes avec quelques obsessions nationales. J’ai travaillé sur le traitement de la crise grecque dans les médias français, allemands et européens en général et il y a souvent des prismes nationaux, on a retrouvé cet axe Nord-Sud déjà théorisé sur la politique européenne.

Côté français, on avait tendance à faire le procès de la dette et des créanciers un peu vautours qui essayaient d’appauvrir les peuples, assécher les finances publiques et aller vers de plus en plus de privatisations. C’était un discours présent notamment dans une presse de gauche française qui a cette culture du dessin de presse.

Dans la presse allemande, il y avait un discours contraire, des dessinateurs de presse même classé à gauche d’un point de vue allemand qui étaient peut-être un peu moins tendres avec les Grecs. Il y a donc une forte prédominance des préoccupations nationales du moment. De la même manière, c’est très compliqué de trouver dans la presse généraliste nationale des représentations d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, avec la présidente de la Banque centrale européenne. Souvent, on va plutôt le faire avec des figures politiques nationales et représenter des discussions avec des chefs d’Etat. Comme toujours, il y a cette difficulté de créer une scène politique européenne, ou du mois la médiatiser. De ce point de vue-là, les difficultés que rencontrent les journalistes et les dessinateurs de presse sont les mêmes.

Retrouvez cette interview dans l’émission « Place de l’Europe » diffusée le 8 février sur les ondes de RCF-Alsace. Chaque mois, le pôle médias des Jeunes Européens – Strasbourg intervient dans cette émission pour parler d’un grand enjeu de l’intégration européenne.

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