Les images sont choquantes : d’importants heurts ont éclaté dans les rues de Dublin jeudi 23 novembre. Bagarres, véhicules de police incendiés, vitres de bâtiments brisées… Le commissaire Drew Harris, le responsable de la police irlandaise, a décrit la situation de la capitale irlandaise de ce jeudi comme « une extraordinaire explosion de violence, des scènes que nous n’avions pas vues depuis des décennies ». Ces débordements surprennent d’autant plus qu’ils sont effectivement rarissimes dans cette capitale européenne.
Parnell Street right now pic.twitter.com/vfY6lRfscO
— Adrian Weckler (@adrianweckler) November 23, 2023
Tout a commencé par une attaque, un fait manifestement isolé, un homme agressant vers 13h30 au couteau des passants, dont trois enfants, près d’une école. Le suspect est maîtrisé et hospitalisé. Sur les réseaux sociaux, des rumeurs se répandent rapidement sur l’origine de l’agresseur présumé, l’une d’elle indiquant qu’il s’agit d’un homme naturalisé Irlandais. Quelques heures plus tard, des centaines de manifestants se rassemblent dans le centre de Dublin et la situation dégénère rapidement.
Hausse de l’immigration et crise du logement…
Sur les pancartes, des messages comme « les vies irlandaises comptent » ou « renvoyez-les chez eux ». Ces revendications ne sont pas inédites : 307 manifestations anti-immigration s’étaient produites en Irlande en 2022, et en janvier 2023, le pays en dénombrait déjà 64. Le slogan scandé à chaque fois : « l’Irlande est pleine ». Dans les faits, le nombre de demandes d’asile est en augmentation sur l’île. 120 000 immigrés se sont installés dans le pays en 2022, « du jamais vu depuis quinze ans », précisait The Irish Times, qui expliquait également que « cet afflux se conjugue à une grave crise du logement et à la hausse du coût de la vie ». Ajoutez à cela des témoignages révélant que des migrants auraient violenté des femmes et des enfants, et la cause de tous les maux est alors toute trouvée pour une partie de l’opinion.
Jusqu’ici, l’Irlande semblait à l’abri d’une emprise croissante de l’extrême droite. Du fait, entre autres, de sa situation politique particulière, la scène nationale étant polarisée par les deux partis centristes hérités de la guerre civile irlandaise d’il y a un siècle, le Fine Gael et le Fianna Fáil. « À l’exception du groupe paramilitaire Blueshirts, d’inspiration fasciste, mené par Eoin O’Duffy dans les années 1930, aucun parti politique d’extrême-droite n’avait, jusque-là, été fondé dans ce pays », écrit Marie-Violaine Louvet, maîtresse de Conférences en civilisation irlandaise à l’Université Toulouse Jean Jaurès.
L’extrême droite saisit l’occasion
Mais cette particularité bat de l’aile. Identity Ireland (2017), National Party (2015) et Irish Freedom Party (2018) ont fait leur apparition dans le débat public irlandais ces dernières années. Le dernier est dirigé par Hermann Kelly, un allié de Nigel Farage, précédemment chef du parti du Brexit au Royaume-Uni. Ces groupes politiques sont restés très marginaux lors des élections législatives de 2020. Ils parviennent néanmoins à se faire de plus en plus entendre, n’hésitant pas dès qu’ils le peuvent à se montrer critique, notamment du volet immigration du Project Ireland 2040, projet de budget national proposé par le gouvernement. Les débordements du 23 novembre sont ainsi le fait d’une « faction de hooligans dingues mus par une idéologie d’extrême droite » d’après le commissaire Drew Harris, qui ajoute que « des groupes d’extrême droite ont exacerbé la situation ».
Concernant ces manifestations d’une violence inédite, le calme est revenu dans la soirée et 34 personnes ont été interpellées. Le premier ministre Leo Varadkar s’est montré ferme. « Ces gens affirment défendre les ressortissants irlandais. (...) Ils mettent en danger les plus innocents et vulnérables. Ils font honte à Dublin, honte à l’Irlande, honte à leurs familles et à eux-mêmes. » Pour le moment, l’extrême droite ne représente qu’une faible part des intentions de vote dans le pays, le Sinn Féin étant en tête. Mais cette exception pourrait bien ne pas perdurer un siècle de plus...
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