« De cet homme aux cheveux gris, à l’élocution douce, dont l’assurance en toutes circonstances témoigne qu’il a l’entière confiance de l’Ayatollah Ali Khamenei, le Guide suprême de l’Iran, on peut déjà dire qu’il n’a d’équivalent dans aucun autre pays. » Jean-Pierre Perrin, « le Général de l’ombre », article de Libération.
L’Union européenne doit également s’imposer dans le théâtre d’ombres du Moyen-Orient, car beaucoup d’événements terribles trouvent leurs explications dans des manœuvres obscures, opérées par des acteurs secrets. Le général Qassem Soleimani, chef depuis 1998 de la force AlQods, l’unité d’élite des Gardiens iraniens de la Révolution, fait partie de ces hommes de l’ombre.
Il est le nouvel homme fort de la région. Soleimani a rejoint dès 1979, les rangs des gardiens de la Révolution après la chute du shah d’Iran. Lors de la guerre Iran-Irak, de 1980 à 1988, Soleimani commandait la 41e division des pasdaran. Il se révéla comme un chef charismatique, un meneur d’hommes, très populaire parmi ses soldats. Doté de fortes capacités en stratégie, il resta lucide et réfléchi. Durant l’invasion de l’Irak, en mars 2003, Qassem Soleimani a repris le combat en instrumentalisant des groupes chiites contre l’occupant. C’est à cette époque que sont organisées ou ressuscitées les quatre grandes milices qui pèsent si lourdement sur l’Irak d’aujourd’hui (la Brigade Al-Badr, l’Armée du Mahdi devenue Brigades de la paix, Brigades du Hezbollah, Asaïb Ahl al-Haq).
Le général américain Petraeus, chargé de rétablir un semblant d’ordre en Irak, décrivit Soleimani au secrétaire d’Etat à la défense Robert Gates comme une « créature véritablement diabolique ». Commença à partir de 2007 une guerre de l’ombre où tous les coups furent permis, ce qui n’empêcha pas les deux hommes de communiquer via différents intermédiaires, chacun menaçant l’autre de représailles. Soleimani aurait encouragé le chef du renseignement du régime d’Assad à faciliter le passage d’extrémistes sunnites par la Syrie pour aller combattre les Américains. Les Iraniens ont en outre fermé les yeux sur la perpétration d’attentats par Al-Qaeda contre des cibles occidentales, en particulier en Arabie Saoudite. Une stratégie dangereuse qui conduira certains de ces extrémistes à se retourner contre les chiites en ralliant l’Etat islamique. Les forces spéciales américaines ont monté plusieurs opérations secrètes, afin d’éliminer Soleimani, sans succès.
C’est encore Soleimani qui a été déterminant dans le maintien au pouvoir de Bachar El-Assad en 2012, en dirigeant de facto les opérations militaires contre les rebelles. Il coordonne toujours l’aide de l’Iran à Bachar El-Assad. En mai 2011, le département américain du Trésor sanctionne Soleimani pour son soutien direct au régime de Bachar El-Assad, puis un mois plus tard, l’Union européenne place Qassem Soleimani et deux autres chefs iraniens sur sa liste des personnes recherchées, en raison de leur implication dans la fourniture de matériel et d’assistance au régime syrien, destiné à réprimer les manifestations. Qassem Soleimani est ainsi directement responsable de nombreux crimes. Il est animé par une foi inébranlable en la guerre sainte chiite et une forte détermination à vaincre, tout en ressentant une profonde aversion pour les Etats-Unis.
Dans le nouveau contexte de la guerre contre Daech, Soleimani est au cœur d’une opération médiatique servant une stratégie de communication politique, afin d’asseoir la légitimité de la présence des Iraniens aux côtés des Irakiens, combattant ensemble contre l’Etat islamique. Dans sa nouvelle tâche, Qassem Soleimani s’est entouré notamment de Abou Mahdi al-Mohandes, dit « l’Ingénieur », qui dirigea la résistance chiite à l’occupation américaine (2003-2011) et est recherché par plusieurs polices occidentales pour sa participation à des attentats meurtriers au Koweït, dont un contre l’ambassade de France. Abou Mahdi al-Mohandes est notamment à la tête de la « Mobilisation populaire », ces milices chiites sans lesquelles aucune offensive d’envergure de l’armée irakienne contre les djihadistes n’est possible. En soutenant Bachar El-Assad et en combattant cruellement les rebelles syriens, Qassem Soleimani a lui-même contribué à créer l’Etat islamique, qu’il affronte aujourd’hui.
L’Iran a une part de responsabilité claire dans la création de Daech. Le maintien du conflit syrien, l’acharnement cruel face à la rébellion modérée syrienne, tous ces éléments ont favorisé l’épanouissement des djihadistes et la constitution de Daech qui a pu étendre son action à l’Irak. Soleimani n’est pas un allié solide et durable pour l’Occident, il s’agit d’un intégriste impitoyable qui fera tout pour défendre le modèle actuel de l’Iran, y compris frapper l’Occident comme il l’a déjà effectué. L’exportation de la « révolution islamique » est son obsession.
Une fois la guerre contre Daech achevée, qu’adviendra-t-il du Moyen-Orient ? Ils sont nombreux à se poser la question dans les cercles de décision occidentaux. Tous craignent que l’impérialisme iranien ne s’épanouisse dans ce nouveau contexte et fasse de l’Irak une sorte de colonie. Nous devons aborder directement et sans illusions, la question iranienne. L’Iran et son régime impitoyable. L’Iran et ses manœuvres de l’ombre. L’Iran et son goût pour la guerre. Il est certain que si l’Iran est aujourd’hui une partie de la « solution » comme pourraient l’exprimer très bien les Américains qui sont très demandeurs de ces petits compromis à court terme, il est aussi très probable que ce pays constitue l’un des problèmes de l’après-Daech.
L’Union européenne doit aborder cet enjeu, s’y investir avec résolution en apportant ses solutions. Les Européens doivent clarifier les enjeux. Clarifier les statuts de personnages troubles comme Qassem Soleimani. Clarifier les rapports avec l’Iran. Les Européens connaissent les solutions américaines, décidées à la va vite, en fonction des intérêts du moment ce qui a conduit à des résultats désastreux. L’Union européenne peut apporter ses propositions pour une paix durable au Moyen-Orient. Encore une fois, l’objectif ne doit pas être la guerre. Les Européens sont en guerre et leur volonté doit être d’en sortir le plus rapidement possible, pour stabiliser une région du monde qui ne cesse de se diviser et de se perdre dans des conflits aussi sanguinaires que stériles.
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