Prorusses, pro-européens… et la Moldavie dans tout ça ?

, par Alexis Vannier

Prorusses, pro-européens… et la Moldavie dans tout ça ?
Parlement moldave. Source : Pixabay

Les Moldaves, dans un énième round entre prorusses et pro-européens, avaient rendez-vous dans les urnes afin d’élire leur chef d’État et cette année, on prend les mêmes et on recommence : les deux principaux challengers sont les mêmes qu’en 2016. Cette fois-ci, il semblerait que Maia Sandu l’emporte.

À deux semaines d’un scrutin législatif dans la région séparatiste de Transnistrie et alors que les Bosniens et les Brésiliens votent pour élire leurs représentants municipaux, les médias européens ne seront intéressés que par l’orientation diplomatique du vainqueur. Mais les Moldaves, au-delà de Bruxelles ou Moscou, réclament des réformes en profondeur pour endiguer la pauvreté et améliorer la situation économique du pays.

Un président sortant clivant

Igor Dodon a été élu Président de la République de Moldavie en 2016. Issu des rangs du parti des communistes de Moldavie, il participe à sa scission en 2011 après son revers aux municipes dans la capitale Chişinău et rejoint le Parti des socialistes (PSRM) prorusse, et souhaite s’affranchir de l’influence du voisin roumain.

Les deux pays sont très proches, leur histoire ottomane, russe puis soviétique en ont fait des pays frères qui partagent la même langue, avec des drapeaux similaires, des monnaies qui ont le même nom… mais Igor Dodon souhaite affirmer l’identité de son pays et propose en 2012 un nouveau drapeau horizontal avec une tête d’auroch, symbole de la Bessarabie, pour remplacer la bande jaune centrale.

Le programme d’Igor Dodon pour l’élection de 2016 est tourné vers l’Est : il s’engage à dénoncer l’accord d’association signé avec l’Union européenne en 2014 et souhaite diriger son pays vers l’Union eurasiatique (l’UEA regroupe cinq anciennes républiques d’URSS dont la Russie, le Bélarus et l’Arménie). Il promet également de maintenir un contingent de l’armée russe en Transnistrie, s’engageant même vers une fédéralisation accrue pour tenir compte des particularités gagaouzes (au sud du pays) et transnistriennes, alors même que la pandémie de Covid-19 a aggravé la situation puisque la Transnistrie en a profité pour renforcer le contrôle sur sa frontière avec le reste du pays et les violences contre les journalistes s’intensifient dans le secteur.

Avec un peu plus de 52% des voix en 2016, il remporte le scrutin face à Maia Sandu qui a réuni le Parti Action & Solidarité (PAS) et la Plateforme Vérité et Dignité (DA) pour créer le bloc électoral « Maintenant » (ACUM), d’obédience libérale et europhile.

Il passera son mandat à lutter contre la Cour constitutionnelle, accusée d’être aux mains du Parti démocrate (PDM) du sulfureux oligarque Plahotniuc, qui le suspendra à trois reprises pour avoir refusé de nommer des ministres démocrates au sein du gouvernement dirigé par le PDM. Une Cour constitutionnelle décidemment bien engagée puisqu’elle sera à l’origine d’une crise institutionnelle majeure. En outre, la situation de la presse moldave s’aggrave durant son mandat. Suivant sa politique étrangère tournée à l’Est, il rouvre certains médias prorusses, dont le financement par les autorités moscovites ne fait guère de doute.

Une Cour constitutionnelle qui torpille

Les élections législatives de février-mars 2019 divise le Parlamentul Republicii Moldova en trois groupes de taille plus ou moins équivalente : 36 sièges pour les socialistes, 30 pour les démocrates et 26 pour les libéraux. Des négociations houleuses s’annoncent alors : le PSRM est pro-russe, le PDM et ACUM pro-européen, et ACUM a bâti sa campagne sur la lutte contre la corruption du PDM. Les négociations traînent en longueur mais, sous la pression internationale notamment, ACUM et le PSRM parviennent à s’entendre pour former un gouvernement de coalition plutôt précaire le 8 juin qui ne tient presque que par leur adversaire commun.

