Quelle place pour le russe dans l’Union européenne ?

, par Fabien Cazenave

Quelle place pour le russe dans l'Union européenne ?
Daugavpils, deuxième ville russophone de Lettonie, peuplé à 53% de russophones. crédit : Fabien Cazenave

En Estonie et en Lettonie, existe une grande minorité russophone. Mais leur langue maternelle, le russe, n’est pas considérée comme une langue officielle de l’Union européenne. C’est à la fois logique et malvenue, car cela laisse l’espace aux médias russophones financés par le Kremlin pour diffuser la propagande de Poutine.

« La langue de l’Europe, c’est la traduction », selon une citation apocryphe de l’écrivain Umberto Eco. Il est vrai qu’il y a de très nombreuses langues dans l’Union européenne : 24 langues officielles et beaucoup plus encore en fonction des États membres avec le breton, le corse, le catalan, les sames, etc.

Dans les pays baltes, une langue est particulièrement présente mais non reconnue : le russe. Il s’agit dans ces pays d’une question sensible, qui ramène les habitants aux atrocités de l’occupation soviétique qui a duré une cinquantaine d’années à partir de 1940. Le russe était alors la seule langue réellement considérée.

L’exemple du russe en Lettonie

Depuis l’indépendance de 1991, les trois pays ont tenu des politiques différentes par rapport à la langue russe. La Lituanie a mené une politique agressive pour permettre au lituanien de s’imposer. La Lettonie a gardé des écoles en russe très longtemps, jusqu’à ce que l’invasion de l’Ukraine décidée par Vladimir Poutine ne pousse le gouvernement à durcir l’interdiction de l’enseignement dans la langue de Tolstoï. À l’université de Daugavpils, deuxième ville très majoritairement russophone du pays, les panneaux sont en letton, tout comme les cours, sauf pour les études de langue russe.

En Lettonie, il n’y a officiellement pas de problème linguistique mais les tensions autour de la langue commencent à faire leur apparition dans la vie quotidienne des Lettons : des étudiants refusent de répondre en russe à un serveur dans un bar, un agent de l’aéroport qui demande à une russophone de parler en letton…

Dans un pays où un tiers de la population est russophone, les occasions de se disputer sur la langue sont légions, même si elles restent pour le moment assez limitées.

En Estonie, c’est le directeur d’une école russophone qui a perdu son emploi parce qu’il n’arrivait pas à passer le test de langue estonienne requis pour occuper un tel poste, alors que lui-même avait été décoré il y a quelques années par le gouvernement pour la qualité de son travail. Depuis, l’école n’a pas réussi à trouver de directeur pour le remplacer.

Le fait de ne pas reconnaître le russe a une autre conséquence, bien plus pernicieuse : les communautés russophones des pays baltes ont tendance à davantage s’informer et regarder la télévision sur les canaux russes.

Poutine et ses sbires qui contrôlent les programmes et l’information peuvent par conséquent diffuser leur idéologie anti-occidentale au cœur même de l’Union européenne sans contrepoint. Même si plusieurs chaînes de propagande ont été interdites sur le territoire de l’UE, les messages du Kremlin continuent à être diffusés grâce aux réseaux sociaux ou aux systèmes de VPN qui permettent de camoufler le pays de connexion et donc d’avoir accès à tout contenu sur internet.

La Lettonie soutient certains médias russes qui ont dû s’exiler pour éviter l’interdiction et la prison pour leurs dirigeants, à l’image du journal en ligne Novaya Gazeta. Mais ceux-ci ne produisent que du contenu à destination des Russes et non pas à destination des Lettons russophones.

Que se passera-t-il en cas d’adhésion d’un pays russophone à l’UE ?

L’Union européenne se retrouve donc en position défensive par rapport à la propagande du Kremlin, et va à l’encontre de ses idéaux de liberté en interdisant les médias russes. Pire, elle ne cherche pas à diffuser ses valeurs dans la langue russe.

À force de considérer le russe comme une langue ennemie, ne risque-t-on pas de transformer la population russophone en adversaire ? L’exemple ukrainien a montré que les russophones rejetaient l’armée de Poutine. Il n’est donc pas de réponse simple. Mais si demain le Belarus réussissait à se libérer du dictateur Loukachenko sans tomber dans l’escarcelle de la Russie, il faudra bien se poser la question du russe, langue principalement parlée dans les villes du pays, en cas d’adhésion à l’Union européenne.

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