Seulement voilà, la Cour constitutionnelle parvient à trouver un tour de passe-passe pour renverser la table. La Constitution donne un délai de trois mois après les élections aux partis pour former un gouvernement. Or la Cour, saisie par le PDM interprète ce délai en jours, à savoir 90, ce qui tomberait le 7 juin, soit 24 heures avant la désignation de Maia Sandu au poste de Premier ministre. La Cour invalide donc le nouveau gouvernement et relève – une nouvelle fois – Igor Dodon de ses fonctions dans la foulée pour ne pas avoir dissout le Parlement. Le premier ministre sortant, le démocrate Pavel Filip est nommé Président par intérim, dissous le Parlement et convoque des législatives anticipées en moins de 24 heures !

Cependant, devant une nouvelle illustration tonitruante de la corruption par le Parti démocrate du système judiciaire, les citoyens moldaves et les partis floués manifestent vivement leur colère et Filip finit par céder. Le gouvernement Sandu et le Président Dodo sont rétablis dans leur fonction, le président de la Cour admettra plus tard avir subi des ‟pressions”.

Toujours les mêmes têtes pour les mêmes divisions

Comme prévu, le gouvernement Sandu a été tourmenté. La leader des socialistes, Zinaida Greceanîi, arrivée au perchoir de l’Assemblée nationale suivant l’accord de coalition, n’est pas du genre à manger son chapeau, les relations entre les deux femmes n’ont cessé de se détériorer, bloquant toutes tentatives de réformes structurelles nécessaires. C’est finalement une réforme sur la nomination du Procureur de la République (qui aurait été directement nommé par le chef du gouvernement) qui met le feu aux poudres en novembre 2019 : les socialistes déposent une motion de censure contre Maia Sandu, que les démocrates vont saisir au vol. Certains analystes estiment que Maia Sandu a provoqué sa chute profiter des bénéfices de l’opposition à un an du scrutin présidentiel, alors que les résultats de la coalition gouvernementale se font attendre.

La fragile coalition tombe et les socialistes parviennent à trouver un accord avec une partie des démocrates du PDM pour se maintenir au pouvoir. La volonté de lutter contre la corruption endémique dans le pays semble s’arrêter aux portes du pouvoir pour les socialistes moldaves qui préfèrent s’allier avec leurs adversaires que de convoquer une nouvelle fois les électeurs.

Les principaux concurrents du scrutin présidentiel sont les mêmes qu’en 2016 : Igor Dodon, président sortant socialiste est opposé à Maia Sandu, libérale. À noter que le PAS et le DA, partenaires de l’alliance d’opposition anti-corruption et pro-européenne, font cavaliers seuls : Andrei Năstase de la Plateforme Vérité et Dignité (PA), candidat malheureux à Chişinău en 2019, se présente face à Maia Sandu notamment.

Igor Dodo tente de mobiliser trois types d’électorat à travers sa campagne, l’électorat plutôt âgé et conservateur en rappelant inlassablement les valeurs traditionnelles chrétiennes de la famille, argument devenu presque fashion pour les droites européennes…. Et des socialistes en perte de vitesse ! Mais également les Moldaves attachés à leur identité et donc rejetant l’influence du voisin roumain. Enfin, les pragmatiques qui attendent enfin l’amélioration de la situation dans ce pays, l’un des plus pauvres d’Europe. Sa décision de multiplier par deux les bureaux de vote pour la diaspora moldave en Russie et le rétablissement de certaines liaisons avec la Transnistrie sécessionniste peuvent en outre paraître comme des manœuvres électorales à la limite de la légalité.

Maia Sandu mène une campagne agressive contre Igor Dodon, l’accusant de manœuvres électorales en Transnistrie, notamment par des achats de voix, estimant qu’il « essaie de truquer les élections parce qu’]il sait qu’il ne peut pas gagner ». Elle promet en outre d’améliorer le niveau de vie des Moldaves, notamment le système de santé et de continuer ses réformes du système judiciaire pour lutter contre une corruption endémique.

Déjouant les sondages, la candidate de centre-droit a arraché la 1ère place lors du 1er tour le 1er novembre. Le Président Dodon ne bénéficie même pas du report de voix des électeurs du candidat nationaliste Renato Usatîi arrivé troisième du premier tour et perd son siège. La participation bondit de 10 points entre les deux tours (55% au deuxième), avec une nette augmentation chez les membres de la diaspora. Maia Sandu devient ainsi la première femme à accéder à la présidence de cet État. Un revers pour le camp prorusse mais une promesse de lutte contre la corruption qui devra être tenue.

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